Face à la hausse des problèmes, notamment sanitaires, il est impératif de réhabiliter le canal phnompenhois de Boeng Trabek, communément appelé “shit canal”. Quelles alternatives peuvent être mises en place ? Et dans quelle mesure cela changerait le quotidien des communautés locales ?
Lors de sa conception, le canal d'évacuation des eaux usées de Boeung Trabek était connu sous le nom de "canal aux mille parfums". Les Français ont conçu cette infrastructure au 20ème siècle comme un vaste système hydraulique permettant à la plaine inondable marécageuse sur laquelle se trouve Phnom Penh de se déverser dans les lacs environnants.
La version actuelle du canal d'évacuation des eaux usées est beaucoup moins illustre. Elle est surnommée : "loo teuk sa-ouy", "canal d'eau malodorante", "shit canal" ou “rio merdo”.
La voie d'eau Boeung Trabek coule lentement vers le sud sous la forme d'une boue brune, parfois recouverte de béton et à ciel ouvert. Pendant la saison des pluies, la cargaison toxique du canal est connue pour déborder des digues et inonder les rues environnantes. Face à cette situation, les habitants ont tiré la sonnette d'alarme sur les problèmes sanitaires que pose cette voie d'eau.
Quelles alternatives au canal de Boeung Trabek ?
Des approches innovantes, peu coûteuses et décentralisées du traitement des eaux usées pourraient faire une grande différence pour ce canal d'assainissement et les quartiers environnants.
Des millions de dollars d'aide étrangère ont afflué à divers moments pour entretenir ou moderniser le canal et d'autres parties du système d'égouts de la ville. Mais, dans le même temps, les dépenses locales consacrées à la gestion des eaux usées restent faibles. Seulement 10 % des revenus perçus par la Phnom Penh Water Supply Authority sur les factures d'eau sont alloués au système d'égouts et au traitement des eaux usées. En outre, la ville ne dispose pas d'un plan directeur d'assainissement ni d'une stratégie globale en matière d'eaux usées.
Les initiatives susceptibles de réhabiliter ce canal ne visent pas seulement à atténuer les problèmes de santé et d'inondations. Les projets axés sur les canaux de Phnom Penh pourraient également permettre de transformer des parties polluées de la ville en espaces publics dynamiques dont les communautés locales ont grandement besoin.
Boeung Trabek a besoin d'un plan de traitement des eaux décentralisé
Le nombre d'habitants et de propriétés a considérablement augmenté le long de Boeung Trabek, et les quartiers environnants sont devenus de plus en plus densément peuplés. L'infrastructure hydraulique proche du “shit canal” n'est pas en mesure de faire face à cette densité de population.
Pour améliorer l'état actuel du canal et revitaliser la zone environnante, la ville de Phnom Penh doit installer des réservoirs de filtration. C'est le meilleur moyen de s'assurer que les eaux noires et grises des ménages sont traitées avant de se déverser dans le canal.
Les réservoirs de filtration réduiront le niveau de pollution de l'eau qui s'écoule directement dans le canal, ce qui aura des effets bénéfiques directs sur la santé générale du quartier et augmentera les opportunités économiques pour les propriétaires des échoppes situées le long de la voie d'eau.
La réussite du système DEWATS
S'il existe de nombreux types d'infrastructures de filtration de l'eau, une stratégie répond exceptionnellement bien aux besoins du canal d'évacuation des eaux usées de Boeung Trabek.
Ce système, appelé DEWATS, est une méthode de traitement des eaux usées peu coûteuse, biologique et décentralisée, particulièrement bien adaptée aux communautés urbaines densément peuplées des pays en développement.
La conception passive de ce système utilise des mécanismes de traitement physique et biologique tels que la sédimentation, la flottation et le traitement aérobie et anaérobie pour traiter les sources d'eaux usées domestiques et industrielles. Le système DEWATS est conçu pour nécessiter peu d'entretien, pour utiliser des matériaux locaux et pour respecter les lois et réglementations environnementales.
Dans une telle méthode, l'eau traverse une série de réservoirs qui fonctionnent en combinaison. Par exemple, lorsque l'eau s'écoule dans un réservoir de décantation DEWATS, l'écume flotte à la surface et les déchets sédimentent au fond. Avec l'infrastructure appropriée, le système DEWATS pourrait générer de l'énergie renouvelable utilisable sous forme de biogaz, que les habitants pourraient utiliser pour cuisiner et s'éclairer.
Il convient de noter que 62 systèmes DEWATS sont déjà utilisés dans d'autres contextes au Cambodge. Les DEWATS ont été installés au Cambodge pour assurer la filtration de l'eau, principalement dans les installations sanitaires des écoles et des hôpitaux.
Moderniser les stations de pompage
Outre la filtration de l'eau, les autorités doivent investir davantage dans la modernisation des stations de pompage. Ces dernières gèrent la circulation des eaux de pluie dans cette zone afin d'empêcher l'eau du canal d'inonder le bord de la route pendant la saison des pluies. Bien que des efforts de restauration soient prévus, une plus grande attention doit être accordée à ces stations afin de maintenir le débit de l'eau.
De même, tout projet de réhabilitation des canaux d'évacuation des eaux usées ne serait utile que s'il s'accompagnait d'un effort concerté pour maintenir et protéger les lacs restants. Ces lacs, ou ce qu'il en reste, sont nécessaires à la résilience et à la durabilité des cours d'eau de Phnom Penh.
Transformer les canaux en espaces verts
Si nous transformons le canal en un espace public vert et agréable, il pourrait devenir un lieu de rassemblement pour les habitants et de jeu pour les enfants. On ne saurait trop insister sur l'impact positif que cela aurait sur l'habitabilité du quartier et le bien-être de ses habitants.
Siem Reap a déjà commencé à réfléchir de manière créative à la façon dont les canaux de ce type pourraient être métamorphosés en espaces publics verts. Le projet de Siem Reap visant à transformer un ancien égout en parc est relativement modeste. Le canal d'égout mesure 635 mètres de long et entre cinq et huit mètres de large. Cependant, il prouve que même un espace vert restreint peut faire une énorme différence pour les communautés environnantes.
" Ce canal d'égout de Siem Reap était nauséabond et affectait négativement l'environnement. Il va à présent être converti en un nouveau lieu touristique pour attirer non seulement les visiteurs locaux, mais aussi les touristes internationaux qui viennent dans la région pour visiter le parc d'Angkor ", a déclaré Ly Raksmey, sous-secrétaire d'État au ministère de la gestion foncière, de l'urbanisme et de la construction, au Khmer Times.
Imiter Siem Reap, la clef pour sortir de l’impasse ?
Aujourd’hui, des marchés, des écoles et quelques espaces artistiques locaux entourent le site. Néanmoins, Phnom Penh pourrait voire plus grand et lancer un vaste projet de transformation de ce canal en un espace vert ouvert et dynamique.
Toutefois, si un tel projet est lancé, les autorités devront travailler conjointement avec les communautés locales. L’implication des ménages contribue à renforcer leur sentiment d'appartenance et d'appropriation de l'espace. In fine, ce lien étroit avec l’espace pourrait augmenter leur volonté de prendre soin de l’espace.
La transformation de ce canal d'évacuation des eaux usées transformera la vie des habitants de la région. Il s'agit de la santé, de la sécurité et du bien-être de quartiers entiers qui sont en jeu. La mise en place de stations d'épuration décentralisées, la remise en état du canal, la modernisation de la station de pompage et la protection de ce qui reste du lac permettront aux habitants de se réapproprier l'espace pour en tirer tous les bénéfices.
Avec l'aimable autorisation de Cambodianess, qui a permis de traduire cet article et ainsi de le rendre accessible au lectorat francophone.