La fin soudaine de l’aide américaine fragilise la lutte anti-TB au Cambodge : dépistages en chute, centres fermés, risque de flambée des cas et d’objectifs 2030 hors de portée.


Tim Sreu est de nouveau sur pied. Cet agriculteur d’âge mûr de la province de Kampong Cham explique qu’il peut désormais gérer les tâches quotidiennes qui, autrefois, le laissaient alité après des années de tuberculose (TB) non traitée.
Il attribue sa guérison à un projet financé par les États-Unis qui l’a dépisté et l’a orienté vers un traitement l’an dernier. Sans cela, dit-il, il n’aurait peut-être jamais été testé.
« Ils ont diffusé des informations sur la maladie et m’ont poussé à rester sous mon traitement », déclare Sreu à propos du projet Promoting Healthy Behavior, l’un de plusieurs programmes TB autrefois soutenus par des dizaines de millions de dollars de l’USAID (U.S. Agency for International Development).
« Cette organisation m’a sauvé la vie et a aidé beaucoup d’autres », ajoute-t-il en parlant de l’équipe du porteur de projet.
Mais ces derniers mois, les bénévoles et le personnel médical qui menaient des campagnes de sensibilisation et de dépistage dans les zones reculées de Kampong Cham ont disparu. C’est aussi le cas dans neuf autres provinces mal desservies.

Tim Sreu, rétabli de la TB l’an dernier grâce au projet USAID Promoting Healthy Behavior, tient un certificat de bénévole reconnaissant son action pour partager son expérience de traitement. 9 août 2025. (CamboJA/Seoung Nimol)
Des coupes massives qui grippent la machine
Ce retrait fait suite à la décision, prise en début d’année par l’administration Trump, de réduire de 83 % les projets de l’USAID dans le monde, dont 30 au Cambodge. La coupe de 260 millions de dollars a touché la santé, l’éducation, la société civile et les droits humains, laissant les équipes de terrain s’efforcer de contenir la TB et d’atteindre l’objectif de l’éliminer dans les cinq ans. Les donateurs de remplacement tardent pour l’instant à se manifester.
Entre le gel initial de l’aide en janvier et les coupes permanentes de mars, plus de la moitié des opérations actives de recherche de cas ont été stoppées, privant environ 100 000 personnes de dépistage. Selon un rapport du Stop TB Partnership, environ 300 cas résistants aux médicaments et 10 000 cas sensibles n’ont pas été détectés.
« Par rapport à la même période de sept mois l’an dernier, les dépistages de TB ont chuté d’environ 16 % faute de financements », indique Hout Chan Yuda, directeur du Centre national de lutte contre la tuberculose et la lèpre (CENAT), qui collabore avec des ONG pour mener trois grands programmes TB autrefois soutenus par les États-Unis.
Il ajoute qu’environ 16 500 personnes ont été dépistées à travers le pays depuis le début de l’année, dont plus de 7 500 se sont révélées positives.
Une dépendance risquée à l’aide extérieure
Renforcer la capacité de lutte contre la maladie infectieuse la plus mortelle au monde a pris des décennies au Cambodge et s’est largement appuyé sur l’aide étrangère, Washington jouant longtemps le rôle de bailleur principal.
S’appuyer lourdement sur l’aide extérieure pour des programmes essentiels de santé et d’éducation est un système précaire au Cambodge : il est critiqué pour encourager la dépendance, freiner le développement des capacités nationales et exposer des services vitaux aux agendas changeants des donateurs.
Le pays a toutefois enregistré des avancées — surtout sur le traitement. Les cas déclarés étaient d’environ 32 300 en 2023, contre 32 800 en 2022, avec un taux de succès thérapeutique d’environ 96 % selon le ministère de la Santé. Le Cambodge est sorti en 2021 de la liste des 30 pays à forte charge TB de l’OMS, tout en restant sur la liste de surveillance — et, au sein de l’ASEAN, il figure toujours parmi les pays ayant les cas les plus nombreux.

Dans le droit fil des Objectifs de développement durable de l’ONU, le pays vise l’élimination de la maladie d’ici 2030.
Mais Yuda avertit que le retrait de l’aide pourrait laisser environ 10 000 personnes infectées sans soutien chaque année. Les financements couvraient tout, des appareils radiographiques portatifs assistés par IA pour le dépistage aux bureaux de terrain et au support opérationnel des programmes de traitement. Faute de nouveaux apports pour combler le trou, le Cambodge risque de perdre les 10 à 20 % de progrès annuels nécessaires pour tenir l’objectif 2030.
Une évaluation conjointe USAID–Stop TB Partnership, menée en février, a constaté que les progrès vers l’objectif onusien restent limités : les cas n’ont baissé que de 8,5 % entre 2015 et 2023, très loin de la cible de 50 %, tandis que la mortalité a augmenté de 14 %, soulignant l’urgence de renforcer les interventions.

Des lacunes de financement laissent des millions de personnes exposées
Le programme Community Mobilization Initiatives to End TB 2 (COMMIT 2) était le projet phare de l’USAID pour aider le Cambodge à combattre la maladie, dont le taux d’incidence s’élevait à 335 pour 100 000 personnes en 2023.
Cinq mois seulement avant sa mise en suspens, l’ancienne directrice de l’agence Samantha Power avait annoncé 4 millions de dollars de financement de lancement, amorce des 15 millions promis sur cinq ans pour élargir l’accès au dépistage, au diagnostic et à la prévention dans les zones rurales.
Choub Sok Chamreun, directeur exécutif de KHANA, la plus grande ONG cambodgienne axée sur le VIH et partenaire de longue date de l’USAID, explique que le projet était conçu pour joindre plus de quatre millions de personnes vulnérables.
À présent, avec la perte de l’appui technique et l’amenuisement des fonds, 200 agents de projet et 5 000 bénévoles communautaires qui animaient 27 bureaux de terrain coordonnant l’appui technique et financier aux services TB dans neuf provinces ont été remerciés, précise Chamreun.

En conséquence, environ 25 000 cas potentiels n’ont pas été diagnostiqués rien qu’en mars, selon le Stop TB Partnership, tandis que 8 000 personnes ont manqué des activités cruciales de sensibilisation — des programmes jugés vitaux pour la recherche active de cas et la compréhension communautaire.
Les données plus récentes, jusqu’à la fin août, sont limitées, mais les tendances suggèrent que des centaines de milliers de personnes supplémentaires à risque n’ont pas été dépistées, avec des dizaines de milliers d’infections supplémentaires non signalées.
Chamreun indique que KHANA n’a pas encore sécurisé de nouveaux financements pour combler entièrement le vide laissé par l’USAID, même si une nouvelle subvention du gouvernement français devrait aider à détecter environ 1 000 cas de TB par an pendant les quatre prochaines années.
Le Stop TB Partnership est intervenu pour financer et rouvrir temporairement les 27 centres d’opérations fermés, mais le soutien demeure limité et la subvention court seulement jusqu’à la fin de cette année.
La course aux donateurs de substitution
Cette recherche d’alternatives s’étend à de nombreux secteurs civils et de développement autrefois soutenus par les États-Unis, certains se tournant vers d’autres pays occidentaux pour des subventions petites et temporaires. La Chine est restée en partie en retrait sur les projets non liés aux infrastructures, tandis que le gouvernement cambodgien s’est borné à des déclarations sur le maintien de la priorité donnée à la TB, sans indiquer de nouveaux financements publics pour étendre les services — laissant ouverte la question du pays qui comblera le vide et récupérera l’influence perdue des États-Unis.
Depuis les coupes américaines, Pékin a annoncé de nouveaux financements dans des domaines autrefois soutenus par Washington, notamment l’éducation des enfants et le déminage. Dans les deux semaines qui ont suivi la suspension — avant rétablissement par dérogation présidentielle — de l’aide américaine au déminage, la Chine a promis 4,4 millions de dollars à ce secteur.
Jusqu’ici, cependant, Pékin n’a pas apporté d’aide spécifique à la TB, continuant plutôt de financer les infrastructures de santé au sens large.
Des services TB perturbés = des infections incontrôlées
Avec le recul du diagnostic, du dépistage et des efforts de sensibilisation, les experts alertent sur des infections incontrôlées, une TB multirésistante et des rechutes.
« S’il n’y a pas d’intervention significative rapidement, le risque de propagation exponentielle augmente, et des décès s’ensuivront », déclare le directeur du CENAT, Hout Chan Yuda.

Les recherches de l’OMS montrent que lorsque les services TB — dépistage, diagnostic et actions communautaires — sont perturbés, davantage de cas échappent à la détection, la maladie se propage, et les patients qui interrompent leur traitement risquent davantage de développer des formes multirésistantes.
En 2023, des cas résistants ont commencé à apparaître au Cambodge : 122 cas résistants à la rifampicine, un antibiotique clé du traitement, ont été identifiés.
Les campagnes de sensibilisation ont constitué une ligne de front essentielle, surtout dans les zones rurales, pour alerter la population aux risques de TB et accompagner des patients comme Tim Sreu tout au long du traitement.
Ces actions étaient en grande partie portées par l’ancien projet financé par l’USAID Promoting Healthy Behavior (PHB), opérationnel depuis 2018 et programmé jusqu’en juin de cette année, avec un contrat de suivi attendu pour poursuivre les opérations. Le projet menait régulièrement des campagnes de plaidoyer et soutenait les patients dans l’observance de leur traitement.
PHB et des ONG locales projetaient de s’étendre aux provinces du Nord avant la coupe des fonds, explique le directeur du projet, Chi Socheat.
À Kampong Cham, Min Thot, bénévole PHB local, ne reçoit plus sa petite indemnité pour se déplacer dans les villages. Il n’est plus que le seul relais dans son village.
« Beaucoup me demandent pourquoi j’ai arrêté de parler de la TB », dit-il à propos des villageois qu’il croise. « Ils ont presque oublié. »

Seoung Nimol
Avec l'aimable autorisation de CamboJA News, qui a permis la traduction de cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.
Sur le même sujet















































