Paul Vinicius est un poète roumain reconnu dans son pays. Il a reçu le prix du public au Salon du Livre des Balkans pour une série de poèmes traduits en français par un autre poète, Radu Bata. Aujourd'hui, les deux hommes collaborent à nouveau et Paul Vinicius nous propose ce recueil en français "La chevelure blanche de l’avalanche" aux éditions Jacques André Editeur.
Quand avez-vous commencé à écrire ?
J'ai commencé à écrire à l'âge de 9 ans. Mon père était militaire et ingénieur et voyant que j'avais une inclination vers les matières littéraires, il m'a dit clairement qu'il ne fallait pas que je devienne artiste et un crève-la-dalle. Il a tout fait pour que je m'oriente vers les maths et que je devienne ingénieur. J'étais tellement contrarié que je me suis enfui de la maison. Mais un mois après, mon père m'a retrouvé, et j'ai commencé mes études à l'école Polytechnique (rires). J'étais bel et bien devenu ingénieur, c'est vrai, mais je n'ai jamais cessé d'écrire.
Alors quand avez-vous décidé de faire publier vos poèmes?
J'ai débuté très tardivement car je ne me suis jamais pris très au sérieux. J'écrivais pour le plaisir et je faisais lire mes écrits à mes amis. A un moment donné, j'ai commencé à fréquenter le cercle littéraire "Universitas", celui de la génération des 90 comme on les appelait. A l'époque, une revue étudiante publiait chaque mois un supplément qui était en faite une occasion pour des nouveaux poètes d'être publiés. On avait tous envie d'être publiés dans ce supplément et j'ai été le seul de la bande à être refusé, car une dame du PCR (Parti Communiste Roumain) qui supervisait la revue, a trouvé mon poème très "sombre" et "dérangé " et a dit qu'il fallait m'interner! J'étais tellement déçu que j'ai décidé de ne plus publier pendant 10 ans, et j'ai tenu ma parole (rires) ! Après la Révolution on est venu me chercher pour publier mais j'ai refusé car c'était un pari que j'avais fait avec moi-même, même si je n'ai jamais arrêté d'écrire. La raison était la suivante : soit je n'écrivais pas assez bien pour échapper à la censure comme ont fait d'autres poètes à la même époque, soit c'était impossible de publier dans ce pays donc j'ai décidé de garder mes poèmes pour moi. J'ai donc publié pour la première fois à 45 ans et j'ai surpris pas mal de monde. Mon premier livre s'appelait « Le chemin jusqu'à l'hospice et le retour à moitié ».
Comment a évolué votre poésie au fil du temps ?
J'ai sûrement eu un don au départ, un petit coup de pouce de là-haut, mais j'ai dû beaucoup travailler pour atteindre une certaine exigence, en lisant beaucoup de poésie, de littérature, de livres théoriques ainsi que d'ouvrages critiques, ? Et à un moment donné je me suis rendu compte quels étaient mes manques, mes insuffisances. J'étais doué pour les jeux de mots par exemple, mais j'ai appris peu à peu à y renoncer. Aujourd'hui j'aime toujours jouer avec les mots mais je le fais avec cynisme, ce sont des jeux plus adultes, moins pour le plaisir du jeu.
Vous avez reçu un prix au Salon du Livre des Balkans en France, comment s'est passée la traduction de vos poèmes en français ?
Toute traduction est aussi une forme de trahison, mais avec Radu Bata, qui est aussi mon ami, j'ai eu beaucoup de chance. Je le considère comme un des meilleurs traducteurs de poésie roumaine en langue française, d'abord parce qu'il écrit lui-même des poèmes. Il a vécu plus de 25 ans en France, il a aussi été professeur de français ici, donc il connaît parfaitement la langue « vivante » française, et il faut la connaître pour rendre aux poèmes la couleur qu'ils avaient dans la langue originale. Donc finalement il a très peu trahi le texte original, il a su comment le manier car un poème est une oeuvre très fragile.
Lit-on toujours autant de poésie aujourd'hui ?
Pour moi il faut regarder ce qui se passe en France : il y a 200, 300 ans, les poètes étaient des légendes vivantes et étaient connus de leur vivant. La poésie occupait une place unique en France et ce pays investissait dans des écrivains de grand talent, c'était le centre de la culture mondiale. Aujourd'hui aussi la France reste un pôle culturel important mais les lecteurs de poésie sont fatigués, la poésie a perdu beaucoup de terrain ; dans les librairies, les livres de poésie sont cachés dans un coin. Aujourd'hui on importe plus des poètes étrangers, peut-être parce que ces derniers viennent avec une fraîcheur et une naturalité différente. Quant aux poètes roumains, bien sûr qu'ils sont moins connus à l'étranger car la langue roumaine ne circule pas beaucoup et notre diaspora reste assez restreinte.
Quand la poésie a-t-elle été le plus aimée selon vous ?
C'est difficile à dire. Sous l'oppression communiste le peuple avait un autre rapport à la culture. A part les personnes de «la Securitate » et les personnes du parti, le peuple n'avait pas accès à beaucoup de loisirs, même les quelques heures de programme télé étaient consacrées au culte de Ceausescu. Du coup les gens allaient beaucoup au théâtre, aux matchs de foot, aux compétitions sportives. Comme ils avaient très peu de possibilités, les événements culturels avaient plus de popularité. Je me rappelle comment pendant certaines pièces de théâtre, les acteurs dénaturaient parfois le texte et formulaient ainsi une petite critique envers le système, et le public, lui, applaudissait comme un fou. Après la chute de Ceausescu, les Roumains ont eu d'autres priorités : gagner de l'argent, avoir une maison, avoir une voiture. Ils sont devenus esclaves de l'argent ? c'est la différence entre être et avoir. Dans l'obscurité, la culture se porte souvent mieux qu'en pleine lumière, c'est ma conviction. En tout cas c'est difficile de comparer, les performances culturelles doivent toujours être contextualisées, on ne peut pas dire qu'on écrivait mieux avant ou qu'on lisait plus. Aujourd'hui les Roumains ont accès à la liberté, du coup tout le monde s'est mis a écrire, même l'épicier a l'impression que sa vie est captivante comme dans un roman. Or, à mon avis, pour être un très bon écrivain, il faut avoir une certaine autocensure. Pas celle communiste bien sûr qui nous empêchait de dire ce qu'on voyait
Quel rôle peut encore jouer la poésie dans notre monde ?
A mon avis la poésie est ce qu'il y a de plus difficile dans la littérature, car elle condense un moment vécu, en très peu de mots, elle livre directement l'âme de l'artiste. C'est très précieux car, pour moi, elle transmet l'âme de l'humanité. Pour savoir comment on pensait à une époque, il suffit de lire les textes poétiques de la période en question. Pour moi, l'histoire serait incomplète sans la poésie, le passé resterait dans le brouillard.
Et qu'est-ce qu'un poète ?
Le poète est celui qui voit des choses imperceptibles, que d'autres ne voient pas, comme un tremblement de lèvre ou un effleurement de main.
Pensez-vous que la poésie est une régression vers l'enfance, vers nos premières perceptions ?
Moi j'ai toujours 16 ans vous savez (rires). Encore aujourd'hui je joue, je m'amuse comme un enfant. En général les personnes qui s'entourent de poésie ne vieillissent pas ou peu et conservent une certaine jeunesse spirituelle, une âme d'enfant.
en savoir plus sur Paul Vinicius :
Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres. Cette double performance universitaire est la partie visible de son parcours surprenant ; il a exercé de nombreux métiers, jobs, sports, avant de se dévouer à l’écriture. Champion de boxe junior et karatéka ceinture noire, il a travaillé comme manutentionnaire, maître-nageur sur la côte de la Mer Noire, détective privé, pigiste, correcteur, rédacteur pour plusieurs journaux de la presse nationale et, dernièrement, pour la maison d’édition du Musée de la Littérature roumaine.
Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il renonce à sa carrière d’ingénieur et sa biographie suit les soubresauts de la démocratie survenue fin décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle ivresse.
Ses poèmes ont été régulièrement publiés à partir de 1982 par les revues littéraires. Beaucoup ont été traduits et publiés dans des anthologies. Il est lauréat de plusieurs prix nationaux et internationaux de poésie. Dernier en date : le Prix du Public au Salon du Livre des Balkans en 2017.
Critique de son dernier recueil disponible ici