Le Premier ministre cambodgien Hun Sen a annoncé mercredi qu'il quitterait ses fonctions en août et qu'il les confierait à son fils aîné. Il ambitionne de devenir président du Sénat. « Hun Manet entrera en fonction en tant que Premier ministre du Royaume du Cambodge à partir de la soirée du 22 août 2023 », a-t-il affirmé à la Télévision nationale du Cambodge le 26 juillet.
Cette décision très attendue intervient après que le Parti du peuple cambodgien de Hun Sen ait remporté ce dimanche les élections de façon écrasante. Élections qualifiées de “ ni libres ni équitables” par les pays occidentaux et les organisations de défense des droits, en partie car la principale opposition du pays n'a pas été autorisée à participer au scrutin.
Hun Sen, un des plus vieux dirigeants du monde
“Depuis que j'ai pris le poste de Premier ministre le 14 janvier 1985 jusqu'au 22 août 2023, j'ai été en fonction pendant 14.099 jours ou 2.014 semaines ou 463 mois ou 38 ans 7 mois et 8 jours », a-t-il souligné.
En effet, cet ancien combattant a été nommé Premier ministre en 1985, à l'âge de 32 ans seulement. Mais pour échapper à des purges de plus en plus profondes, du régime Khmer Rouge, il s’est exilé au Viêt Nam, revenant seulement lorsque l’armée vietnamienne renversa les Khmers rouges en 1979. Il apparut alors comme le sauveur du Cambodge.
Toutefois en 1993 Hun Sen a perdu les premières élections auxquelles il s'était présenté. Le scrutin organisé sous l'égide des Nations unies était censé inaugurer une nouvelle ère de démocratie après les atrocités de masse et la guerre civile.
Le Parti du Peuple Cambodgien (CPP) y avait obtenu 51 sièges sur 120 à l'Assemblée nationale. Le Front Uni National pour un Cambodge Indépendant, Neutre, Pacifique, et Coopératif (FUNCINPEC) dirigé par le Prince Norodom Ranariddh obtient lui 58 sièges.
En raison de l'absence d'une majorité absolue, une coalition gouvernementale a été formée entre le FUNCINPEC et le CPP, Hun Sen et Ranariddh étant chacun Premier ministre.
Ce régime bicéphale prit fin brutalement le 5 juillet 1997, avec un coup d’État, Hun Sen, restant seul Premier ministre depuis ce jour.
Sous sa direction, le Cambodge a enfin connu la paix, la stabilité et un essor économique sans précédent. Le pays s'est également rapproché de Pékin, bénéficiant d'investissements chinois considérables et de projets d’infrastructure.
Ses détracteurs affirment que son règne a également été marqué par la destruction de l'environnement et une corruption endémique. Actuellement, le Royaume est classé 150e sur 180 dans l'indice de perception de la corruption de Transparency International. En Asie, seuls le Myanmar et la Corée du Nord ont un score plus inquiétant.
Les groupes de défense des droits de l’homme accusent Hun Sen d’avoir entre ses mains le système judiciaire pour écraser toute opposition à son pouvoir, y compris pour museler la presse nationale.
Hun Manet prendra ses fonctions le 22 août
Dans son message audio visuel Hun Sen a annoncé qu’il avait rencontré le roi Norodom Sihamoni au Palais royal et qu’il occupe dorénavant la charge de premier ministre intérimaire jusqu'à ce que Hun Manet prenne ses fonctions le 22 août.
Hun Manet, actuel commandant en chef adjoint des Forces armées royales cambodgiennes et commandant de l'Armée royale cambodgienne, a obtenu le soutien du PPC, parti au pouvoir, en tant que futur candidat au poste de Premier ministre en décembre 2021.
Hun Manet est né le 20 octobre 1977 dans la province de Thbong Khmum sous le régime des Khmers rouges. Il a aujourd’hui 45 ans et a deux filles et un fils de son mariage avec Pich Chanmony.
Il est titulaire d'une licence de l'Académie militaire américaine de West Point, d'une maîtrise de l'Université de New York et d'un doctorat de l'Université de Bristol, en Grande-Bretagne. Tous sont des diplômes d’économie. Il fait partie de cette génération de fils de dirigeants et d’élites formés en Occident.
Lors des élections dimanche 23 juillet, il venait d’être élu député pour la première fois. Fils de Hun Sen, on s'attend à ce que, même après la passation des pouvoirs, il soit supervisé par son père, qui a clairement indiqué dans les médias qu'il ne s'attendait pas à un changement dans le style de gouvernance.
"Si mon fils ne répond pas aux attentes, je reprendrai mon rôle de Premier ministre", a-t-il déclaré dans des propos rapportés le mois dernier par le Phnom Penh Post.
Hun Sen ne se retire pas complètement
"Nous sommes vieux maintenant. Nous devons tenir compte de notre santé et de l'organisation de la prochaine génération", a déclaré Hun Sen, ajoutant que malgré le changement de Premier ministre certains fonctionnaires pourront rester membres du Parlement. Tandis que d'autres pourront être conseillers du gouvernement ou des Institutions.
Quant à Hun Sen, il a déclaré qu'il serait nommé président du Haut Conseil privé. Lors des élections sénatoriales de l'année prochaine, il sera candidat au poste de président du Sénat, en remplacement de Say Chhum, qui prendra sa retraite.
Le président de l'Assemblée nationale, Heng Samrin, le ministre de la Défense, Tea Banh, et Men Sam An, ministre des Relations entre l'Assemblée nationale et le Sénat et de l'Inspection, seront les membres du Haut Conseil privé.
Quitter le pouvoir peut-être une tâche particulièrement difficile pour les dirigeants, surtout s'ils ont exercé des fonctions de leadership pendant de nombreuses années. L’accaparement du pouvoir sur le temps long peut créer une dépendance à leur position, à leur statut et à l'autorité qu'ils ont accumulée.
En désignant son propre fils pour lui succéder, Hun Sen sait parfaitement à qui il confie les clefs du pays. En devenant président du Sénat, il continuera à bénéficier de privilèges, d'honneurs et d’avantages. Il sera notamment Chef de l’Etat en l’absence du roi.
Sans diplôme ni formation poussée, il aura juste, par son talent et son intelligence politique hors pair, su prendre les commandes de son pays et s’y maintenir pendant 38 ans, ce qui est exceptionnel.
En abandonnant leur pouvoir, sans y être contraint par des forces extérieures, l’homme nous donne à voir une part de sagesse, car il démontre qu’il a compris que nul n’est irremplaçable. Et qu’il est plus élégant de se retirer que d’être chassé.