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Rencontre avec Coline et Xavier Charvet, architectes avec l’Europe et Berlin à coeur

Couple d’architectes passionnés par l’habitat, la ville et plus largement l’Europe dans laquelle nous vivons. Ils nous reçoivent dans leur appartement qui est aussi leur studio, non loin de la Zionskirche platz au cœur de Berlin, dans une ancienne usine de fabrique d’ampoules, réhabilitée en logements. 

Xavier et Coline Charvet-9594Xavier et Coline Charvet-9594
© Emma Granier - Lepetitjournal.com Allemagne
Écrit par Emma Granier
Publié le 1 mars 2025, mis à jour le 13 mars 2025

 

Coup de cœur pour le Berlin des années 2000

Tous deux sont passés par les bancs de l'École nationale supérieure d'architecture Paris Malaquais au début des années 2000. Même s’ils n’étaient pas dans la même promotion, ils y ont vécu des expériences similaires, dont un premier voyage, révélateur, à Berlin. C’était encore l’époque du Deutsche Mark lorsque la promo de Xavier y effectue son voyage d’études. Tous deux reviennent de ce voyage avec un autre regard sur la ville. "Quand je suis rentrée en France, je me souviens m’être dit : “j’habiterai un jour à Berlin.”" nous confie Coline.

"La ville était bien différente. Nous avions visité les premiers immeubles rénovés autour du château d’eau de Prenzlauer Berg, dans la Rykestrasse. Je me souviens que le quartier était entièrement noir. Il n’y avait presque pas de boutiques et de restaurants… raconte Xavier." Chose difficile à croire aujourd’hui, quand on connaît ce quartier. "Alexanderplatz était aussi un grand espace vide. C’était encore vide et sauvage. Et après les visites, la fête, le soir, c’était aussi autre chose qu’aujourd’hui. Tout était plus libre, presque gratuit nous racontent-ils."

C'est donc un véritable choc des cultures pour les deux jeunes architectes, par rapport à la vie parisienne, un peu “serrée, coincée” où tout coûte très cher, à sa culture du présentéisme au travail et à son manque d’espaces verts. "Pourtant Paris est une ville de créatifs, ajoute Coline, mais on n’a pourtant pas la même liberté qu’à Berlin. On a l’impression qu’il faut penser et s’habiller pareil que les autres."

 

Coline et Xavier Charvet dans leur salon
© Emma Granier - Lepetitjournal.com Allemagne

 

De Paris à Berlin : un nouveau départ

En 2011, alors qu’ils sont tout juste parents d’un petit garçon depuis quelques mois, ils décident de quitter Paris et de changer de vie, à Berlin. Xavier part en premier pour se mettre à l’allemand avec le Goethe Institut. Il est logé près de Arkonaplatz, dans un soi-disant WG dont il ne rencontrera jamais le colocataire. Pas idéal pour la pratique de l’allemand… mais cela ne l’empêche pas de s’attacher au quartier, où il a définitivement posé ses valises avec sa famille depuis plus de dix ans maintenant. 

Après avoir travaillé plusieurs années dans l’agence Brenac et Gonzales à Paris, Coline le rejoint quelques mois plus tard avec leur fils Gabriel. Cette nouvelle vie berlinoise les force à voir leur carrière différemment et impose par la force des choses un nouvel équilibre entre le travail et la vie de parent. “Les enfants sont finalement peu à l’école en Allemagne par rapport à la France, nous explique Coline. Les parents sont très impliqués.” Comme le couple n’a pas de famille proche pour prendre le relais, leur vie berlinoise doit être plus flexible. “Grâce au Kindergarten, on rencontrait beaucoup de parents allemands. C’est une excellente manière d’agrandir son réseau, s’amuse Xavier."

Comme premier job à Berlin, Xavier est recruté par un promoteur immobilier pour la création de logements de luxe dans l’ouest de Berlin : “je suis passé de l’autre côté du miroir pendant quelques années et j’étais le client des architectes.” 

Travailler à l’ouest de Berlin était une expérience. "J’avais l’impression de changer de monde tous les jours."
"Tu partais travailler en costume cravate" lui rappelle Coline en rigolant. "Après deux ans, j’ai eu envie de revenir côté création et c’est à ce moment-là que nous avons monté le Studio Charvet. Ce n’était pas facile de redémarrer de rien mais nous avions toujours de bonnes connexions grâce à notre réseau d’amis allemands. Puis avec le bouche à oreilles, les projets se sont enchaînés. Aujourd'hui nous avons des projets en Allemagne, en Suisse, à Londres mais aussi sur la Côte d’Azur."

"Au studio, nous faisons beaucoup d’habitat privilégié et de haut niveau. En Allemagne, cela passe par beaucoup de projets de réhabilitation. C’est d’ailleurs l’un de leurs plus beaux projets, la réhabilitation d’une usine de 1880. Transformer cela en logements tout en redonnant sa beauté d’origine au bâtiment."

Le point de départ était un dessin de Xavier que les clients ont adoré et ils leur ont ensuite laissé carte blanche. La lecture du projet était facile avec un concept fort : laisser le caractère d’époque aux éléments de 1880 et apporter des éléments très modernes avec nos interventions. Un grand contraste entre la brique d’un côté, et de l’autre des interventions blanches, cubiques, très lisses. “J’aimais beaucoup ces moments sur le chantier, avec l’odeur du béton. Et c’est génial ensuite de voir que le bâtiment tel qu’il est actuellement apparaît comme une évidence aux personnes qui le découvrent, alors qu’il y a eu autant de modifications.

 

 


Question sur l’habitat moderne et les défis urbains

On n’a pas le même rapport à l’espace à Berlin par rapport à ce qu’on a pu connaître à Paris. Les prix ne sont pas les mêmes et les opportunités d’arranger, de donner un nouveau souffle sont nombreuses, nous explique Coline. Il y a beaucoup de dents creuses à Berlin. Il y a encore de grands espaces qui appartiennent à des concessionnaires et qui peuvent être développés encore de façon indépendante de la municipalité. Dans les grandes villes françaises, cela n’existe plus. On a besoin de l’ordre public pour faire ces projets. Ici cela peut se faire de façon spontanée."

"J’ai beaucoup travaillé sur le logement collectif avec Olivier Brenac à Paris et c’était très agréable de se dire qu’on ne va pas sortir un plan de son ordinateur, on ne va pas construire un appartement, même petit, sans avoir envie d’habiter dedans, nous raconte Coline."
A Berlin, beaucoup d’immeubles sont beaux de l’extérieur mais les plans à l'intérieur sont plutôt originaux voire bizarres pour les deux architectes. Pour Xavier et Coline, formés à l’école parisienne où chaque mètre carré doit être optimisé, les plans berlinois sont souvent source d’étonnement. Ils nous donnent l'exemple d'appartements sur Pariser Platz où la cuisine donne directement sur la grande place. La façade est magnifique, mais les plans intérieurs sont très surprenants. "On sépare beaucoup le travail de l’architecte et celui de l’architecte d’intérieur ici. C’est une autre manière de construire et de penser l’architecture."

Un autre exemple original, le programme spa que l’on propose dans nos logements. En tant que Français, on mettrait plutôt le sauna dans les espaces privés, mais ici, on a souvent la demande de mettre le sauna proche des espaces de réception. C'est un lieu convivial finalement.

 

 

"Aujourd’hui, il y a une nouveauté dans les demandes que l’on reçoit pour nos projets : une pièce de 5-6 mètres carrés pour le home office. C’est une réflexion qui devrait se faire au niveau de la ville nous explique Coline. D’un côté les particuliers souhaitent avoir ces espaces de travail à la maison, et de l'autre les bâtiments de bureaux sont vides, mais on les rénove malgré tout. Quand on passe devant les bureaux de SAP à Hackescher Markt, cela fait mal au cœur de les voir vides. Ils pourraient être transformés en logements étudiants."

C’est ironique quand on voit la crise du logement qu’il y a actuellement à Berlin.

"C'est une vraie question pour l’habitat moderne dans les villes. On pourrait transformer ces immeubles de bureaux en logements. Mais cela implique moins de points d’eau et moins d’extérieurs."

 

Diversification du studio et pari européen réussi 

"Le studio est à un moment charnière, on essaie d’élargir notre clientèle à des professionnels de l'hôtellerie par exemple, nous explique Xavier. Le travail avec des promoteurs nous permet une plus grande liberté dans nos projets. On a carte blanche on peut être plus créatif. Avec les privés, c'est différent. Ils font appel à nous pour le projet de leur vie donc c’est normal qu’il y ait des demandes spécifiques, des contraintes, etc. Cela aboutit souvent à des amitiés, mais on comprend que le processus soit plus compliqué."

Mais pour que ces nouveaux projets aboutissent, il faut aussi que le contexte économique le permette. "On aimerait que l’économie remonte. Beaucoup de projets n’ont pas pu se réaliser parce que les prêts n’ont pas été acceptés.

A côté de ses activités au studio, Xavier est aussi professeur à la Berlin University for Applied Sciences. "C’est sympa de pouvoir confronter ses idées avec celles des étudiants. Ils n’ont pas les mêmes questionnements que nous."


En s’installant à Berlin, le couple a fait un pari sur l’Europe et sur l’avenir. Aujourd’hui, avec des projets aux quatre coins de l'Europe, l’implication à l'université de Xavier pour les générations futures, et leur vie de famille bien équilibrée, ce pari est réussi !
 

 

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