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Nouveau roman d’Alain Forest: une plongée dans le travail de la Conservation d'Angkor

Alain Forest - François Camps Alain Forest - François Camps
Alain Forest, professeur émérite français et expert de l'histoire du Cambodge, a vu son dernier livre, "Le Karma du conservateur", publié en novembre 2022. - Francois Camps
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 17 février 2023, mis à jour le 17 février 2023

Professeur émérite français et expert de l'histoire du Cambodge, Alain Forest a vu son dernier livre, "Le Karma du conservateur", publié en novembre 2022. A 75 ans, il a décidé de s'essayer aux romans.

 

Alain Forest, qui a vécu au Cambodge dans les années 1960, a publié en 1980 une étude qui est devenue une lecture indispensable pour tout historien étudiant l'administration française au Cambodge. 
Intitulé "Le Cambodge et la Colonisation Française", le livre de 542 pages se concentre sur la période de 1897 à 1920 durant laquelle “l'administration française a établi ses modèles”, rapporte-t-il. Parmi ses autres ouvrages, il a publié en 1992 une étude sur les esprits protecteurs du Cambodge, les neak ta, et en 2012 le livre "Histoire religieuse du Cambodge" dans lequel il explique quand et pourquoi les Cambodgiens en sont venus à embrasser diverses religions au fil des siècles.


Ainsi, même si l’auteur situe ses personnages dans un contexte historique, l'écriture d'un roman s'est éloignée de ses travaux habituels. Lors d'une récente visite au Cambodge, Alain Forest a accepté de discuter de l'intrigue de son livre dans lequel des croyances ancestrales qui pourraient dater de l'époque angkorienne rencontrent le travail méticuleux des conservateurs français des années 1930.
 

Pouvez-vous résumer l'intrigue du livre ?

C'est l'histoire d'un jeune couple marié, Daniel et Julie, qui arrive à Siem Reap au début des années 1930. Daniel travaille comme architecte pour la Conservation d'Angkor [où sont stockés et conservés les objets trouvés à Angkor] et Julie est sociologue. Alors qu'il vient travailler à la restauration des temples d'Angkor, elle veut se consacrer à l'étude des villages cambodgiens de la campagne. Tous deux s'intègrent très vite dans la communauté locale. Mais au bout de quelques mois, Daniel commence à se comporter bizarrement : il est devenu terriblement jaloux de sa femme, qui décide de le quitter...Daniel finit par se suicider.

 

Mais le livre n'est pas un roman policier, n'est-ce pas ?

Non, ce n'est pas le cas. Il est inspiré de l'histoire de Georges Trouvé, qui était en effet un archéologue français qui s'est suicidé à Angkor après que sa femme l'ait quitté. L'affaire n'a jamais été complètement résolue. Mais "Le Karma du conservateur" est vraiment une histoire qui sort tout droit de mon imagination, ce n’est pas une histoire réelle.

 

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Tout d'abord, c'était un moment de détente à faire " à la fin de ma vie ", si je puis dire. Le but était de transmettre l'atmosphère de cette époque : le travail de la Conservation d'Angkor, les gens qui travaillent dans les temples, le passage de la saison des pluies à la saison sèche. Il y a un peu de nostalgie dans ce livre. Il idéalise en quelque sorte cette époque. Pour être honnête, j'ai rêvé de vivre à cette époque et de travailler à la rénovation des temples. Grâce à ce livre, je me suis fait ce cadeau.

 

Même si le livre est vraiment une fiction, des faits historiques ou des explications réelles sur les fouilles archéologiques en cours apparaissent tout au long de l'histoire. Était-ce un aspect important de l'écriture que d'apporter des faits réels au lecteur, en plus de l'histoire fictive ?

Tout d'abord, je voulais transmettre le sentiment de cette époque particulière de la colonisation française, où Français et Cambodgiens s'entendaient plutôt bien, notamment lorsqu'ils travaillaient à la restauration des temples angkoriens. C'était à peu près le cas jusqu'au milieu des années 1930 ou au début des années 1940. Je pense que j'ai bien fait les choses, car certaines personnes pensent que le livre traite de faits réels. C'est toujours un exploit pour les romanciers lorsqu'ils parviennent à faire en sorte que la fiction semble plus réelle que la réalité. Mais encore une fois, le livre n'est pas un livre d'histoire : J'ai établi des liens entre des faits et des événements, mais les dates ne correspondent pas à la réalité et les personnages sont totalement fictifs.

 

Néanmoins, j'ai voulu diffuser certaines connaissances par la lecture. Par exemple, lorsque je parle de fouilles archéologiques, j'utilise suffisamment de matériel et j'emploie le vocabulaire approprié pour faire comprendre aux gens que je sais de quoi je parle. Mais en même temps, je ne veux pas entrer dans trop de détails. Par exemple, dans le livre, je ne décris jamais précisément ce qu'est une anastylose.

 

Une anastylose ?

Les Hollandais ont inventé cette technique à Java, en Indonésie. Au lieu d'essayer de reconstruire un temple, ils ont commencé à le reconstituer en utilisant les matériaux qu'ils pouvaient trouver sur place, car les pierres ne tombent jamais loin de l'endroit d'origine. L'idée n'était pas de reconstruire exactement un temple tel qu'il était à l'origine, mais de le préserver autant que possible. Si une pierre manquait, on utilisait une pierre similaire pour la remplacer. Mais cette nouvelle pierre n'était pas nécessairement située à l'endroit exact où elle se trouvait à l'origine.

 

Les Français ne procédaient pas de cette manière au tout début des travaux de conservation à Angkor. Tout était plus archaïque. Mais un jour, des archéologues néerlandais sont venus à Angkor et se sont moqués d'eux, leur disant qu'ils pouvaient faire un meilleur travail. Après quelques mois de formation, les Français ont fini par faire de l'anastylose eux aussi.

 

Vous êtes un chercheur reconnu sur le bouddhisme d'Asie du Sud-Est, l'Indochine française, et êtes professeur émérite à l'Université Paris Diderot. Après de nombreux ouvrages de recherche parlant de la région, pourquoi écrire un premier roman ?

Justement grâce à mes travaux de recherche ! J'ai passé ma vie professionnelle à fouiller pendant des heures et des heures dans les archives de la colonisation française en Indochine. Elles n'étaient même pas classées quand j'ai commencé. Donc, écrire un livre de recherche et un roman sont deux choses complètement différentes. En outre, je suis maintenant à la retraite. Je m'étais dit que j'écrirais un roman une fois à la retraite, donc c'était le bon moment.

 

Le livre est aussi une bonne occasion de parler des croyances traditionnelles khmères. Dès qu'ils lisent le titre du livre, les lecteurs savent que le karma va jouer un rôle important dans l'intrigue. Le livre est-il une rencontre entre deux mondes : le monde occidental, très rationnel, et le monde khmer, où les esprits et les fantômes façonnent le monde autant que les vivants ?

Daniel, le personnage principal, ne s'y intéresse pas vraiment. Mais son suicide n'est pas uniquement basé sur des comportements rationnels. Les Cambodgiens ont d'ailleurs leur propre explication. Dans le livre, le gouverneur khmer de Siem Reap croit en fait que Daniel est son fils d'une ancienne vie, car il a foi dans la croyance "Pouk Mdai Dae". En bref, cette croyance implique qu'après la réincarnation, une personne doit normalement vivre une autre vie entourée de ses proches. Mais la chaîne peut être brisée si une erreur majeure est commise et l'on ne sera pas réincarné avec son ancienne famille. Le gouverneur croit en fait que Daniel était son fils, mais qu'il s'est déjà suicidé dans une vie antérieure, ce qui l'a séparé de ses vrais parents d'origine.

 

Dans le livre, les croyances cambodgiennes prennent peu à peu le pas sur les croyances occidentales. Les travaux de conservation à Angkor perturbent les esprits des temples. Pour les Cambodgiens, Daniel franchit des lignes dangereuses qui troublent et irritent les esprits. Il jouait avec le feu... et finit par mourir seul.

 

Vous êtes maintenant à la retraite mais vous ne semblez pas être le genre de personne qui s'arrête réellement de travailler. Avez-vous des projets pour l'avenir ?

Pas un roman. Mais j'aimerais écrire un autre livre de recherche pour retracer l'histoire du Cambodge, des origines à nos jours.

 

 François Camps

 

 

Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui a permis de traduire cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.
 

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