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Les menottes : en Inde, une solution de dernier recours

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Écrit par Liliam Boti Llanes
Publié le 11 mai 2023, mis à jour le 29 avril 2024

Depuis mon arrivée en Inde, dans les fictions télévisées comme dans la réalité, quelque chose m’a frappée : on ne voit jamais de détenus menottes aux poignets. Les policiers les tiennent par la main, comme on emmène un enfant. Étonnée, j'ai consulté la jurisprudence, et en effet, la loi indienne interdit les menottes et toute forme d'entrave, sauf dans les cas extrêmes.

 

En Inde, pas de détenus menottés, ni à l'écran ni dans la réalité

Lorsque je suis arrivée en Inde en septembre 2021, ma meilleure amie m’a conseillé de regarder la série Delhi Crime en précisant : « n’oublie pas de faire attention aux détails ! ». Elle est productrice de cinéma en Europe et Amérique Latine, mais comme nous avons suivi ensemble des études de droit, je me suis tout de suite intéressée à ces détails qui rendent cette série aussi originale du point de vue d’un avocat.
 

Dans la série Dehli Crime, les détenus, suspects ou condamnés, ne sont jamais menottés.
Dans la série Dehli Crime, les détenus, suspects ou condamnés, ne sont jamais menottés.

 

À la même époque, en octobre 2021, a eu lieu l’affaire Aryan Khan. Aryan Khan, fils ainé de la star bollywoodienne Shah Rukh Khan, était accusé d’avoir consommé des drogues récréatives lors d’une fête. Il a été innocenté en mai 2022, après avoir passé trois semaines en prison et au terme de trois jours de procès. Durant cette période, le détenu a fait de nombreux allers-retours entre la prison Centrale, Arthur Road Prison, et la Haute Cour de Mumbai.

Cette affaire, qui avait tous les éléments d’un drame de Bollywood, a fait grand bruit. Et elle a soulevé des sujets très controversés, comme la possibilité pour un citoyen de rester derrière les barreaux pendant une longue période en attendant son jugement, et les atteintes à la vie privée qui peuvent être commises par les autorités sous le couvert de la sécurité nationale.
 

suspect tenu par la main
Aryan Khan emmené par la main au tribunal. Photo : file archive


Mais ces problèmes sont aujourd’hui universels, et ce ne sont pas ces sujets qui m’ont fait faire un lien entre Delhi Crime et l’arrestation d’Aryan Khan. C’est plutôt un détail : le fait qu’à l’écran comme dans la réalité, on ne voit jamais de détenus menottés. Tant Aryan que les meurtriers dans la série étaient emmenés par la main par les policiers en charge de leur transport et de leur sécurité, comme on emmène un enfant ou un proche.

Plus tard, j’ai été amenée à me rendre à la prison de Puzhal à Chennai, où les prisonniers ne sont pas menottés non plus.

 

L’interdiction des menottes inscrite dans la loi indienne

Étonnée, j’ai consulté les textes de lois sur les menottes. Et en effet, la loi en Inde interdit les menottes, sauf dans les cas extrêmes. Conformément aux directives de la Cour Suprême indienne, leur utilisation par la police et le personnel pénitentiaire n’est possible que sur autorisation d’un tribunal.

  • Déjà en 1978, dans le procès Sunil Batra vs Delhi Administration, la Cour suprême a statué que menottes et toutes formes d’enchaînements (à l’intérieur comme à l’extérieur des prisons) doivent être évitées car elles portent atteinte à la dignité humaine et sont une insulte à la culture indienne.
  • En 1980, la Cour Suprême de l’Inde a confirmé lors du procès Prem Shankar Shukla vs Delhi Administration que la seule circonstance qui valide l’incapacité par les menottes (une mesure extrême) est l’absence d’autre moyen raisonnable d’empêcher la fuite du détenu. Lorsqu’une personne arrêtée ou condamnée peut être empêchée de s’évader en renforçant la sécurité d’une autre manière, ce renforcement doit être la norme au détriment du menottage.

Et, précision importante : c’est à celui qui met la personne sous menottes de prouver qu’il s’agit de la seule solution. La Cour Suprême a statué clairement qu’aucun détenu ne doit être menotté ou entravé régulièrement ou simplement pour la commodité du gardien ou de l’escorte.

Les menottes sont à première vue inhumaines, déraisonnables et de prime abord arbitraires sans procédure équitable et surveillance objective. [...] Lier un homme à la main et aux pieds, attacher ses membres avec des cerceaux d’acier, le traîner dans la rue et le soutenir pendant des heures devant les tribunaux, c’est le torturer, souiller sa dignité, vulgariser la société et salir l’âme de notre culture constitutionnelle.

Décision de la Cour Suprême dans l'affaire Prem Shankar Shukla vs Delhi Administration, 1980

  • En 1995, dans l’affaire Citizens for Democracy v. State of Assam, la Cour suprême a émis des instructions très précises sur l’utilisation des menottes. La Cour a ordonné et établi comme règle que les menottes ou autres entraves ne doivent pas être imposées à un prisonnier - condamné ou en cours de jugement - lorsqu’il est incarcéré dans une prison n’importe où dans le pays ou pendant le transport ou le transit d’une prison à l’autre ou de la prison au tribunal et retour. La police et les autorités pénitentiaires ne sont pas habilitées à elles seules à ordonner le menottage d’un détenu d’une prison du pays ou durant le transport d’une prison à une autre ou de la prison au tribunal et retour. Seul un magistrat peut accorder l’autorisation de menotter un prisonnier.
  • Et finalement, en 2022, la Cour de l’état du Karnataka s’est prononcée dans le procès Suprit Ishwar Divate vs The State of Karnataka sur le sujet. La question posée au Tribunal était le droit d’un détenu à une indemnisation pour avoir été menotté, sans que les raisons de ce menottage n’aient été consignées dans le bulletin journalier du commissariat de police. Et la Cour lui a donné raison. L’accusé avait été détenu en vertu d’un mandat d’arrêt, délivré par un magistrat et ne pouvant donner lieu à une libération sous caution, ce qui en soi implique que le détenu avec commis un crime. Mais cette seule raison ne pouvait pas justifier qu’il soit menotté. L’État a été condamné, et le détenu a eu droit à indemnisation.

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Compte tenu des instructions susmentionnées de la Cour suprême, la police indienne n’impose pas de menottes aux personnes arrêtées. Cette situation juridique s’applique non seulement aux personnes en détention provisoire, mais aussi aux condamnés.

Un domaine dans lequel le système judiciaire indien a beaucoup d’avance !

 

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