Édition internationale

Jacques Pellet quitte Phnom Penh : quatre ans d’engagement diplomatique au Cambodge

Alors qu’il s’apprête à quitter ses fonctions à la mi-août, après quatre années passées à la tête de l’ambassade de France à Phnom Penh, Jacques Pellet a accordé un entretien au Petit Journal du Cambodge. Il y revient sur son parcours diplomatique, les mutations du Cambodge qu’il a observées, les grands axes de la coopération franco-cambodgienne, les enjeux régionaux et multilatéraux auxquels il a été confronté, ainsi que les souvenirs humains et professionnels qui l’ont marqué.

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Photo : Le petit Journal Cambodge
Écrit par Raphaël FERRY
Publié le 12 juillet 2025, mis à jour le 31 juillet 2025

Un parcours diplomatique débuté et achevé au Cambodge

Lorsque Jacques Pellet évoque le Cambodge, c’est avec une émotion sincère, celle d’un diplomate pour qui ce pays représente bien plus qu’un simple poste. Il a débuté sa carrière en travaillant sur le Cambodge, au ministère des Affaires étrangères, à Paris. Trente ans plus tard, il s’apprête à clore son parcours diplomatique là où tout a commencé, cette fois comme ambassadeur de France à Phnom Penh.

Il se souvient de ses premières missions en 1995 et 1996, courtes mais marquantes, dans un Cambodge qui sortait à peine de décennies de violence. L’avenir du pays restait incertain, mais les accords de Paris avaient jeté les bases d’un nouvel élan. La réouverture du lycée Descartes, la reconstruction de l’hôpital Calmette, marquaient alors les prémices d’une coopération encore timide, mais appelée à s’épanouir durablement. « On sentait que tout était à reconstruire, mais la volonté d’avancer, tant du côté cambodgien que français, était palpable », confie-t-il. Aujourd’hui, cette coopération constitue toujours l’un des piliers de la relation entre les deux pays.

Arrivé juste à la fin du Covid

Quand il prend ses fonctions, en octobre 2021, c’est juste à la sortie du confinement. Trois jours après son arrivée, les portes de la résidence s’ouvraient à nouveau. « Je pense à ma prédécesseure Eva Nguyen Binh, qui a connu l’ambassade sous cloche. Moi, j’ai eu la chance de pouvoir, très vite, accueillir, dialoguer, faire vivre la maison. » Il se souvient de la première grande réception : les 80 ans de l’Agence française de développement, en présence de nombreux ministres cambodgiens. Un moment de retrouvailles autant que de diplomatie.

Il redécouvre alors un pays profondément transformé. Un pays en paix, en plein développement, qui affiche de réels succès. Il cite par exemple l’électrification, qui couvre maintenant la quasi-totalité du territoire – fruit d’un modèle public-privé unique – et qui symbolise les avancées considérables. Pourtant, Jacques Pellet nuance : « Il y a eu des progrès indéniables, mais il faut aussi regarder ce qui se joue du côté de la gouvernance, de la place accordée à la société civile… Certaines évolutions doivent nous interpeller. »

Sur l’invasion de l’Ukraine, Jacques Pellet souligne la clarté de la position cambodgienne, qui a voté à l’ONU contre l’agression russe : « Le Premier ministre Hun Sen l’a dit lui-même : pour un pays comme le Cambodge, le respect du droit international est vital. »

Une coopération multilatérale en plein essor

Le mandat de Jacques Pellet aura vu s’approfondir la participation du Cambodge aux grands forums multilatéraux : protection des océans à Nice, intelligence artificielle, lutte contre la malnutrition… Des enjeux mondiaux sur lesquels Paris et Phnom Penh travaillent de concert. « C’est une vraie évolution : nous ne sommes plus seulement dans une relation bilatérale classique. Nous travaillons ensemble sur le multilatéralisme. »

Ce dialogue renouvelé s’incarne aussi dans des structures plus pérennes. Des consultations politiques annuelles ont été mises en place. « C’est un outil essentiel pour faire le point chaque année, coordonner nos priorités, fixer ensemble un cap. »

Formation, santé, numérique, culture : les priorités de la coopération

Parmi les piliers historiques de la coopération, la formation médicale reste emblématique : depuis 1996, plus de 1 200 étudiants cambodgiens en médecine ont été formés en France. Le soutien à l’Institut de technologie du Cambodge (ITC) se poursuit, avec la France comme principal partenaire étranger. « Notre coopération est cohérente depuis trente ans. Elle évolue, mais elle tient bon. »

Il évoque avec fierté la Journée des alumni meeting organisée le 5 juin dernier, réunissant 600 invités, dont 30 entreprises françaises. Et note avec satisfaction que le nombre d’apprenants reste élevé : 10 000 par an, l’Institut français du Cambodge, qui accueille plus de 100 000 visiteurs annuels est l’un des Institut français les plus dynamiques de la région. « Il y a une vraie vitalité, portée aussi par la diaspora franco-cambodgienne. »

Le secteur de la santé ou du soutien aux ONG est mis à mal par le retrait des fonds américains, mais la France maintient ses engagements. L’AFD a doublé ses engagements ces deux dernières années, atteignant 200 millions d’euros par an. Dans certains domaines, comme le numérique ou l’agriculture durable, de nouveaux partenariats émergent.

Une communauté française active et solidaire

Ce tissu humain dense et engagé qui entoure l'action de l’ambassade ne se limite pas aux partenaires institutionnels : il s’incarne aussi dans la communauté française. Interrogé sur cette dernière, Jacques Pellet dit avoir été frappé par sa vigueur. Stable numériquement – environ 5 000 ressortissants inscrits à l’ambassade –, elle est d’une grande diversité : entrepreneurs, ONG, enseignants, retraités… « Ce qui m’a impressionné, c’est leur engagement. On trouve des Français actifs aux quatre coins du pays, souvent investis dans des projets porteurs de sens. »

Il insiste aussi sur l’importance du lien social que l’ambassade entretient avec ses compatriotes. Bourses scolaires – près d’un million d’euros par an –, aides sociales, accompagnement dans les situations de crise : « Nous faisons de notre mieux, mais j’insiste toujours sur la nécessité d’être assuré. Trop de nos compatriotes, confrontés à un accident ou un problème de santé, se retrouvent démunis. » Jacques Pellet souligne également que la France poursuit ses efforts vers la dématérialisation des services publics pour les Français, notamment à travers l’identité vérifiée de haut-niveau qui ouvrira l’accès à de nombreuses démarches sans que les usagers n’aient besoin de se déplacer.

Il tire enfin un bilan positif de l’externalisation de la collecte des demandes au centre TLScontact, qui a permis d’augmenter la capacité d’accueil et s’est traduit par une augmentation de 12% de demandes de visas reçues dès la première année.

Cartographie et tensions à la frontière thaïlandaise

Quand on le questionne sur le rôle que pourrait jouer la France dans la crise frontalière entre le Cambodge et la Thaïlande, en lien avec l’héritage cartographique de la période coloniale, Jacques Pellet répond : « La France est neutre. Nous avons mis à disposition les archives cartographiques dont disposent nos services. Si les deux pays souhaitent notre appui, nous sommes disponibles. » Il rappelle que les fameuses cartes françaises ont déjà servi de base aux décisions de la Cour internationale de justice, notamment en 1962 et 2011.

Le Sommet de la Francophonie 2026 : un rendez-vous majeur

Le prochain grand défi, pour son successeur, sera sans conteste le Sommet de la Francophonie à Siem Reap, prévu en 2026. « Ce sera le plus grand événement diplomatique jamais organisé au Cambodge. Et ce ne sera pas un sommet franco-cambodgien, mais bien un sommet francophone, avec l’ensemble des pays membres de l’OIF. »

Un fonds d’un million d’euros a déjà été mobilisé par l’Ambassade pour soutenir la francophonie, en particulier sur la formation des enseignants de français. L’ambition est claire : faire de la langue française un véritable levier d’employabilité. « Nous ne remplacerons jamais l’anglais. Mais comme deuxième langue, le français a un rôle à jouer. »

Souvenirs personnels et transmission

Quand il s'agit d’évoquer ses souvenirs personnels, le diplomate se dit touché par la reconstruction du monument aux morts à l’initiative des autorités cambodgiennes, par les visites du Roi à Paris, et par les liens tissés avec les artistes, les entrepreneurs, les responsables locaux.

Voilà donc un homme qui aura passé sa vie au service de la diplomatie française. Aux jeunes tentés par cette voie, il dit : « C’est un métier où il faut avoir le goût des échanges et savoir faire preuve, d’adaptation, de curiosité. Il faut aimer bouger, composer avec des équipes changeantes, concilier parfois deux carrières dans un couple. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est un métier profondément humain. »

Jacques Pellet quittera Phnom Penh à la fin du mois de juillet. À Paris, il participera dès septembre aux journées de sensibilisation aux métiers diplomatiques à la Sorbonne-Nouvelle. Comme un dernier geste, peut-être, pour transmettre une vocation à ceux qui rêvent, à leur tour, de s’engager dans le dialogue entre les peuples.

Nous garderons de lui l’image d’un homme très accessible, droit dans ses convictions et peu adepte de la langue de bois.

Nous vous souhaitons, Monsieur l’ambassadeur, de vivre pleinement une retraite bien méritée.

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