Partons aujourd’hui à la découverte d’une espèce sauvage dont le fruit est fort apprécié des Cambodgiens : le myrobolan emblique, auquel on prête de multiples vertus.
Le conte cambodgien du roi à la coupe sucrée
De nombreux contes cambodgiens relatent les aventures sylvestres de rois khmers, qui prenaient visiblement du plaisir à explorer les profondeurs mystérieuses de terres abritées par le labyrinthe de jungles impénétrables. Ils y rencontraient éléphants sauvages et bourrus, tigres cruels et sans foi ni loi, singes habiles, dholes(1) imbéciles, tortues à l’esprit peu pénétrant et lièvres espiègles et justiciers. Mais s’ils aimaient tant explorer ces lieux, c’est surtout parce qu’il leur arrivait de trouver sur leur chemin quelque yaksha(2), qu’ils se mettaient en devoir d’occire pour lui ravir son trésor, avant, éventuellement, de séduire sa femme ou sa fille pour lui ravir sa vertu.
On raconte ainsi l’histoire du « roi à la coupe sucrée » (ស្ដេចផ្ដិលផ្អែម [sdach phtel ph’aèm]). Alors qu’il était en expédition, incognito et sans escorte, dans une forêt située dans une région dont le conte n’a pas retenu le nom, ce roi parvint à un village isolé. Les villageois, ravis de recevoir la visite d’un étranger, lui offrirent quelques fruits verts, à la chair croquante et juteuse, désaltérante, à la saveur à la fois astringente et amère. Mais les fruits ne suffirent pas à étancher la soif de l’auguste voyageur qui avait parcouru un long chemin, aussi demanda-t-il qu’on lui donnât un peu d’eau. On lui servit donc de l’eau fraîche dans l’une de ces jolies coupes traditionnelles que les Khmers appellent « phtel » (ផ្តិល), et quelle ne fut pas la surprise du monarque quand il trouva à l’eau claire qui lui était servie une douceur digne du meilleur miel ! La rumeur rapporte même qu’il proposa au serviable villageois qui lui avait offert ce nectar pas moins de trois pièces d’argent pour lui acheter cette coupe extraordinaire qui avait le pouvoir de changer l’eau en miel…(3)
Statue monumentale de « phtel », en marbre de Pursat, à l’entrée de la province de Pursat (Phoutisat) (Source : Wikipedia)
Mais le souverain s’était mépris : si l’eau qu’il avait bue avait ce goût sucré, cela n’était aucunement dû à la fameuse coupe ! En effet, les baies qu’il avait dégustées avant de boire n’étaient autres que des fruits du groseiller de Ceylan, appelé aussi groseiller d’Inde, ou encore myrobolan emblique, qui, croquées fraîches, laissent un arrière-goût nettement sucré !
Dans la pharmacopée et la gastronomie cambodgienne
Le groseiller de Ceylan (Phyllanthus emblica), en khmer « kântuot prey » (កន្ទួតព្រែ), est un arbre originaire du monde indien, que l’on trouve au Cambodge à l’état sauvage, principalement dans la province de Kampong Speu, et notamment au pied du mont Kirirom. Il s’agit d’un arbre caducifolié, monoïque, pouvant atteindre une hauteur de 25 mètres. Son écorce, ses feuilles et ses fruits donnent une teinture jaune.
En pharmacopée cambodgienne, l’infusion de l’écorce est réputée efficace contre la diarrhée. Le fruit de P. emblica, cueilli en forêt et disponible sur les marchés cambodgiens à partir du mois de septembre, se consomme le plus souvent frais, mais peut aussi être transformé pour servir de condiment ; il se présente sous la forme d’une baie vert-jaune de trois à quatre centimètres de diamètre, à facettes peu marquées, dotée d’une fine peau comestible, et dont la chair adhère au noyau. Cette chair est juteuse, croquante et désaltérante. La « groseille indienne » est connue en médecine ayurvédique. Au Cambodge, on lui prête des vertus anti-tussiques ; elle est en outre riche en vitamine C et sa consommation est paraît-il bénéfique pour les diabétiques.
Baies de myrobolan emblique (source : Pascal Medeville)
Et enfin, effectivement, j’en ai moi-même fait l’expérience : lorsque l’on boit de l’eau après avoir mangé le fruit du myrobolan emblique, on perçoit une douceur marquée, qui dépasse de loin la douceur de l’eau bue après avoir mangé un artichaut.
Notes :
(1) Le dhole (Cuon alpinus) est un canidé, l’équivalent dans les contes khmers de l’Ysengrin du Roman de Renart, la cruauté en moins.
(2) Dans les contes cambodgiens, les yakshas sont souvent des géants, des ogres, cruels et affamés, qu’il convient de trucider à la première occasion.
(3) J’ai pris la liberté de broder quelque peu sur la base de l’histoire que l’on m’a racontée en quelques mots.
article précédemment publié sur tela-botanica.org