Avez-vous déjà remarqué une pierre dorée le long d’une rue en Allemagne ou en France ? Vous êtes-vous alors penché sur ce pavé pour connaître son histoire ? Explication par la rédaction.
Fin septembre 2020. Rouen, en Seine-Maritime. Au numéro 40 de la rue Armand-Carrel, trois pierres surmontées de laiton ont été récemment posées. Les nom de trois personnes, toutes les trois juives, trois victimes du nazisme sont écrits dessus : Germaine, Renée et Lina Ganon, âgées de 37, 14 et 12 ans. Jean-Jacques Ganon, neveu et cousin des victimes a assisté à la cérémonie avec beaucoup d’émotion. Le projet de l’association rouennaise « Pavés de mémoire » est de retracer tous les lieux à Rouen où ont vécu des victimes du régime nazi et dont les vies ont été tragiquement détruites. Si le fait de poser des pierres par terre en hommage aux victimes de la Shoah se répand en France, son origine est en revanche allemande.
L’histoire des Stolpersteine, « ici habitait… »
Gunter Demnig, artiste allemand né en 1947, a toujours été marqué par la guerre et engagé en faveur des victimes. En 1992, il crée un pavé sur lequel est inscrit les premières lignes du décret de Heinrich Himmler sur la déportation des tziganes à Auschwitz. Le projet prend alors une grande ampleur et suite à une exposition à Cologne en 1994, Demnig décide de reproduire des pierres similaires pour indiquer où vivaient d’anciens déportés ou victimes du régime national-socialisme entre la période de 1933 et 1945. Les Stolpersteine sont nées. Sur chacune d’entre elles y figurent « Hier Wohnte… » - en français « ici habitait… » - suivi du nom de la personne, sa date de naissance et de décès ainsi que son destin.
Littéralement, il s’agit de « pierres sur lesquelles on trébuche » et ces dernières ont pour objectif de commémorer les victimes du nazisme, afin de ne jamais oublier ce drame. De plus, ces victimes étant souvent anonymes, les pavés permettent d’établir un véritable lieu de recueillement pour la famille des individus. Dans la tradition juive, il est de coutume de poser une pierre lorsqu’on se recueille sur une tombe. Cela viendrait du fait qu’il y a fort longtemps, les pierres servaient à marquer « l’emplacement » de l’âme du défunt et pour certains, il s’agirait d’une « mitzvah » (commandement en français) de participer à la construction de la tombe d’un défunt. Par ailleurs, après la Seconde Guerre mondiale, un vieux dicton allemand racontait que lorsque que vous trébuchiez sur une pierre ou une motte de terre, un Juif y était probablement enterré. Les Stolpersteine font dès lors écho à cela.
Les Stolpersteine en Allemagne : 53 000 Stolpersteine dans 1099 villes
Posées au départ illégalement à Cologne et à Berlin, les Stolpersteine sont ensuite autorisées dans toute l'Allemagne, devenant une véritable tradition. Dès lors, tout un travail de recherche historique est mis en place, afin de retrouver l’adresse de milliers de victimes allemandes. Le coût de la mise en place d'une Stolpersteine est de 120 euros et les pierres sont souvent financées par la mairie, une association ou les descendants des victimes eux-mêmes. Pour aider Gunter Demnig, une équipe s’est formée avec Anne Thomas et Anna Ward et les pierres sont fabriquées par l'artisan Michael Friedrichs-Friedlaender dans son atelier à Berlin-Pankow.
Aujourd’hui, on peut trouver plus de 53 000 Stolpersteine, posées dans 1099 villes allemandes. A Berlin, on compte aujourd’hui 8296 Stolpersteine et une carte interactive les recense toutes. Toutefois, la pose de ces pierres commémoratives est illégale à Munich. En effet, Charlotte Knobloch, la présidente du Conseil central des Juifs d'Allemagne et ancienne présidente de la communauté israélite de Bavière s'est toujours opposée au concept. Selon elle, les victimes se feraient marcher dessus et cela serait humiliant et non pas respectueux.
La diffusion du projet en Europe et en France
Au fil du temps, le projet se diffuse en Europe, on retrouve peu à peu des Stolpersteine en Autriche, aux Pays-Bas, en Hongrie, en Belgique, en République Tchèque, en Norvège, ou en Ukraine. Pendant longtemps la Pologne, a refusé d’en poser car « ce serait le refus de voir l'antisémitisme massif de l'époque dans leur propre pays, qui en serait la cause » selon Anne Thomas.
L'art ne veut pas donner de réponses. L'art veut soulever des questions.
En 2009, des Stolpersteine sont mises en place en Belgique, suivie de peu par la France qui pose ses premières Stolpersteine en 2013. Une vingtaine sont placées dans la ville de Strasbourg, à l’initiative de l’association « Stolpersteine 67 » en 2019 et les pavés de mémoire installés à Rouen fin septembre 2020 sont au nombre de 39.
A travers le projet des Stolpersteine, l’histoire et la mémoire sont exposées aux yeux de tous, juste sous nos pieds. L’art rencontre ainsi le destin des victimes et redonne vie aux personnes que les nazis ont voulu faire disparaitre. Lorsque l’on trouve une Stolperstein sur son chemin, il est important de perpétuer ce devoir de mémoire, d’abord en se souvenant puis en posant des questions. Gunter Demnig affirme d’ailleurs lui-même : « L'art ne veut pas donner de réponses. L'art veut soulever des questions. »