Les éléphants sont de magnifiques animaux que nous avons la chance de croiser souvent lors de nos voyages en Inde. Ce sont aussi des animaux complexes et indispensables pour l’environnement. Pour les protéger et assurer leur survie dans la nature, des dispositifs dédiés ont été mis en place par le gouvernement indien. Mais la protection des éléphants et l’augmentation de leur population créent de nouveaux défis…
Aujourd’hui, des éléphants sont présents dans 13 pays du monde. L'Inde, où vivent environ 30 000 individus, abrite plus de 60 % de la population mondiale. Le pays compte 33 réserves d’éléphants, dont 5 se trouvent dans le Tamil Nadu : à Coimbatore, Srivilliputhur, Annamalai, Agathiyamalai et Nilgiris-Eastern Ghat.
Depuis 2021, le 12 août est célébrée chaque année la « Journée mondiale de protection de l’éléphant ». L’appel à la protection des éléphants est largement entendu en Inde, car ces animaux font partie intégrante de la culture, des pratiques religieuses et de l'identité indienne.
Le cadre légal de la protection des éléphants en Inde
Le dispositif de protection des animaux sauvages (et dans le cas des éléphants, aussi de ceux en captivité) mis en place par le gouvernement est fondé sur la Loi indienne sur la protection de la vie sauvage de 1972 et ses amendements ultérieurs. Les éléphants, ainsi que le tigre de Bengale, le léopard des neiges et le langur doré sont parmi la vingtaine d’animaux concernés par l’Annexe 1 de la loi, qui couvre les espèces menacées qui ont besoin d'une protection rigoureuse. Il est interdit de chasser les espèces visées par l’Annexe 1 dans toute l'Inde, sauf en cas de menace pour la vie humaine ou en cas de maladie incurable. Le braconnage, le trafic et le commerce de ces animaux sont strictement prohibés.
Un département des éléphants au gouvernement indien
Il existe au ministère de l’Environnement, la Forêt et le Changement Climatique un Département des éléphants qui tient le compte des éléphants à l’animal près, qu’ils soient sauvages ou en captivité.
Depuis 2002, tous les éléphants en captivité doivent être enregistrés auprès du département des Forêts sous peine de confiscation. Il y a une interdiction absolue sur la vente des éléphants en captivité et ils ne peuvent pas non plus être transférés ou transportés sans la licence appropriée.
Au Tamil Nadu, les propriétaires doivent également respecter les règles et directives du Règlement sur la maintenance et gestion des éléphants de 2011, qui précise les conditions dans lesquelles les animaux doivent être gardés (alimentation, hébergement, soins vétérinaires…)
Conséquence de la protection des éléphants : des incidents en augmentation
En Inde, environ 500 personnes meurent chaque année lors de rencontres avec des éléphants. Dans les années 1980, ce chiffre était de 125 personnes par an. Avec la croissance constante du nombre d’éléphants et la non-continuité des voies de migration notamment (parmi d'autres raisons citées par le Département des forêts), les incidents causés par des animaux errants se comptent par milliers, et les problèmes ne peuvent qu'augmenter. En parallèle, plus de 1000 éléphants ont été tués entre 2010 et 2020. Des éléphants sont régulièrement victimes d’accidents impliquant des humains, d’autres sont tués en représailles aux dégradations dont ils sont responsables.
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En juin 2023, quatre personnes ont été condamnées à 10 ans de prison par le tribunal d'instance de Coimbatore pour l'électrocution d'un éléphant sauvage. L'électrocution représente près de 70 % des causes de décès non naturelles des éléphants sauvages.
En Inde, un intérêt croissant pour la protection des éléphants
Comme beaucoup en Inde, j’ai suivi avec passion le voyage épique d’Arikomban (ou Arikompan, Arikkomban), un tusker (éléphant adulte) sauvage originaire du Kerala, capturé et déplacé plusieurs fois dans l'espoir de le tenir à l'écart des zones habitées par les humains. Car Arikomban raffole du riz… et il a tendance à aller se ravitailler dans les villages proches des forêts, y causant de nombreux dégâts.
L'intérêt pour son sort est devenu si démesuré qu'un plaidoyer demandant un rapport détaillé sur sa santé a été interposé à la Cour suprême indienne en juillet 2023. Les procès-verbaux laissent deviner que la pétition a enragé ses membres et la Cour suprême a refusé d'entendre le plaidoyer, l'a rejeté et a ordonné au requérant de payer le coût du litige et de s'adresser au tribunal compétent, à savoir la Haute Cour du Kerala. L'intérêt public concernant cette affaire a été si important qu'un film retraçant le parcours d'Arikomban est actuellement en tournage :
Le film retrace le combat pour la justice d'une créature qui a été expulsée ! L'histoire d'Arikomban est le dernier exemple en date de la manière dont une société, incapable de prendre en considération les problèmes des créatures avec lesquelles elle cohabite lorsque les villes et les colonies se développent, les exclut."
Sajid Yahiya, réalisateur
Des changements de comportement problématiques observés chez les éléphants
Mais Arikomban n'est pas le seul éléphant qui a appris à piller les magasins. Ce comportement est très courant dans le nord de l'Inde et a commencé à s'étendre aux éléphants du sud. En 2019, un tusker nommé Arisi Raja (aussi pour son amour du riz) a été l'un des premiers à être transféré d’une forêt à une autre. Depuis, deux animaux encore ont été déplacés, pour les mêmes raisons : Chinna Thambi et Vinayagan, ce dernier ayant apparemment entraîné Chinna dans ses raids.
Raman Sukumar, spécialiste des éléphants, a déclaré qu'il s'agissait d'un changement de comportement auquel il faut s'attaquer très rapidement avant qu'il ne devienne un problème plus large entraînant davantage de décès d'humains et d'animaux.
Les éléphants se rapprochent des zones habitées par les humains et sont attirés par les odeurs de nourriture. Parfois, ils comprennent que s’ils pénètrent dans une maison, ils peuvent y trouver de la nourriture. Ils prennent l’habitude de ce type de comportement, et d’autres éléphants les imitent.
Raman Sukumar
Le cas Arikomban : des ressources très importantes mises en œuvre pour un éléphant
Arikomban pillait déjà les cultures et les magasins en 2017 à la recherche de riz, mais aucune mesure efficace n'avait été prise à l'époque. En 2023, le problème est devenu si grave que le Chef du Département des forêts du Kerala a ordonné la capture de l’animal et son transfert vers un centre d'entraînement, dans l’espoir de l’éloigner des populations humaines.
Mais la Haute Cour du Kerala, au terme d’une séance nocturne, a déclaré que l’éléphant ne pouvait pas être gardé en captivité, et a ordonné son transfert dans une autre forêt, où il trouverait suffisamment de nourriture et d'eau. Arikomban a ainsi été relocalisé dans une réserve forestière du Tamil Nadu et le problème est passé d’un État à l’autre. Deux semaines à peine après son arrivée, il a dû être capturé à nouveau pour être transféré encore ailleurs. Menée par le Département des forêts du Tamil Nadu, cette nouvelle opération de capture a duré cinq jours. Elle a impliqué 150 personnes et 4 éléphants kumki (éléphants sauvages capturés qui ont été entraînés pour le travail).
Depuis cette épopée, Arikomban est installé en toute sécurité dans une forêt loin de toute habitation humaine. Mais pour combien de temps ? Autant de ressources et de moyens ne peuvent être mobilisés pour prendre soin de chacun des éléphants qui s'égarent et deviennent un danger pour l'homme et pour eux-mêmes. On le voit, malgré une réelle volonté du gouvernement et de la population indienne, les défis liés à la protection des éléphants en Inde restent encore nombreux.