Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 2
  • 0

Correspondant à l’étranger : devant la précarité et le danger, le temps presse

Organisé par la sénatrice des Français établis hors de France, Mélanie Vogel, un colloque sur les difficultés rencontrées par les correspondants pigistes à l’étranger s’est invité au Sénat le lundi 16 octobre. Après une série de témoignages poignants, le séminaire a donné la parole aux employeurs, syndicats et professionnels du droit pour trouver des solutions aux problématiques d’un métier en souffrance.

La sénatrice Mélanie Vogel a réuni correspondants, syndicat, médias et professionnels du droit lors d'un colloque sur les difficultés des pigistes à l'étranger.La sénatrice Mélanie Vogel a réuni correspondants, syndicat, médias et professionnels du droit lors d'un colloque sur les difficultés des pigistes à l'étranger.
La sénatrice Mélanie Vogel, cheffe d'orchestre du colloque sur les difficultés des correspondants. Photo : Teddy Perez
Écrit par Teddy Perez
Publié le 30 octobre 2023, mis à jour le 18 décembre 2023

Améliorer la couverture sociale des correspondants et correspondantes à l’étranger : la thématique concerne entre 400 et 500 journalistes français en activité aujourd’hui. Ils sont le plus souvent âgés d’une trentaine d’années ou débutent dans la profession. Ils choisissent ce parcours pour l’amour du métier mais aussi pour gagner en compétences et reconnaissances. Mais ceux qui se considèrent comme “la chair à canon du journalisme français” n’en peuvent plus de leurs conditions de travail “hallucinantes”.

Assis autour d’une même table, plusieurs journalistes - les principaux concernés - étaient invités lors du colloque présidé par la sénatrice représentant les Français·es établi·es hors de France, Mélanie Vogel (EELV). Pendant plus de quatre heures d’échange, les témoignages se sont succédés et des solutions ont été présentées par les syndicats, médias et avocats pour permettre aux correspondantes “d’avoir les mêmes filets de sécurité que les journalistes qui travaillent en France”, en matière de protection sociale. La parlementaire a ainsi pris notes des recommandations pour faire remonter le sujet au Sénat. Un prochain amendement à la loi a été évoqué.

 

“Tu es jeune, qu’est-ce qui peut t’arriver ?”

C’est par une série de témoignages de correspondants français basés ou ayant travaillé en Ukraine, au Mali, au Ghana ou encore en Côte d’Ivoire que le colloque a débuté. Un premier, celui de Carol Valade, installé aujourd’hui au Tchad, a ouvert la voix. Il a commencé sa vie de correspondant il y a six ans en connaissant un des principaux risques de cette situation : la solitude. Mais expatrié en Guinée après avoir emprunté environ 3.000 euros à des proches, cet abandon s’est matérialisé avant même son départ. RFI, média pour lequel il pigeait, venait de supprimer les cotisations sociales de manière unilatérale et sans proposer d’alternative pour la couverture santé. La station radio de la société nationale France Médias Monde lui présentant même cette situation comme une “solution positive pour gagner plus d’argent et cotiser directement dans le pays dans lequel il était installé.”

Cette situation précaire de Carol Valade, à la frontière de la légalité, n’est pas du tout un cas isolé. Bien au contraire. Par le passé correspondante au Ghana, Marine Jeannin a frôlé la mort lors d’une expérience écourtée dans ce pays de l’Afrique de l’ouest. Pigiste pour RFI, de nouveau, dès 2019, la question de la cotisation n’était plus un sujet. Sa direction lui lançant même “tu es jeune, qu’est-ce qui peut t’arriver ?” avant son expatriation au Ghana lorsqu’elle se préoccupait des risques en cas de problème de santé. Seule journaliste française dans le pays, elle était ainsi la référente de plusieurs médias et multipliait les piges, dont certaines payées “au black” ou en factures. 50h à 60h par semaine à 25 ans, un emploi du temps et une fougue qui ne l'encouragent pas à s’intéresser à sa couverture santé. Elle raconte :

Ils ne m’ont jamais passé un coup de fil pendant mon hospitalisation. Avec certains médias, je n’ai pas pu avoir d’arrêt maladie.”

Témoignages de la correspondante Marine Jeannin

 

“Correspondant, c’est être marchand de tapis”

Si la protection sociale était le sujet fil rouge du colloque organisé par la sénatrice Mélanie Vogel, les journalistes présents n’ont pu évoquer cet unique problème. Durant leur aventure professionnelle respective au-delà des frontières françaises, les difficultés financières font aussi partie du quotidien. Ces pigistes “de l’extrême” évoluent bien souvent dans des zones de guerre et l’on pourrait croire que ces prises de risque permettent une compensation financière plus importante. Mais ce n’est pas le cas puisqu’à la différence d’un envoyé spécial, un correspondant est considéré par les médias comme un habitant du pays.

Mais vivre et travailler convenablement dans un pays ou une ville en guerre présente un coût parfois supérieur à ce qu’un journaliste perçoit grâce à ses productions. En plus de payer son habitation et ses repas, souvent modestes, il faut rémunérer son fixeur - personne ressource indispensable sur le terrain - le transport et parfois même verser de l’argent pour simplement entrer sur le lieu à couvrir. “Je suis devenu comptable” avoue désormais avec sourire Anthony Fouchard, ex-correspondant en République démocratique du Congo et au Mali. Pour rentrer dans ses frais, il produisait au moins trois éléments par déplacement, puisqu’une pige d’un article écrit ou d’un reportage radio vaut moins d’argent qu'un passage à la télévision. Il ajoute : “Dans l’entretien d’embauche, la rédaction m’a présenté les pays où il fallait boucher les trous. On va là où il y a de la place. Là-bas, j’ai passé ma vie à magouiller. Correspondant, c’est être marchand de tapis.” 

 

Correspondant à l'étranger, Anthony Fouchard est venu témoigner lors du colloque organisé par Mélanie Vogel
Anthony Fouchard, ex-correspondant en République démocratique du Congo et au Mali. © Photo personnelle.

 

Une “urgence à tous les niveaux” pour les syndicats

Les journalistes ont planté le décor, avec courage et émotions. S’en est suivi le temps des solutions. Parmi les nombreux médias invités, seul Le Monde a répondu présent lors du séminaire. Depuis deux ans, le quotidien français a mis en place un dispositif de protection sociale ouvert aux pigistes français de l’étranger. Encore récent et plutôt méconnu, Le Monde souhaite augmenter son taux de bénéficiaires, en particulier aux jeunes journalistes dans le besoin.

Le Monde apparaît comme une exception parmi les médias français. En 2023, une centaine de journalistes à l’étranger “ne cotisent ni pour leur retraite, ni pour la sécurité sociale de façon totalement contrainte et à l’encontre du droit” regrette la journaliste Soraya Morvan-Smith en marge du colloque. “Ce ne sont pas des cas isolés, c’est systémique” affirme Antoine Chuzeville, co-secrétaire général du syndicat national des journalistes (SNJ).

 

Les conditions d’une bonne solution exigées par la CFDT :

  • Une “sérénité administrative”, pour éviter l’angoisse permanente et les burn-out, de plus en plus nombreux dans la profession.
  • Un “droit constant” pour toutes les rédactions vis-à-vis des pigistes pour ne plus retrouver un effet de seuil et des différences économiques et de droits futurs (retraite, congés maternité, arrêt maladie, etc.)
  • Préserver le salariat de droit français, et non pas un salariat d’entreprise locale avec un statut du code du travail à l’étranger.
  • Des solutions évolutives et expliquées par les employeurs, les ressources humaines, car la CFDT reconnaît un défaut de pédagogie.

 

Au fond, les syndicats et journalistes présents lundi 16 octobre au Sénat réclament une même chose : des droits équivalents entre les pigistes évoluant en France et ceux à l’étranger. Dans les deux cas, ils travaillent pour des médias français, produisent du contenu dans cette même langue et à destination d’une cible francophone.

Un principe de territorialité qui est plus compliqué qu’il n’y paraît pour Francis Kessler, docteur en droit : “Par exemple, si vous êtes au Vietnam, que vous réalisez des articles qui déplaisent au gouvernement vietnamien, en travaillant sur son sol, c’est le droit vietnamien qui s’applique”.

La solution proposée par Francis Kessler serait de reconnaître un principe d’affiliation au droit français. Une réponse partagée par l’avocat Tristan Soulard. Ce dernier présente un ajout à l’article L311-3 du code de la sécurité sociale qui réglerait le problème de tous les journalistes professionnels français rémunérés à la pige en France ou à l’étranger :

proposition article correspondant étranger

 

En parallèle du colloque, les Etats généraux de l’information

Les Etats généraux de l’information ont commencé en ce début octobre 2023 et s'étaleront jusqu’en mai 2024. Lancés à l'initiative du président de la République, ils ont pour objectif d'établir un diagnostic sur les enjeux liés à l'information et de proposer des actions concrètes qui pourront se déployer aux plans national, européen et international.

Comment assurer l'indépendance économique du journalisme ? Comment protéger les journalistes et leurs sources des menaces et influences ? Comment lutter contre les manipulations de l'information ? Ce sont autant de questions auxquelles ces Etats généraux de l’information doivent répondre.

Aussitôt débutés, ils créent déjà des débats et des désillusions dans la profession, notamment par la composition du comité et par la peur d’un résultat en-deçà des attentes des journalistes.

 

 

 

Teddy Perez
Publié le 30 octobre 2023, mis à jour le 18 décembre 2023