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La crise avec le Cambodge conséquence de la politique intérieure thaïlandaise

Le conflit à la frontière entre Thaïlande et Cambodge est relancé, moins pour des raisons territoriales que pour des calculs politiques internes à Bangkok.

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Camp de réfugiés province de Preah Vihear. photo Akp
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 30 juillet 2025

Le conflit entre le Cambodge et la Thaïlande s’est de nouveau enflammé fin juillet 2025. Il s’inscrit dans un différend frontalier ancien, ravivé cette fois par les tensions politiques thaïlandaises.

Le litige remonte au traité franco-siamois de 1907, qui traçait la frontière entre le royaume de Siam et le Cambodge colonisé par la France. En 1962, la Cour internationale de justice reconnaissait la souveraineté du Cambodge sur le temple de Preah Vihear. Mais la Thaïlande n’a jamais cessé de revendiquer les territoires alentours, notamment autour des temples de Preah Vihear et Ta Moan Thom.

La nouvelle escalade commence le 28 mai 2025, lorsqu’un soldat cambodgien est tué dans une zone disputée. Avant cela déjà, plusieurs postes-frontières avaient été fermés unilatéralement par la Thaïlande, provoquant des mesures de rétorsion côté cambodgien.

Début juin, une conversation privée entre la Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra et Hun Sen fuite dans la presse. Puis, le 23 juillet, cinq soldats thaïlandais sont blessés par une mine. La tension monte d’un cran.

En réaction, Bangkok ferme brutalement ses frontières nord avec le Cambodge, rappelle son ambassadeur et expulse celui de Phnom Penh. Le 25 juillet, des affrontements éclatent, faisant des dizaines de morts ou de blessés, surtout civils, et forçant des milliers de personnes à fuir.

Une crise politique thaïlandaise en toile de fond

La politique thaïlandaise est dominée par les élites militaires et conservatrices. Depuis le coup d’État de 2014, le pays a vécu sous le contrôle du général Prayuth Chan-o-cha, jusqu’aux élections de 2023.

Ce scrutin voit émerger Pita Limjaroenrat, jeune chef du parti Move Forward (MFP), soutenu par une jeunesse en rupture avec l’ordre établi. Mais son accession au pouvoir est bloquée : il est accusé de vouloir réformer la loi de lèse-majesté, son parti est dissous, et il est écarté.

Le Pheu Thai forme alors une coalition avec dix partis, dont certains proches de l’armée. Srettha Thavisin devient Premier ministre. Mais l’alliance est critiquée : elle contredit les promesses du Pheu Thai de ne pas s’associer à la junte.

Pour beaucoup, cette manœuvre vise à réinstaller la famille Shinawatra au pouvoir. Thaksin a été renversé en 2006, sa sœur Yingluck en 2014. Srettha ne reste qu’un an : il est évincé pour manquement à l’éthique. Sa remplaçante, élue en août 2024, n’est autre que la fille de Thaksin, Paetongtarn Shinawatra.

Mais à 38 ans, elle manque d’expérience. À la tête d’un gouvernement fragile, elle doit faire face à une armée bien implantée.

Le conflit frontalier comme levier politique

Pour asseoir leur influence, les militaires thaïlandais ravivent le nationalisme. La frontière avec le Cambodge devient un terrain idéal : tensions, patriotisme, revendications anciennes.

Le contexte est symbolique : au Cambodge, Hun Manet succède à Hun Sen. Les deux familles, Hun et Shinawatra, sont proches. Mais cette proximité alimente la méfiance des milieux nationalistes thaïlandais, hostiles à Thaksin depuis longtemps.

Des groupes conservateurs détournent l’attention vers le Cambodge, profitant de la faiblesse de Paetongtarn. L’armée prend l’ascendant.

La situation s’aggrave encore avec la fuite d’un enregistrement téléphonique entre Hun Sen et Paetongtarn. Thaksin y critique le général Boonsin Padklang, chef de la Deuxième armée, accusé de saper le pouvoir civil. Il évoque des actes de sabotage : fermeture de postes-frontières, coupures d’Internet, blocages de carburant.

L’armée semble utiliser le conflit frontalier pour affaiblir le gouvernement. Peu après, Paetongtarn est suspendue par la Cour constitutionnelle. Un Premier ministre par intérim est nommé.

Face à cette fragilité, la coalition au pouvoir durcit le ton avec le Cambodge, cherchant à rallier l’opinion nationale. De leur côté, les militaires profitent du climat pour renforcer leur position.

Une crise qui dépasse la question des frontières

La résurgence du conflit avec le Cambodge ne relève pas seulement d’un désaccord territorial. Elle reflète surtout les fractures internes à la Thaïlande : luttes de pouvoir, instabilité institutionnelle, jeux d’influence.

Les élites militaires, les conservateurs et un gouvernement civil en sursis instrumentalisent la crise. Chacun cherche à tirer profit d’un vieux contentieux, quitte à entraîner les deux pays vers une confrontation plus large.

Au Cambodge, le gouvernement peut aussi en tirer profit, car voilà des mois qu’il cherche à promouvoir l’unité nationale derrière sa bannière, faisant passer les critiques pour des incitations à la révolte.

 

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