Anastasia de Wenden, une jeune française de 23 ans arrivée récemment au Cambodge, inaugure sa première collection de robes faites main. C’est en constatant les difficultés auxquelles sont confrontées l’industrie textile et les ouvrières cambodgiennes que sa marque Sabay a vu le jour. Par les couturières du marché de Kampot, Anastasia espère pouvoir aider à son échelle l’artisanat cambodgien.
Afin de financer son projet, la jeune femme a lancé une campagne de levée de fonds Ulule. Lepetitjournal.com l’a rencontré.
Vous êtes arrivée récemment au Cambodge et vous lancez déjà votre première collection, racontez-nous.
Je suis arrivée au Cambodge en janvier 2021, afin de pouvoir m’investir dans une association qui aide les plus démunis dans les bidonvilles de Phnom Penh. J’habitais à Phnom Penh, jusqu’à ce que la Covid-19 arrive en mars. Le couvre-feu puis le confinement, et plus généralement la crainte générale entourant le virus, a rendu très difficile pour nous de nous rendre dans les bidonvilles et de réaliser nos missions.
Pouvez-vous nous expliquer les origines de l’aventure Sabay, comment avez-vous lancé ce projet?
Peu de temps avant le confinement et mon activité étant au point mort à Phnom Penh, j’ai eu la chance de pouvoir partir à Kampot où la situation est beaucoup plus calme. Dès mon arrivée j'ai eu envie de développer un projet qui me tiendrait à cœur. Avec des amies elles aussi intéressées par l’industrie textile, je me suis beaucoup documentée sur la situation de ce secteur dans le pays, et les ravages considérables de la crise de la Covid. Plus particulièrement, j’ai découvert l’ampleur de la vague de licenciements qui cible les ouvrières du textile, qui se retrouvent sans emploi, sans activité et sans protection. À mon échelle, j’ai réfléchi à une manière d’agir. Sur le marché de Kampot, j’ai rencontré des couturières avec lesquelles j’ai tout de suite sympathisé. Leur sourire et leur gentillesse m’ont beaucoup touché et j’ai commencé à faire des prototypes de robes avec elles. Dire que j’ai été impressionnée par la qualité de leur confection serait un euphémisme ! Le rendu de mes premiers essais correspondait exactement à ce que je voulais, à la vision que j’avais de mes robes. A partir de là, j’ai réellement envisagé de travailler directement avec elles, sans faire le choix de passer par une usine, toute éthique et responsable qu’elle soit. Ce choix là à un coût, mais il correspond parfaitement à mes envies initiales, puisque je sais concrètement où va l’argent que je consacre à la confection, sans aucun intermédiaire dans tout le processus.
Pouvez-nous expliquer le processus de confection des robes Sabay ?
Le processus est simple : je vais dans le marché de Kampot pour sourcer le tissu, avec des motifs dans l’esprit de SABAY -bohème, chic, décontracté et fleuri. Après avoir choisi le maximum de tissus possible qui me plaît je retourne voir les couturières avec lesquelles je travaille. Elles sont quatre pour l’instant . Et je leur demande de me faire différentes robes selon les commandes que j’ai reçues. J’ai créé quatre modèles de robes afin de ne pas me diversifier trop tôt, trop vite, et que l’esprit SABAY soit facilement identifiable : la Phnom Penh, la Koh Rong, la Battambang et la Siem Reap, un petit hommage aux villes de ce pays que j’ai adoré découvrir.
Vous venez de lancer une campagne de levée de fond sur Ulule, pouvez-vous nous expliquer son fonctionnement?
Ulule est une plateforme qui permet d’aider les gens qui démarrent un projet, à lever des fonds et à se faire connaître. Le concept d’Ulule, qui fonctionne sur des pré-commandes, permet aussi d’éviter un autre travers de l’industrie textile, consiste à produire des robes avant même de les avoir vendues, avec un risque inhérent de surproduction. Ainsi, ce n’est que lorsque je reçois une commande, avec le modèle, la taille et le motif choisi par le client, que je retourne dans le marché pour la réaliser. On peut donc quasiment parler de robe « sur-mesure » puisque chaque modèle est unique et que je peux répondre aux exigences particulières de chaque personne qui me soutient, notamment en terme de taille. La campagne Ulule est maintenant lancée depuis quatre jours, et j’y consacre toute mon énergie, puisque le projet n’aboutira que si j’atteins les 100 pré-commandes. C’est comme ça que fonctionne le site : si ce palier n’est pas atteint, chaque client se verra remboursé et le projet ne verra jamais le jour.
Votre marque est éthique et vous travaillez avec des couturières cambodgiennes, quels sont vos engagements ?
Le Cambodge est un des pays avec la main d’oeuvre la moins chère du monde. Dans notre cas, en sortant un peu du carcan classique de l’industrie textile traditionnelle, nous rémunérons nos couturières non pas en les salariant, mais en les payant à la robe, avec une part consacrée aux coûts de main d’oeuvre finalement identique à ceux que nous supporterions si nous produisions en France. Et en discutant ici avec des personnes qui travaillent dans le secteur depuis plusieurs années, ils étaient très étonnés de notre prix de revient qu’ils considèrent comme « exorbitants ». Mais je suis très heureuse de sacrifier une partie de la marge de SABAY au profit de ses couturières avec lesquelles j’ai développé une vraie relation de confiance, et à qui je permets d’avoir une source de revenu en ces temps où leur activité est au point mort. Et il est important de rappeler que l’industrie du textile nous a trop souvent habitué à payer au prix fort des vêtements pour le simple nom de la marque. Ni les matières utilisées, ni le savoir-faire derrière la création ne justifient des prix si exorbitants.
Comment anticipez-vous le développement de votre marque, allez-vous garder le même fonctionnement ?
Si la campagne Ulule est un succès, je compte effectivement continuer le projet et lui donner plus d’ampleur. L’idée serait de pérenniser ce modèle de production un peu différent et de le rendre viable. En ce sens, il me sera indispensable à un moment ou à un autre de structurer une équipe sur place, probablement dès la seconde collection. Peut-être arriverons-nous, à notre échelle, à contribuer à rendre l’industrie textile plus transparente et plus responsable.
Avec une collection en l’honneur du Cambodge, de ses habitants et de leur sourire, les robes sont à retrouver sur Ulule jusqu’au 23 mai.