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Vers un code civil unifié de l’Inde ?

L'idée d'un Code civil unifié de l'Inde (UCC) remonte aux premiers jours de l'indépendance du pays. Elle a été intégrée à l'article 44 de la Constitution, et attend son application depuis 1948. En attendant, le droit de la famille reste régi par les différentes communautés religieuses et tribales.

Famille indienne - Juan Antonio Segal CCFamille indienne - Juan Antonio Segal CC
Photo : Juan Antonio Segal (CC)
Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 26 octobre 2023, mis à jour le 29 avril 2024

Récemment, le parti gouvernemental a ravivé le débat sur la promulgation d'un UCC pour l'ensemble du pays, ce qui a suscité à la fois des éloges et de vives critiques. Il s’agit d’un objectif récurrent, qui réapparait à chaque approche des élections. 
 

Un code civil unifié pour faire évoluer des pratiques coutumières, sources d’inégalités

Constat est fait aujourd’hui que les lois personnelles sont imprégnées de misogynie. Un UCC pourrait être notamment le moyen de faire progresser la condition des femmes.

L'adoption d'une loi interdisant la polygamie pour tous les citoyens indiens, ainsi que la révision des lois successorales inéquitables, serait un pas vers la justice pour les femmes du pays.

Les communautés sont souvent réticentes au changement : c’est au gouvernement de s’efforcer de remettre en question les conceptions anciennes. Les pratiques coutumières peuvent et doivent évoluer avec son intervention. Un exemple : l’ancienne norme en vigueur selon laquelle l’âge du consentement aux rapports sexuels dans le cadre du mariage était fixé à 10 ans. En 1891, l'Inde a connu un changement significatif grâce à la loi "Age of Consent Act" (Loi sur l'âge du consentement), qui a rehaussé à 12 ans l’âge légal du mariage pour les filles.

 

Jawaharlal Nehru, premier ministre après l’indépendance de l’Inde en 1947, a tenté de mettre en place un code civil unifié, mais s’est heurté à une forte opposition de la part de divers groupes religieux.
Jawaharlal Nehru, premier ministre après l’indépendance de l’Inde en 1947, a tenté de mettre en place un code civil unifié, mais s’est heurté à une forte opposition de la part de divers groupes religieux.

 

L’Inde : une mosaïque de lois et coutumes 

En Inde, le système juridique est principalement basé sur la religion de chaque individu, sauf dans les régions de Goa, Diu et Daman, où le Code civil portugais de 1867 est toujours en vigueur. Ce sont les seuls endroits où la même loi s'applique à tous les citoyens. En conséquence, des droits tels que l'égalité de traitement entre les fils et les filles en matière de succession, ainsi que l'enregistrement du mariage au-delà de la cérémonie religieuse, y sont appliqués de manière systématique.

Mais pour la grande majorité des citoyens indiens, les lois et coutumes religieuses ont préséance sur les lois statutaires dans la hiérarchie juridique. La religion que vous pratiquez revêt une grande importance, car les conséquences peuvent être très différentes lors de vos interactions avec la loi.

 

En Inde : ma religion, ma loi

L'identification et l'application de la loi appropriée en Inde représentent une tâche complexe. Par exemple, en matière de mariage et de divorce, diverses religions sont soumises à des lois spécifiques. Les hindous, les bouddhistes et les jaïns sont régis par la "loi sur le mariage hindou" de 1955, tandis que les musulmans suivent la "loi sur l'application personnelle (Shariat) des musulmans" de 1937, la "loi sur la dissolution des mariages musulmans" de 1939, et la "loi sur les femmes musulmanes (protection des droits en matière de mariage)" de 2019. Les chrétiens sont soumis à la "loi sur le mariage chrétien" de 1872 et à la "loi sur le divorce indien" de 1869. Les sikhs sont régis par la "loi Anand sur le mariage (amendement)" de 2012, sans dispositions spécifiques sur le divorce. Enfin, la très petite communauté Parsi est régie par la "loi Parsi sur le mariage et le divorce" de 1936.

En ce qui concerne les questions d'héritage et d'adoption, la législation varie également en fonction de la religion. Par exemple, il existe la "loi sur la succession hindoue" et la "loi sur la minorité et la tutelle des hindoues", toutes deux datant de 1956. De plus, la "loi sur l'application de la loi personnelle musulmane (Shariat)" de 1937 et la "loi sur la succession indienne" de 1925 sont également en vigueur.

Les zones habitées par des tribus répertoriées (ST) sont régies par des pratiques coutumières et sont exclues de la "loi sur le mariage hindou" de 1955 ainsi que de la "loi sur la succession hindoue" de 1956.

 

Un mariage kashmiri. Licence CC
Un mariage kashmiri. Photo : licence CC

 

Lois laïques et mariages mixtes en Inde

En Inde, la "loi spéciale sur le mariage" de 1954 est neutre sur le plan religieux. Elle offre un cadre juridique pour les mariages interreligieux et intercastes, tout en fonctionnant comme une forme de code civil volontaire pour ceux qui la choisissent.

La "loi sur la succession indienne" s'applique à tous les non-hindous ou non-musulmans, qui constituent une minorité de la population. Mais pour ceux qui optent pour la "loi spéciale sur le mariage" comme base juridique pour leur union, c'est cette loi qui régit leur succession. Même si cette dernière loi exclut a priori les musulmans, elle s’applique à ceux d'entre eux ayant contracté un mariage en vertu de la "loi spéciale sur le mariage".

De plus, les mariages contractés à l'étranger ne sont pas non plus soumis aux lois religieuses, leur reconnaissance étant régie par la "loi sur le mariage des étrangers" de 1969.

 

Un cas de consensus : la loi interdisant le mariage des enfants en Inde

Une loi majeure qui a pris le dessus sur toutes les autres lois personnelles est la "loi interdisant le mariage des enfants" de 2006, qui a été amendée en 2021. Cette loi a suscité de vives oppositions à l'époque de son adoption. Elle établit l'interdiction du mariage des garçons de moins de 21 ans et des filles de moins de 18 ans. Mais il a fallu attendre 2017 pour qu'une décision de la Cour suprême criminalise les relations sexuelles avec des enfants mariés. Jusqu’alors, la consommation du mariage avec une épouse mineure était légale.

Dans un arrêt historique, la Cour suprême a confirmé l'âge du consentement des femmes à 18 ans, même pour les filles mariées (et non plus 15 ans dans leur cas). Le tribunal a déclaré que la distinction faite entre une fille mariée et une fille célibataire était illogique. De plus, cette distinction allait à l’encontre des dispositions de la loi de 2012 sur la protection des enfants contre les infractions sexuelles (loi POCSO), qui qualifie les relations sexuelles avec un mineur d’infraction légale statutaire.

 

 Jeunes femmes au marché aux chameaux Pushkar Mela. Photo : JT Vets CC
Jeunes femmes au marché aux chameaux Pushkar Mela. Photo : JT Vets (CCà

 

Des différences concrètes au quotidien. L’exemple des Hindu Undivided Families

Certaines dispositions du droit des personnes varient considérablement d'une religion à l'autre. L'un des exemples les plus significatifs de ces différences concerne l'existence de la famille hindoue indivise, souvent désignée par l'acronyme HUF (Hindu Undivided Family). Cela représente un privilège qui n'est pas accordé aux autres religions et qui entraîne des exonérations fiscales spécifiques. L'HUF est un concept juridique complexe qui requiert un niveau élevé de spécialisation pour résoudre ses nombreux cas.

La notion de HUF n'est pas liée à la possession de biens communs par la famille, et la présence de tels biens n'est pas une condition préalable essentielle pour établir un HUF. En fait, les hindous acquièrent automatiquement le statut de famille commune dès leur naissance, et la propriété commune est simplement un aspect supplémentaire de cette unité familiale partagée.

 

Famille indienne dans le Madhya Pradesh. Photo : Bhagwat Patel (CC)
Famille indienne dans le Madhya Pradesh. Photo : Bhagwat Patel (CC)

 

Droit Successoral et religion en Inde

La question de savoir si l'appartenance religieuse d'une personne devrait déterminer l'attribution de ses biens après son décès se pose. Idéalement, cela ne devrait pas être le cas, mais dans la pratique, la situation juridique dépend effectivement de l'appartenance religieuse.

Par exemple, si une personne hindoue, bouddhiste, sikh ou jaïn, célibataire et sans enfant, décède sans rédiger de testament, sa mère hérite de la totalité de ses biens, tandis que le père ne reçoit rien. En revanche, si le défunt est un chrétien célibataire sans enfant et n'a pas laissé de testament, tous les biens reviennent au père.

Cette disparité est l'une des nombreuses situations qui pourraient être réexaminées grâce à un Code civil unifié (UCC). Elle contrevient au principe de l'égalité constitutionnelle, soulevant la question de savoir pourquoi les deux parents ne devraient pas recevoir une part égale de l'héritage.

 
Un Code civil unifié, plus équitable, permettrait de moderniser et d'unifier le système juridique indien, offrant à l'Inde l’opportunité de démêler les pratiques rituelles de la législation, tout en renforçant la garantie des droits constitutionnels à l'égalité. Les coutumes religieuses pourront alors coexister avec une loi qui continuera à évoluer pour représenter la société.

 

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