Le Cambodge, jadis phare intellectuel d'Asie du Sud-Est, doit aujourd'hui affronter les défis du monde moderne. Face à l'influence des réseaux sociaux et des traumatismes historiques, le pays doit réformer son éducation pour encourager la pensée critique et l'indépendance intellectuelle.
Opinion
Chhay LIM est titulaire d'une bourse de maîtrise Monbukagakusho-MEXT à l'École supérieure des relations internationales de l'université Ritsumeikan, au Japon. Il est également Young Leader au Pacific Forum, un institut indépendant de recherche en politique étrangère basé dans l'État d'Hawaï aux États-Unis.
Un passé glorieux et intellectuellement riche
Pendant des siècles, le Cambodge a brillé comme un centre de culture et de savoir en Asie du Sud-Est. Le royaume de Funan, vieux de plus de 2000 ans, et la majestueuse cité d'Angkor témoignent de la grandeur de la civilisation khmère. Si les détails sur la manière dont cette sagesse ancienne s'est perpétuée sont limités, les temples d'Angkor, par leurs gravures, révèlent une profondeur philosophique et spirituelle.
Le puissant Empire khmer, notamment sous les règnes de Suryavarman II, bâtisseur d'Angkor Wat, et de Jayavarman VII, a su conjuguer stratégie militaire et innovation sociale. Ce dernier a créé une forme d'État providence, s’inspirant du bouddhisme pour répondre aux besoins spirituels et matériels de ses citoyens.
Défis contemporains : indépendance intellectuelle menacée
Au XXIe siècle, alors que le Cambodge se confronte aux transformations technologiques et géopolitiques, une question émerge : le pays a-t-il perdu sa capacité à penser de manière critique et indépendante ? La mondialisation et l'influence des réseaux sociaux ont transformé la manière dont les Cambodgiens accèdent à l'information, mais cela a-t-il favorisé une pensée autonome ou reproduit des idées extérieures ?
Héritage intellectuel et identité culturelle
L'héritage intellectuel du Cambodge reste un pilier central de l'identité nationale. Les temples d'Angkor témoignent non seulement de la maîtrise architecturale, mais aussi d'une compréhension profonde de l'humanité et de la spiritualité. Les érudits, artistes et moines khmers puisaient dans les enseignements hindous et bouddhistes tout en intégrant des éléments des civilisations indienne et chinoise, créant ainsi une culture unique que les Khmers chérissent encore aujourd'hui.
Ruptures historiques et bouleversements
Cependant, les siècles suivants ont marqué un déclin intellectuel. La chute de l'Empire khmer, la colonisation française, puis les guerres civiles et le régime brutal des Khmers rouges ont ébranlé les fondations intellectuelles du pays. Le régime colonial a imposé de nouvelles idéologies souvent en contradiction avec les valeurs cambodgiennes traditionnelles, et le génocide perpétré par les Khmers rouges a effacé des vies, mais aussi la pensée cambodgienne elle-même.
Le défi des générations actuelles
Aujourd'hui, la génération Z et la génération Alpha sont confrontées à des défis particuliers. Alors qu'ils n'ont pas vécu les guerres civiles, ils évoluent dans un environnement où les réseaux sociaux et la technologie numérique sont omniprésents. Le rapport de la Banque mondiale révèle qu'un grand nombre d'enfants cambodgiens peinent à lire et comprendre des textes simples à la fin de l'école primaire, ce qui pose la question de leur préparation face aux transformations technologiques et économiques à venir.
L'importance d'une société fondée sur le savoir
Face à ces défis, il est crucial que le Cambodge se transforme en une société fondée sur le savoir, où l'éducation, la pensée critique, et l'innovation sont encouragées. Les jeunes Cambodgiens doivent apprendre à évaluer l'information de manière indépendante et à développer des compétences analytiques. L'influence croissante des réseaux sociaux, tels que Facebook et TikTok, présente à la fois des opportunités et des dangers. Bien qu'ils permettent un accès sans précédent à l'information, ils facilitent aussi la désinformation, créant des chambres d'écho où les idées ne sont pas remises en question.
La menace des réseaux sociaux et de la désinformation
Dans un pays marqué par des traumatismes historiques et une éducation affaiblie, les réseaux sociaux remplissent souvent le vide laissé par la faiblesse de la pensée critique. Ils deviennent des outils de manipulation pour des acteurs politiques ou des puissances étrangères. Sans des compétences solides en pensée critique, de nombreux Cambodgiens risquent d’être facilement influencés par des titres sensationnalistes et des idées superficielles, au détriment d'une réflexion rationnelle.
Réformes éducatives indispensables
Pour répondre à ces enjeux, il est impératif que le Cambodge réinvestisse dans des réformes éducatives. Celles-ci doivent mettre l'accent sur la pensée critique, la littératie numérique et médiatique, ainsi que sur le développement de l'habileté à analyser et comprendre l'information reçue. Les écoles, universités et institutions publiques doivent favoriser un environnement propice à des débats intellectuels sains et à la diversité des perspectives.
Guérir les blessures du passé
Il est également crucial d'aider les générations plus âgées, marquées par le régime des Khmers rouges, à guérir de leurs traumatismes pour qu'elles puissent participer à un avenir fondé sur l'innovation et la résilience. Ce processus nécessite des actions à la fois gouvernementales et culturelles pour promouvoir une réflexion intellectuelle basée sur des connaissances scientifiques.
Conclusion : un avenir intellectuel à redéfinir
Le Cambodge a le potentiel de redevenir un phare intellectuel en Asie du Sud-Est, mais cela dépendra de la volonté des Khmers à surmonter les défis du présent. Il est temps de se réapproprier cet héritage intellectuel et de forger un avenir où la réflexion critique, l'indépendance d'esprit et la vision stratégique guideront le pays.
Chhay LIM
Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui a permis la traduction cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.