Opinion
Aronsakda SES est architecte de formation. Il s’intéresse à la planification et à la conception de villes vivables et durables. et propose une réflexion sur l’aménagement urbain de Phnom Penh.
Le long du boulevard Veng Sreng, les usines et les entrepôts sont à quelques mètres des maisons et des écoles. Les marchandises empruntent la même route que les usagers. Les ateliers employant des matières dangereuses côtoient des marchés exigus, où les étals vendent leurs marchandises jusqu'aux voies de circulation. Les camions, les voitures et les motos se faufilent dans la circulation tandis que des foules d'ouvriers se rendent à l'usine de confection voisine.
Cette artère très fréquentée du quartier sud-ouest de Phnom Penh n'est qu'un exemple d'un aménagement urbain confus et souvent dangereux. Ce type d'utilisation non réglementée des sols ne se contente pas de manquer d'optimisation, il a également un impact grave sur la mobilité urbaine et constitue un danger pour les usagers.
Ses habitants et les observateurs déplorent depuis longtemps les risques créés par ce type d'utilisation des sols et attribuent souvent ces lacunes à l'absence d'un plan directeur définitif d’aménagement à Phnom Penh.
Mais l’adoption d'un plan d'occupation des sols plus complet et plus strict aurait des conséquences de grande portée. Le zonage, surtout lorsqu'il est compris comme un objectif final plutôt que comme un outil, entraînerait plus de problèmes qu'il n'en résoudrait.
Le zonage seul n'est pas synonyme de planification
Les périls d'une utilisation exclusive des sols ne sont pas entièrement évidents. Il peut être tentant de désigner des pâtés de maisons ou des quartiers entiers pour un seul type d’aménagement (par exemple, uniquement résidentielle).
Mais ce type de zonage exclusif a pour effet de séparer et d'éloigner les habitations des nécessités quotidiennes telles que les écoles, les lieux de travail, les épiceries, les pharmaciens et les équipements publics. Cela se traduit physiquement par de grands îlots de ville/banlieue et une faible densité de population, ce qui rend difficile le fonctionnement des navettes actives et des transports en commun.
Dans le contexte spécifique de Phnom Penh, où le réseau de rues est tortueux, manque de perméabilité et est parsemé d'impasses et de culs-de-sac, ce problème serait encore aggravé. Il est donc impossible de se déplacer autrement qu'avec des véhicules privés, ce qui ne fait que provoquer des embouteillages.
Un autre inconvénient négligé du zonage strict est que les zones à usage unique deviennent calmes et vides à certaines périodes. Par exemple, une zone entièrement réservée aux bureaux sera peu utilisée, voire peu sûre, une fois les heures de travail terminées.
Si le zonage exclusif présente de nombreuses conséquences imprévues, ignorer complètement la planification n'est pas non plus souhaitable, comme le montre le chaos du boulevard de Veng Sreng. Un compromis entre les deux est nécessaire. Heureusement, il existe de nombreux excellents exemples d'une approche équilibrée que les urbanistes cambodgiens peuvent examiner.
Une politique d'aménagement équilibrée
Paris est connue pour son architecture bien préservée, ses espaces publics généreux et ses réseaux de rues bien définis. Pourtant, certains pourraient être surpris d'apprendre que la capitale française, en particulier son centre historique, est zonée comme une zone à usage mixte. Les résidences, les magasins, les écoles, les musées, les restaurants et les hôtels sont souvent situés les uns à côté des autres.
La ville utilise une stratégie de planification qui régit étroitement la forme physique des bâtiments plutôt que leur fonction.
En n'utilisant pas de zones d'utilisation exclusive des sols, Paris évite les problèmes évoqués précédemment. Plus important encore, les résidents bénéficient d'un mélange diversifié de types de bâtiments et de fonctions à proximité immédiate. Ces points clés sont essentiels pour créer des quartiers dynamiques où les nécessités quotidiennes sont à portée de main des habitations et des lieux de travail.
Les autorités parisiennes équilibrent cette liberté en limitant certains types de bâtiments dans les zones à usage mixte qui ne complètent pas l'espace ou peuvent présenter des risques pour les autres. Par exemple, les bâtiments industriels, les garages pour véhicules, les installations de fret et les stations-service ne sont pas autorisés dans ces zones à usage mixte. Cela contraste avec Phnom Penh qui voit souvent au moins deux stations-service occuper les coins d'une intersection.
Afin de maintenir l'aspect uniforme de son environnement bâti, Paris réglemente également fortement la forme des bâtiments (hauteur, façade, façade, construction à l'alignement, etc.), ce qui permet de préserver la cohérence entre les bâtiments et de préserver le patrimoine architectural de la ville. En outre, en réglementant activement l'apparence d'un bâtiment, les autorités peuvent garantir la qualité du domaine public - en veillant, par exemple, à ce que les rues et les allées soient suffisamment larges, et à ce que les places soient bien ombragées, disposent de suffisamment d'espace et soient accessibles.
En résumé, les urbanistes parisiens façonnent l'apparence des bâtiments mais laissent une certaine liberté quant à leur utilisation, tout en décourageant activement les fonctions qui ne conviennent pas à une zone donnée. Parallèlement, des réglementations strictes en matière de construction ont permis de préserver les domaines publics et de maintenir une qualité élevée.
Ironiquement, en ne gérant pas strictement l'utilisation des sols, les Parisiens bénéficient d'un meilleur accès aux nécessités quotidiennes, souvent à quelques pas de leur domicile.
Planifier avec souplesse
Les avantages d'un paysage urbain diversifié et compact sont essentiels pour accroître l'habitabilité et la mobilité à Phnom Penh. Un plan directeur révisé doit s'efforcer de créer un environnement où les citadins ont accès aux nécessités quotidiennes à distance de marche.
Compte tenu de l'état actuel de la capitale, une approche équilibrée est préférable. La solution doit tirer parti des scénarios actuels d'utilisation mixte tout en réduisant au maximum les interdictions aux seules activités inadaptées et dangereuses.
À cet égard, les autorités devraient désigner les quartiers centraux de la ville - Khan Toul Kork, Prampir Makara, Chamkar Mon, Boeung Keng Kang et Doun Penh - comme zone à usage mixte. À l'intérieur de cette zone, un seul type d'occupation des sols ne devrait pas dépasser 10 % de la superficie totale du quartier. Cela permettrait de préserver la diversité existante des commerces et des services, tout en encourageant de nouveaux développements à usage mixte.
En outre, les planificateurs devraient fournir des précisions pour exclure certains types de bâtiments inappropriés à cette zone, par exemple, les garages pour véhicules, les installations industrielles, les installations de fret ou le stockage de matières dangereuses et au contraire, n'autoriser leur présence qu'en périphérie, où ils peuvent être placés plus loin des habitations et des commerces.
Les règles de construction devraient viser une densité d'au moins 15 000 personnes par kilomètre carré, ce qui est proche de la densité de population actuelle du district de Boeng Keng Kang. Bien que ce chiffre puisse sembler inconfortablement élevé, selon mes propres recherches, ce niveau de densité de population ne nécessite qu'une combinaison de 3700 habitations avec une activité commerciale au rez- de-chaussée et 360 maisons individuelles par kilomètre carré. Les résidences n'occupant qu'un tiers de la superficie totale, le reste devrait être réservé aux espaces publics, aux infrastructures et aux activités commerciales.
En outre, la mise en œuvre des réglementations existantes devrait être renforcée, en particulier les réglementations qui garantissent que les alignements et les espaces ouverts. Les lois sur la construction pourraient être améliorées avec des mesures incitant les promoteurs à inclure davantage d'espaces ouverts et à concevoir de nouveaux modèles pour faciliter les déplacements actifs, ce qui garantirait la qualité du paysage urbain et contribuerait à améliorer le domaine public.
Aller plus loin
Phnom Penh peut encore innover en matière d'aménagement du territoire en classant l'utilisation des sols en fonction du profil de mobilité, ce qui signifie que l'emplacement d'un bâtiment tiendrait compte de la manière dont les utilisateurs s'y rendent et en reviennent, ainsi que de l'intensité du trafic généré par les utilisateurs de cet espace. Un profil de mobilité, par exemple, tiendrait compte du fait que les gens sont plus susceptibles de se rendre en voiture ou en camion à un magasin de meubles qu'à une clinique dentaire, tandis qu'une école génère plus de trafic qu'un magasin de vêtements.
Un profil de mobilité permet essentiellement aux planificateurs d'adapter l'environnement bâti d'une ville en fonction du réseau routier local.
Les activités qui génèrent un trafic important ne devraient pas être situés aux intersections ou aux coins des rues, où ils pourraient affecter de façon spectaculaire la circulation. En revanche, les sites, où les visiteurs peuvent arriver en majorité par les transports en commun, peuvent être encouragés à être situés près des principales lignes de bus. De même, les installations qui nécessitent un accès fréquent aux camions de marchandises ne seraient autorisées qu'à proximité des grands axes routiers, et éviteraient d'être placées près des zones d'habitation, de loisirs et d'affaires.
Ce type de planification permet aux autorités de remplacer la méthode dépassée consistant à décider de l'emplacement des bâtiments en fonction de l'utilisation du sol. Au lieu de cela, elles prendraient cette décision en fonction de leur impact sur la mobilité urbaine, ce qui est bien plus pertinent et crucial.
Il est donc essentiel que les planificateurs locaux introduisent une approche mixte de l'utilisation des sols, des réglementations strictes en matière de construction et un profil de mobilité dans la politique de planification urbaine de Phnom Penh.
SES Aronsakda
SES Aronsakda est architecte de formation. Il a obtenu son diplôme de l'école d'architecture et de design Montfort Del Rosario (Université de l'Assomption, Thaïlande) en 2020 et a rejoint le programme des jeunes chercheurs du Future Forum en 2021.
Son mémoire de recherche s'intitulait « Redécouvrir une identité perdue" et portait sur la découverte de l'identité architecturale khmère et la synthèse de ces concepts avec les tendances contemporaines du design.
Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui a permis de traduire cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.
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