À Battambang, Alexis Charpenet Directeur de l'Institut Français se concentre sur l’apprentissage : offre simple, professeurs cambodgiens, DELF/DALF, tarifs accessibles et un écosystème local dynamique.


Par une fin d’après‑midi chaude à Battambang, l’escalier étroit débouche sur une petite médiathèque. Entre deux rayonnages, Alexis Charpenet s’excuse presque de la modestie des lieux. « C’est tout petit, mais tout est imbriqué : on passe par la bibliothèque pour monter en cours. » Le ton est donné : sobriété, efficacité, ancrage local. Depuis 2018, il dirige l’unique antenne provinciale de l’Institut français du Cambodge. Et il le répète avec un sourire : « Je suis discret ; je ne publie jamais sur les réseaux sociaux. »
Entretien réalisé à Battambang, le 19 août 2025.
Un parcours discret, une conviction tenace
L’histoire d’Alexis Charpenet au Cambodge commence en 1995. « Je suis arrivé en septembre 1995 comme volontaire pour enseigner le français ; c’était un autre monde. » Après avoir dirigé l’école française de Sihanoukville (2011–2012) puis l’École française de Battambang (2013–2018), il prend les rênes de l’antenne locale de l’IFC, quelques années après la fermeture de celle de Siem Reap.
Ses deux passions n’ont pas changé : « La francophonie et l’histoire du Cambodge sont un peu mes deux passions. Je continue avec la même flamme qu’il y a trente ans. » Ici, pas de posture, mais un travail de terrain patient, au contact des enseignants cambodgiens, des élèves et de leurs familles.

Battambang, un écosystème francophone inattendu
À l’écouter, Battambang bouscule les idées reçues. « C’est un écosystème cambodgien francophone, unique au Cambodge, alors qu’il n’y a pratiquement pas de familles françaises ici. » Autour de l’IFC gravitent l’École française de Battambang (environ 75 élèves), des classes bilingues français‑khmer — « les plus nombreuses du pays » —, le département de français de l’Université nationale et un réseau d’ONG actives.
Dans cette organisation, il revendique une singularité : « À l’antenne, je suis le seul Français ; tous les enseignants sont Cambodgiens. » La francophonie, ici, n’est pas un slogan, mais une pratique vivante, portée par des acteurs locaux.
« Pédagogie d’abord »
Lorsque Alexis Charpenet arrive, l’antenne est fragile. Il fait un choix net : se recentrer sur l’apprentissage. « On m’a dit : ne faites pas d’activité culturelle, redressez la barre. L’objectif, c’était la pérennité. C’est essentiellement un centre de langue. »
Ce cap n’exclut pas la culture, mais la subordonne à la mission première : former des francophones et les faire progresser.

Des chiffres qui racontent une ville qui apprend
La dynamique est stable sur la durée : depuis 1996, l’antenne enregistre entre 1 000 et 1 500 inscriptions par an, ce qui équivaut à un peu plus de 500 apprenants distincts selon le rythme trimestriel des sessions. « On tourne entre 1 000 et 1 500 inscriptions par an ; cela représente un peu plus de 500 élèves différents. » Après le creux du Covid, la hausse reprend. Le cœur du public ? « La majorité sont des collégiens et lycéens. Les plus forts atteignent un niveau B2 et partent souvent poursuivre à Phnom Penh. »
Une offre simple, assumée
Ici, pas de catalogue touffu. L’antenne propose des cours de FLE sans filières spécialisées. « Je préfère simplicité, efficacité, rationalité. » Pour la certification, Battambang est centre DELF/DALF. « Pas de TCF ici ; on ne peut pas se le permettre pour l’instant. » Le message est clair : concentrer les moyens sur ce qui fonctionne et ce qui fait progresser.
Une équipe de professeurs d’abord… publics
Treize enseignants composent l’équipe, tous prestataires. « Treize professeurs, tous prestataires : aucun salarié à l’antenne. » La plupart sont fonctionnaires dans le primaire, le secondaire ou à l’université ; certains viennent des sciences, « jusqu’à la physique nucléaire ». Deux retraités — des « figures de la francophonie locale depuis les années 1980 » — continuent d’enseigner. « Ils sont presque tous fonctionnaires ; l’antenne s’ajoute à leur travail principal. » Cette continuité, insiste‑t‑il, garantit la qualité et la transmission.
Un lieu à taille humaine
En 2019, l’antenne revient dans sa rue historique. Le site compte dix salles polyvalentes (cours, conférences, projections) et une médiathèque de 6 000 ouvrages — 80 % en français, 20 % en khmer. Les films tournent sur un système de rotation de DVD. « Dix salles de cours, variables en taille, et une médiathèque de 6 000 livres », résume‑t‑il, presque à contrecœur, avant d’ajouter : « Ce qui compte, c’est l’usage que les élèves en font. »

La culture, par opportunités
Sans budget dédié, la programmation culturelle se construit au gré des occasions : dessins animés hebdomadaires pour les enfants, projections deux fois par mois pour les adultes — « en plein air sur la terrasse quand c’est possible » —, Fête de la musique, Fête de la francophonie, fête de fin d’année, et passages de résidents de l’IFC Phnom Penh. « Pas de planification lourde : on saisit les occasions. » L’ADN reste l’apprentissage.
Des tarifs lisibles
Autre parti pris : la lisibilité. Le tarif unique est fixé à 75 $ par trimestre en 2025, « quel que soit le niveau, la taille de classe ou le statut de l’enseignant ». À titre de comparaison, « à Phnom Penh, c’est 135 $ pour un contenu comparable ». Son objectif : « Rester accessible au public local sans complexifier l’offre. »
« Une niche… mais influente »
Dans le paysage linguistique cambodgien, Alexis Charpenet ne se raconte pas d’histoires : « Les très bons anglophones se comptent en dizaines de milliers ; les très bons francophones ET anglophones, en quelques dizaines ou quelques centaines. » Mais la rareté fait valeur. « À qualification égale, un employeur français au Cambodge choisira souvent le bilingue. Ce n’est pas un discours, c’est la réalité. » Des opportunités existent, y compris dans l’administration provinciale.

Le choix des langues
Sa ligne est constante : communiquer en français et en khmer. « Ma communication, je la fais uniquement en français et en khmer. » Les anglophones n’ont pas été oubliés : « Ils ont le bouton Translate. » Et de préciser : « Ce n’est pas recevable pour moi d’annoncer en anglais une activité de français. Ce n’est pas une guerre contre l’anglais ; c’est une question de sens et de visibilité. »
Et maintenant ?
En 2026, l’antenne fêtera ses 30 ans. L’horizon est défini : prolonger la remontée post‑Covid, consolider l’écosystème, tenir une offre claire. « L’antenne existe depuis 1996 ; nous célébrerons les 30 ans l’an prochain. » Il conclut sans emphase : « Le terreau existe ; l’intérêt pour le français est réel. À nous d’aller vers les Cambodgiens, d’expliquer et de tenir le cap. »
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