A 83 ans, Jack Lang n’a pas fini de rêver. A la tête de l’Institut du monde arabe depuis 2013, l’ancien ministre de la Culture a façonné l’IMA à son image et à celle du monde arabe qui le passionne tant : ambitieux et connecté. Au travers ses expositions qui inspirent le grand public et animent le débat public, l’IMA se veut militant mais toujours terriblement attaché à la paix et au dialogue. L’institut du monde arabe veut « faire entendre des cris d’espoir », insiste Jack Lang, lors d’un entretien marqué par une actualité sombre.
Vous avez été reconduit en décembre dernier pour un quatrième mandat à la direction de l’Institut du monde arabe (IMA). Qu’est-ce qui explique selon vous votre longévité à la tête de cet établissement devenu de plus en plus un acteur incontournable de la scène muséale parisienne ?
La longévité n’est pas celle de mon mandat mais celle de mon lien avec le monde arabe et ce depuis le lycée. Cette passion est née au moment de la guerre d’Algérie et de la lutte du Maroc et de la Tunisie pour l’indépendance. Je me suis pris d’affection pour ces pays et j’ai eu, comme beaucoup d’autres, ce sentiment hostile au colonialisme, à cette volonté de domination et d’impérialisme et d’ailleurs à toutes les formes d’oppressions. Ma ligne directrice en politique a d’ailleurs toujours été de refuser toute atteinte à la dignité et à la liberté.
Dans toutes les fonctions que j’ai exercées, que ce soit comme créateur du festival mondial du théâtre à Nancy, comme directeur du Théâtre national du Palais de Chaillot ou plus tard comme ministre, j’ai associé de nombreux créateurs, écrivains ou réalisateurs arabes, qui sont devenus des amis. Mon premier visiteur lorsque je suis devenu ministre de la Culture a d’ailleurs été le grand cinéaste égyptien Youssef Chahine.
L’IMA vient d’organiser une veillée pour Gaza. Quel est selon vous le rôle des institutions culturelles comme l’IMA dans le cas de conflits comme aujourd’hui sur la Bande de Gaza ?
Son rôle est de faire entendre les voix de tous ceux qui souffrent d’un conflit, de violences ou d’agressions. Mais c’est aussi de faire entendre des cris d’espoir.
Nous voulions mettre un accent sur la créativité palestinienne
Quelle est l’influence de l’organisation d'événements comme l’exposition Ce que la Palestine apporte au monde ?
La Palestine était et est encore oubliée, abandonnée et marginalisée, par tous les pays qu’ils soient occidentaux ou arabes. La Palestine est toujours ramenée aux insurrections mais rarement célébrée pour sa culture et sa créativité. Le peuple palestinien est pourtant riche de talents et d’intelligence. Ce n’était pas normal que l’Institut du monde arabe n’ait pas un événement sur ce sujet. Cela avait été le cas il y a une dizaine d’années mais pas avec la même envergure.
Avec cette exposition, qui a été un véritable succès, nous voulions mettre un accent sur la créativité palestinienne mais aussi mieux faire connaître le musée en exil que nous accueillons ici. Le musée de la Palestine en exil est une invention d’Elias Sanbar, un intellectuel et ancien ambassadeur de la Palestine à l’UNESCO. Notre exposition a pu mettre en valeur l’ampleur des dons faits par des artistes pour ce futur musée de la Palestine.
Vous avez déclaré que votre ambition est de faire de l’IMA « le plus important musée d'art moderne et contemporain arabe en Occident ». Quelles actions souhaitez-vous mener dans ce sens ?
Nous souhaitons offrir une place unique à l’art moderne et contemporain arabe. Nous disposons, notamment grâce à mes prédécesseurs, d’une collection riche. Nous avons bénéficié notamment de la collection privée de Claude et France Lemand, 1300 œuvres d’art moderne et contemporain, qui font partie intégrante de notre musée. Ces œuvres plus modernes ont permis de métamorphoser ce lieu mais sans sacrifier toutes les parties consacrées à l’histoire du monde arabe.
Nos expositions voyagent à travers le monde
Le rayonnement des musées français passe aujourd’hui par leur présence à l’étranger. Quels sont les projets d’internationalisation de l’IMA ?
Nos expositions voyagent à travers le monde. Parfums d’Orient sera, par exemple, présentée en Arabie saoudite et Divas en Jordanie, après une année passée aux Pays-Bas. Notre rayonnement passe aujourd’hui par les médias et les réseaux sociaux.
Sur le territoire français, nous sommes également présents à Tourcoing avec un IMA autonome. Nos collections sont présentées dans de nombreux événements à travers la France. Nous avons également des liens extrêmement étroits avec des municipalités ou des associations dans toute la France.
Il faut laisser de la place à l’imprévu, à l’inattendu et aux surprises
Quels sont les moments forts de cette année 2024 ?
Après Parfums d’Orient, qui cartonne, nous aurons une exposition intitulée Arabo-futuristes, avec des jeunes artistes arabes se focalisant sur les nouvelles technologies, les utopies ou encore la science-fiction. Cette exposition sera prolongée par un colloque sur cette thématique. A l’automne, nous aurons une exposition sur le vêtement et la mode dans les pays arabes. Et puis nous organiserons tout au long de l’année d’autres monographies dont une sur l’artiste marocain Mehdi Qotbi.
Nous avons aussi beaucoup d’évènements qui ne sont pas de l’ordre des expositions : avec de nombreux colloques, rencontres, des podcasts ou encore des ateliers avec les jeunes. Nous organiserons aussi à l’automne un sommet mondial de la pensée arabe. Nous voulons montrer que le monde arabe n’est pas seulement tourné vers l’économie ou les controverses politiques, c’est un monde de pensées et de réflexions philosophiques, scientifiques et médicales. L’IMA fait également tout un travail de traductions, de colloques, de rencontres, de podcasts ou encore d’ateliers avec des jeunes.
Et puis les moments forts de cette année seront certainement ceux que je ne connais pas encore. Il faut laisser de la place à l’imprévu, à l’inattendu et aux surprises.