Le Cambodge est le pays des merveilles, on le sait. Et quand on pense Merveilles, on pense surtout à ses temples séculaires. Mais c’est aussi parfois le pays des contes de fées, ou presque. L’histoire de Pagna, un gamin né dans les camps, scolarisé grâce à une ONG française, qui décroche un diplôme en génie rural et qui préfère monter de toute pièce une école pour y enseigner le français est de celle-là.
C’est l’histoire de la rencontre entre un petit Cambodgien et une langue , celle de Molière comme il l’appelle maintenant. Cet amour va le pousser à publier la première grammaire française écrite par un Cambodgien.
Un enfant que rien ne prédestinait à une telle carrière
Pagna a 32 ans. Il est né en 1990 dans un camp de réfugiés à la frontière khméro-thaïlandaise. Sa famille était très pauvre. Il voit ses parents contraints de mendier pour survivre.
Quand il a 11 ou 12 ans, il ne se souvient plus très bien, sa famille va s’installer à côté du temple de Bantay Chhmar. C’est là qu’une ONG française, Enfants du Mékong, le prend sous son aile. Il est scolarisé. Il découvre alors, grâce à des volontaires, ses premières notions de français. Petit, il entendait parfois son père s’amuser à invectiver les chiens avec les quelques mots de français qu’il possédait. Cela amusait et en même temps interpellait l’enfant.
Les volontaires, il s’en souvient : on les appelait: « les Bambous ». Il ne sait pas vraiment pourquoi on les a attifés d’un tel surnom.
Il nous confie :
Le Bambou est un matériau de construction indispensable au Cambodge. Je pense que ce surnom reflète la polyvalence et l’utilité de ces volontaires
Quand il a quinze ans, ce sont ces mêmes bambous qui arrivent à convaincre son père qu’il doit continuer l’école dans un internat à Sisophone. Les autres enfants de son âge partent souvent en Thaïlande pour y trouver du travail. Là, il étudie le khmer, les mathématiques et le français. Il ne rentre chez lui que deux ou trois fois par an.
Des études d'ingénieur ponctuées par l'apprentissage du français
En 2012; à l’âge de 23 ans , il décroche une bourse octroyée par Enfants du Mékong pour continuer ses études à L'institut de technologie du Cambodge, à Phnom Penh. Il se lance dans le génie rural, y apprend à développer les infrastructures, les canaux, les routes…
Mais ce qu’il aime le plus c’est le Français. Il continue à l’apprendre. Dans son cursus, il est d’ailleurs confronté à des documents en français. Il suit des cours, mais c’est surtout seul qu’il progresse. Il lit le Figaro sur internet, recherche les mots, les locutions qu’il ne connaît pas.
C’est là qu’il découvre sa vocation pour l’enseignement. En effet, son niveau est tel (Il décroche le B2) qu’il peut remplacer un prof absent. Et le voilà lui étudiant en train d’enseigner le français à ses pairs. En troisième année, pour envoyer de l’argent à sa famille, il donne des cours privés.
La création d'ELAN, un rêve devenu réalité
Ainsi , quand il décroche son diplôme en 2017 , il décide de se consacrer pleinement à l’enseignement du Français. Jamais il n’exercera en tant qu’ingénieur en génie rural. Il est d’abord embauché par L’iTC et Enfants du Mekong.
Mais bien vite il monte sa propre école qu’il appelle ELAN :
E pour Éducation , une éducation de qualité
L pour Liberté, le fait de pouvoir être libre de pouvoir faire ce qu’on aime
A pour Amitié
N pour Nation car il faut tout faire pour aider le Cambodge
Il y accueille maintenant une centaine d’élèves, majoritairement des étudiants, dans de tous nouveaux locaux situés Rue 371, Sangkat Obekaom, Khan Sen Sok, à Phnom Penh.
La création de la première grammaire française écrite par un khmer, pour les khmers
Pagna, en tant qu'étudiant, avait ressenti un manque, celui d’une grammaire française expliquée en Khmer pour les étudiants cambodgiens, avec les difficultés qui leur sont propres. Quelques fois les documents qu’il consultait étaient trop compliqués, il s’est donc juré de publier un jour la grammaire qu’il rêvait d’avoir en tant qu’étudiant.
Alors il s’est mis au travail. Il a approfondi les points qui lui semblaient encore un peu obscurs. Il a beaucoup appris en écrivant ce livre. A ceux qui lui demandaient s’il n’avait pas peur des critiques, il répondait qu’au contraire les critiques le faisaient avancer.
Et quand on questionne Pagna sur ses rêves, il répond sans hésiter :
Je veux faire du Cambodge un pays vraiment francophone, je veux que les gens dans la rue, les moto dop, puissent parler Français. Je veux ouvrir des écoles dans chacune des provinces. Je veux aussi continuer à écrire d'autres livres, pour les Cambodgiens, pour les Français parce que s’ils ont accès à des ouvrages bien expliqué, ils apprendront.
Et il ajoute aussi :
J’aimerais aussi un jour recevoir le Président de la République française, comme ami, et lui faire découvrir mon pays.
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À bientôt.