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A Phnom Penh, une exposition met à l’honneur les femmes Bunong

Artiste Kanha - Teng Yalirozy Artiste Kanha - Teng Yalirozy
L'artiste cambodgienne Kanha Hul à la galerie Silapak Trotchaek Pneik de Phnom Penh, où ses œuvres sont actuellement exposées. - Teng Yalirozy
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 5 mars 2023, mis à jour le 9 juin 2023

"Le goût, comme l'identité, n'a de valeur que lorsqu'il y a des différences", a déclaré un militant italien. C'est ce que l'artiste cambodgienne Kanha Hul a gardé à l'esprit en explorant les différences qui font partie de l'identité des femmes Bunong.

 

Le résultat est une série d'œuvres mixtes intitulée "Valeurs" actuellement exposée à Phnom Penh qui met en scène des femmes Bunong de la province de Mondulkiri, dans le nord-est du Cambodge, dans laquelle elle a intégré le tissu distinctif aux couleurs profondes qu'elles produisent.

 

La culture Bunong comme inspiration

Kanha a déclaré que l'idée de cette série lui est venue après avoir exposé sa série "One Hundred Hands" dans une exposition collective en 2020. Alors qu'elle travaillait avec sa mère, les femmes et les filles de son village lors d'un atelier qu'elle avait organisé, Kanha s'est souvenue du proverbe "les femmes ont 100 mains" et avait décidé d'exprimer d'une nouvelle manière tous les différents rôles que les femmes jouent dans la société.

Après avoir terminé l'atelier avec les villageois et sa série de 100 mains, elle a déclaré dans une interview : "J'ai demandé à ma mère, qui est ma meilleure amie, ce qu'elle pensait de ce travail. Elle a dit que c'était bien et m'a demandé si je voulais continuer à faire ce genre de chose”.

 

"J'ai répondu que j'aimerais bien, mais que je ne savais pas par où commencer", a déclaré Kanha. "Ma mère m'a demandé quelles étaient les responsabilités des femmes autochtones de Mondulkiri dans leur communauté et si elles étaient respectées par les autres. Ces questions m'ont conduite à la province de Mondulkiri, qui est la province que je souhaitais visiter depuis longtemps."

 

Kanha a commencé à travailler sur cette série en janvier 2022 après avoir obtenu une subvention de l'ONG Cambodian Living Arts (CLA). Elle s'est rendue dans les communes de Dak Dam et Bousra, où vit la communauté Bunong. Essayant de se familiariser avec les villageois, Kanha a rapidement gagné leur confiance et a commencé à poser des questions sur leur vie et leurs croyances. C'est ainsi qu'est née sa série "Valeurs", dans laquelle elle combine photographie, peinture et collage. 

 

Dans ses œuvres, la jeune artiste a voulu se concentrer sur les valeurs des anciennes et des nouvelles générations de la communauté, car la société évolue, tout comme les moyens de subsistance des populations rurales indigènes.

 

"Je voulais savoir si la valeur de chaque personne est différente ou non, en particulier celle des femmes cambodgiennes et des femmes autochtones", a-t-elle déclaré. "Elles ont la même valeur mais avec des variations en fonction du contexte".

 

Comme l'a expliqué Kanha, les femmes autochtones Bunong ont un mode de vie unique basé sur les habitudes et les croyances de leur communauté, pratiquées depuis longtemps, comme c'est le cas pour les femmes cambodgiennes. "Le caractère unique et les différences dans leurs modes de vie et dans leurs croyances constituent leur valeur", a-t-elle affirmé.

 

"Les femmes cambodgiennes et indigènes ont un mode de vie différent, nous ne pouvons donc pas les comparer les unes aux autres", a-t-elle ajouté. "Donc, je pense que c'est la valeur de leur identité. La valeur varie en fonction des différents contextes et de la société."

 

Bien que le mode de vie des femmes autochtones évolue et soit influencé par des facteurs extérieurs, elles conservent une valeur, à savoir leur identité, leur culture et leur mode de vie, a déclaré Kanha. Les femmes Bunong suivent et maintiennent toujours leur culture et leurs traditions, notamment leur langue.

Les membres de la communauté de Dak Dam lui parlent en khmer mais communiquent entre eux dans leur propre langue, seuls quelques enfants pouvaient communiquer en khmer.

 

C'est le point qui, à mon avis, fait leur valeur et leur importance : leur langue

 

, a-t-elle défendu.

 

Peinture Kanha - Teng Yalirozy
Photo: Œuvre d'art intitulée "Responsibility, 2022" de l'artiste Hul Kanha.- Teng Yalirozy

 

La série d'oeuvres "Valeurs"

Exposée à la galerie Silapak Trotchaek Pneik de Phnom Penh, la série "Valeurs" de Kanha se compose de 13 œuvres mixtes représentant des filles et des femmes Bunong : des photographies sur lesquelles elle a travaillé avec du fil de soie doré et argenté, des crayons noirs et blancs et de l'acrylique doré.

Son travail sur les photographies consiste généralement à esquisser, découper et coudre sur ses tirages. Pour cette série, elle a coupé certaines parties des photographies et cousu des morceaux de papier peint à l'acrylique en fonction du déroulement de l'histoire, explique-t-elle.

 

Lorsqu'on lui demande pourquoi elle a choisi la couleur or, elle répond qu'elle a été influencée par le proverbe populaire cambodgien "les hommes sont comme de l'or, les femmes sont comme du tissu blanc".

Kanha a appris ce proverbe de sa mère. Il signifie que les hommes brillent et sont considérés comme de l'or même s'ils font des erreurs. En revanche, les femmes étant un tissu blanc, leurs erreurs sont considérées comme des gouttes noires dégoulinant sur le tissu blanc, difficiles à enlever, ce qui les rend irresponsables et perdues.  

 

"Mais aujourd'hui, la plupart des femmes peuvent voir leur valeur ainsi que leurs responsabilités", a-t-elle ajouté.

 

Kanha incorpore toujours du tissu dans ses œuvres, car les femmes en ont besoin. Sa précédente série d'œuvres exposées dans le cadre d'une exposition collective s'intitulait “Khmer Sarong”, d'après la longue pièce de tissu traditionnelle que les gens enroulent autour de leur corps.

Cette fois, elle a utilisé un "sarong” ou “vêtement indigène" pour représenter la valeur des femmes Bunong. "Le tissu est important pour moi et pour les autres femmes", a-t-elle précisé. "Quand j'étais jeune, je n'avais pas assez de vêtements à porter. De plus, les femmes ont besoin de vêtements pour se couvrir et pour être belles... Tout cela représente les femmes.".

 

L'une de ses photographies représente une mère, un fils et une fille, les yeux couverts. La peinture s'intitule "Sacrifice" car elle traduit le sacrifice de la mère qui enseigne également à ses enfants la valeur du sacrifice.

 

Lorsqu'on lui a demandé quelle était son œuvre préférée dans cette série, Kanha a répondu "28 jours", qui représente une femme enceinte. La série, dit-elle, vise à montrer que ces femmes donnent naissance à des enfants et les élèvent, en prenant soin d'eux comme le font les femmes cambodgiennes.

Cependant, à la différence des cambodgiennes, les femmes Bunong qu'elle a rencontré portent leurs bébés sur leur dos dans des porte-bébés traditionnels pour vaquer à leurs occupations. La communauté qu'elle a visitée adhère au mode de vie traditionnel dans une proportion de près de 80 %.

 

L'art pour échapper à la dépression et se retrouver

Née en 1999, Kanha Hul a rejoint un orphelinat de la ville de Siem Reap en 2010 pour pouvoir recevoir une éducation. Mais les enfants recevaient si peu de nourriture qu'elle savait qu'elle devait partir pour survivre. Elle est donc partie en 2013, et est allée vivre avec un oncle qu'elle a fini par considérer comme son père.

Alors qu'elle était au lycée, Kanha a traversé une dépression en 2017 au point d'avoir des difficultés à respirer, dit-elle. Se sentant différente des autres élèves car elle venait d'une zone rurale, sans père et sa mère vivant loin, elle s'est isolée.

 

C'est à ce moment-là que Kanha a commencé à dessiner. "Parfois, je me levais à trois heures du matin pour dessiner", raconte-t-elle. "Le dessin est l'outil qui apaise et libère mes émotions car je peux parler avec le dessin".

 

En 2019, après avoir terminé ses études secondaires, Kanha a commencé à rencontrer des artistes. Incertaine de qui elle était et voulait devenir, la seule chose qu'elle savait était qu'elle aimait dessiner. Cela l'a amenée à prendre une énorme décision : quitter son oncle et vivre seule pour se trouver.

 

Après avoir rejoint l'Open Studio Cambodia basé à Siem Reap en 2019, Kanha a commencé à parler régulièrement à sa mère et à produire des œuvres d'art inspirées par l'histoire de vie de sa mère et les questions qu'elle posait. Depuis 2020, son travail a figuré dans plusieurs expositions collectives, cette exposition à Phnom Penh étant sa première exposition solo.

 

"J'ai essayé de me trouver et d'identifier mes points faibles, j'ai essayé de savoir si cette société m'avait fait du mal ou si je m'étais fait du mal", a déclaré Kanha. "Je suis progressivement sortie de la dépression".

 

"Mon message aux jeunes est que je veux qu'ils s'aiment eux-mêmes avant d'aimer les autres", a-t-elle ajouté. "Ce n'est qu'en vous aimant et en vous connaissant que vous pouvez résoudre vos problèmes. Quand on s'aime, on ose accepter et prendre des décisions".

 

Ses œuvres ont été présentées dans des expositions collectives en France et aux États-Unis.

"Sacrifice 2022", Kanha - Teng Yalirozy
Photo: Œuvre multimédia de l'artiste Kanha Hul intitulée "Sacrifice, 2022". - Teng Yalirozy

 

L'exposition à la galerie Silapak Trotchaek Pneik, qui se trouve dans la rue 830, près du boulevard Sothearos, se tient jusqu'au 30 avril 2023.     

 

Pour plus d'informations sur la galerie Silapak Trotchaek Pneik.

 

 Teng Yalirozy

 

Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui a permis de traduire cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.

 

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