Édition internationale

Frédéric Fisbach explore l’altérité avec cinq jeunes actrices khmères

À Phnom Penh, Frédéric Fisbach prépare une création avec de jeunes actrices khmères, portée par des voix féminines du monde et une recherche scénique centrée sur l’altérité.

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Photo : Acting Art Academy 
Écrit par Raphaël FERRY
Publié le 7 décembre 2025

Né en 1966, formé à la Rue Blanche puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Frédéric Fisbach commença comme acteur avant d’embrasser la mise en scène. Très tôt, il explora « toutes les formes possibles » du plateau : textes contemporains, écritures de plateau, dispositifs hors les murs et jeune public. Il joua et mit en scène en parallèle, jusqu’à ce que la mise en scène prenne le dessus.

Il signa des relectures de Racine, Corneille, Claudel et créa des auteurs comme Pasolini, Koltès, Jelinek, Renaude ou Schimmelpfennig. Son travail privilégia la transversalité avec la danse, la musique, l’image et la performance.

Artiste associé du Festival d’Avignon en 2007, il y présenta régulièrement ses créations pendant près de dix ans. Entre 2006 et 2010, il co-ouvrit et dirigea le Centquatre-Paris, vaste lieu pluridisciplinaire dans le 19ᵉ arrondissement. Il s’y consacra quatre ans avant de revenir au plateau : « Le théâtre me manquait trop. »

Son parcours est indissociable de l’international, notamment du Japon où il réalisa six spectacles et un film, d’abord avec Oriza Hirata, puis autour d’auteurs asiatiques. Plus récemment, il travailla en Afrique centrale et au Rwanda, où il adapta Petit Pays de Gaël Faye en kinyarwanda avec une metteuse en scène locale : représentations dans les collines, reprise à Avignon puis tournée européenne. Son prochain chantier sera Jacaranda, deuxième roman de Gaël Faye.

Phnom Penh : un laboratoire avec The Last Stage

Sa venue au Cambodge est née d’une rencontre avec Fanny Pagès et du projet d’un photographe, Antoine d’Agata, dont Frédéric Fisbach lut un long scénario de film en cours, White Noise. Contacté par Karim Belkacem Saadi pour The Last Stage, il vient d’achever une première session de travail avec cinq jeunes actrices khmères :

« Je ne connaissais pas le pays. Je suis venu voir, écouter, tester. Cet atelier nous a permis de préciser les contours d’un spectacle pour mars. »

Le matériau textuel se composait de trois strates :

  1. un prologue où le photographe exposait sa « profession de foi » artistique ;

  2. des paroles de femmes qu’il avait longuement rencontrées et filmées (Amérique latine, Asie, Maghreb, Europe centrale) ;

  3. un regard critique d’une artiste proche.

Le projet cambodgien se concentra sur la première et la deuxième strates, en khmer, possiblement avec une actrice franco-roumaine pour créer « une autre ligne de texte ».

Le choix d’Antoine d’Agata tenait aussi au moment de vie de l’artiste : après des années d’errance photographique et une résidence d’archivage à Beaubourg, il cherchait à achever White Noise.

« J’ai été bouleversé par la beauté du texte et la profondeur des voix de femmes. On vit dans un seul monde, mais une partie reste dans l’ombre. Ces paroles peuvent nous aider à mieux vivre. »

 

Frédéric Fisbach
Photo : Acting Art Academy 

Traduire, adapter, partager la responsabilité

La question linguistique fut centrale. Comment mettre en scène dans une langue inconnue ?

« Je travaille avec les actrices. Elles s’emparent des traductions, ajustent le vocabulaire et les tournures pour se rapprocher du sens. Ma responsabilité se déplace : je pose un cadre, je questionne, je vérifie l’incarnation. »

Il insiste sur la confiance et le consentement artistique :

« On n’obtient pas de quelqu’un ce qu’il n’a pas envie de donner. Au théâtre, le mot de la fin appartient aux acteurs. »

Chaque comédienne a choisi les textes qu’elle dirait, en fonction de ce qui la touche. Le metteur en scène accompagne : « Je ne dirige pas, j’organise la rencontre entre la salle et ce qui se joue. »

Construire une dramaturgie sans récit

Le corpus d’images et de témoignages ne proposait pas de narration linéaire. La tâche de Fisbach fut de fabriquer une dramaturgie claire – un début, un milieu, une fin – permettant au public de recevoir la parole et d’en faire un récit. La création devait être très visuelle et articuler la parole des femmes et le texte-manifeste d’ouverture.

À terme, il envisage deux volets autonomes : une version khmère au Cambodge et une version en français/roumain en Europe, susceptibles d’être réunies pour offrir « le regard de plusieurs cultures sur un même texte-monde ».

Altérité comme méthode

Au cœur de sa démarche : l’altérité.

« Le théâtre est l’occasion de rencontrer l’autre. On travaille dans un entre-deux, entre culture khmère et culture française, pour créer une forme métissée mais lisible. Il y a des singularités de corps et de codes, mais aussi des constantes : on sent quand un texte s’incarne. »

Son objectif affirmé : déployer « la surface sensible » de la scène pour que le public s’y retrouve.

la suite....

Frédéric Fisbach est reparti. Il reviendra en janvier pour entrer en phase de création avec The Last Stage. La première est prévue pour mars à Phnom Penh, puis un développement du volet européen. Ces deux versions doivent garder leur autonomie et pourront, un jour, se répondre dans un diptyque multilingue.

 

Photo : The last Stage
Photo : Acting Art Academy 

 

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