Ambassadeur désigné du Canada à Phnom Penh, Christian Desroches détaille la réouverture d’une ambassade de plein exercice, revient sur son parcours, esquisse un portrait de la communauté canadienne au Cambodge et précise sa vision de la Francophonie.


Christian Desroches est le premier ambassadeur résident du Canada depuis 2007. Le Cambodge et le Canada entretiennent des relations bilatérales de longue date, depuis la Commission internationale de contrôle dans les années 1950. Depuis l’Accord de paix de Paris en 1991, le Canada joue un rôle important dans l’accompagnement du développement et de la croissance économique du Cambodge. Mais en 2007, le gouvernement du Canada décide de la fermer et le dernier ambassadeur quitte son poste. La chancellerie est tenue par des chargés d’affaires jusqu’en 2009, date de la fermeture.
En 2015, un bureau rattaché à l’ambassade du Canada à Bangkok est créé, avec des passages réguliers de l’ambassadeur régional. La stratégie indo-pacifique adoptée par le Canada en 2022 acte le rétablissement d’une ambassade de plein exercice à Phnom Penh. Nommé début juillet, Christian Desroches est arrivé le 28 août et présentera prochainement ses lettres de créance.
« Je suis le premier ambassadeur résident du Canada au Cambodge depuis 2007. Nous rétablissons une pleine présence diplomatique. »
Parcours d’un diplomate franco-ontarien
Franco-ontarien, né à Ottawa, Christian Desroches a d’abord enseigné l’histoire à l’Université Concordia (Montréal) avant d’entrer à Affaires mondiales Canada en 2006. Affectations à New York, Nigéria, Nouvelle-Zélande.
Il prend ensuite la tête de la section APEC à Ottawa : « Six fois au Vietnam en 2017, six fois en Papouasie-Nouvelle-Guinée en 2018. » Il devient conseiller Asie du sous-ministre, puis conseiller Asie du Premier ministre Justin Trudeau pendant près de trois ans, ce qui le mène notamment au Sommet de l’ASEAN à Phnom Penh en 2022.
Il coordonne ensuite, au ministère, la mise en œuvre de la stratégie indo-pacifique et des nouveaux investissements canadiens en Asie, dont la montée en puissance de la mission au Cambodge.
« La diplomatie canadienne se fait en anglais et en français. Traditionnellement, il y a moins de diplomates canadiens francophones affectés en Asie. En désigner un, moi, c’est aussi affirmer l’identité francophone du Canada dans la région. »
Pourquoi rouvrir une ambassade de plein exercice ?
La réouverture de l’ambassade s’inscrit dans une dynamique plus large de rapprochement entre le Canada et l’Asie du Sud-Est. Elle répond à plusieurs objectifs complémentaires :
– Intérêts économiques et services aux personnes : le Cambodge accueille plusieurs acteurs économiques canadiens ou partenaires de groupes canadiens. Parmi eux, deux institutions de premier plan : ABA Bank (filiale de la Banque Nationale du Canada) et Manulife. Leur implantation illustre la confiance des investisseurs canadiens dans le marché cambodgien et la volonté d’accompagner le développement local. Cette présence économique s’inscrit dans un cadre plus vaste de coopération régionale.
– Agenda commercial régional : négociations avec l’ASEAN et intensification des liens en Asie du Sud-Est.
– Réseaux humains : retours et allers-retours de Canadiens d’origine cambodgienne, contacts au gouvernement, dans les affaires et la culture.
« Sans présence complète ici, difficile de négocier efficacement et de servir nos ressortissants. »
La communauté canadienne au Cambodge
Christian Desroches cite 3 000 à 4 000 Canadiens inscrits au registre, tout en estimant la présence réelle plus élevée. Profils variés : éducation (55 enseignants canadiens à la Canadian International School, curriculum de l’Alberta), hôtellerie-restauration, affaires et secteurs créatifs.
« Je découvre des Canadiens partout en ville. Les liens avec la diaspora québécoise d’origine cambodgienne sont un atout pour nos échanges. »
La Francophonie dans l’histoire canadienne
Christian Desroches rappelle la dualité linguistique et les politiques de protection du français, surtout au Québec, face à la baisse relative du poids démographique des francophones au niveau national.
Le Canada compte aujourd’hui près de 37 millions d’habitants, dont 22 % ont le français comme première langue officielle parlée. Si 84 % des francophones vivent au Québec, plus d’un million sont répartis dans les autres provinces et territoires. Au total, 10,7 millions de Canadiens peuvent soutenir une conversation en français.
La protection du français est garantie par la Loi sur les langues officielles, modernisée en 2023 pour renforcer sa promotion à travers le pays. Le Québec est la seule province à avoir adopté une Charte de la langue française, tandis que le Nouveau-Brunswick est constitutionnellement bilingue.
Le Canada a été l’un des membres fondateurs de l’Agence de coopération culturelle et technique, devenue l’OIF en 2005, aux côtés du Québec, du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario (membre observateur). Il est le deuxième bailleur de fonds des institutions de la Francophonie, avec des contributions s’élevant à près de 42 millions de dollars canadiens en 2023-2024.
Sur l’Organisation internationale de la Francophonie, Christian Desroches insiste sur la contribution canadienne et la nécessité d’un équilibre entre partenaires :
« Le Canada travaille étroitement avec la France, mais nous n’avons pas le même héritage colonial ; cela peut faciliter certains dialogues, notamment en Afrique ou en Asie. »
« Beaucoup d’amis du français au Cambodge »
Depuis son arrivée, Christian Desroches découvre une francophonie cambodgienne à la fois discrète et tenace, portée par des générations différentes mais unies par une même curiosité culturelle. Il souligne la vitalité de ce réseau, souvent méconnue.
« On m’avait dit qu’il y avait très peu de jeunes francophones, mais je vois un noyau actif : étudiants en droit, en médecine, au lycée Descartes ou à l’école canadienne. Je ne suis pas pessimiste. »
Pour lui, cette énergie mérite d’être accompagnée et amplifiée. Le diplomate souhaite consolider les échanges entre les francophones du Cambodge et ceux du Canada à travers plusieurs axes :
– Développer des initiatives culturelles et éducatives conjointes, en partenariat avec les institutions locales.
– Encourager la diaspora québécoise d’origine cambodgienne à revenir temporairement partager son expérience et sa langue.
– Renforcer les coopérations avec la France, les organismes francophones et les universités pour promouvoir le français comme outil d’ouverture.
« Le Canada a du travail pour accompagner ces dynamiques, mais nous sommes prêts à le faire. La francophonie ici n’est pas seulement un héritage : c’est un espace d’avenir. »
Sur le même sujet















































