Le centre d’exposition installé dans l’ancien aéroport de Tempelhof est sujet à controverse depuis son ouverture fin janvier. Les collectifs d’artistes dénoncent l’instrumentalisation du lieu.
Les hangars de Tempelhof
Alors que le nouveau centre d’art a ouvert ses portes au sein de deux des hangars désaffectés de l’ancien aéroport de Tempelhof, les intentions de Walter Smerling, le concessionnaire du lieu, sont dénoncées par des collectifs d’artistes berlinois. Le lieu a été inauguré avec une rétrospective du sculpteur et plasticien français Bernar Venet depuis la fin du mois de janvier. L’ancien aéroport de Tempelhof est souvent associé aux heures sombres de la capitale allemande. Il fut construit en 1923 et utilisé par le régime Nazi au cours de la seconde guerre mondiale puis consacré aux ponts aériens durant la guerre froide.
C’est aujourd’hui un lieu public accueillant une multitude d’événements culturels et sportifs toute l’année. Depuis son ouverture en 2010, les berlinois sont parvenus à conserver ce lieu public, mettant des barrières aux projets immobiliers de construction au sein du parc. La vente de deux des hangars de Tempelhof à une fondation privée pour l’art vient ici bousculer l’équilibre trouvé au préalable.
Un combat mené par les artistes face à la mainmise du privé
Les critiques visant le groupe privé de production artistique tenu par Smerling, président d’une fondation privée pour l’art et la culture à Bonn, sont diverses. Les liens entre le curateur du lieu et les personnalités politiques de droite, mais aussi Vladimir Poutine, sont évoqués par les contestataires. Son incapacité à payer les participants à l’exposition est également pointée du doigt. Smerling a été accusé par les collectifs d’artistes d'utiliser ses liens avec le monde de l'art pour s'enrichir financièrement et améliorer son image auprès de la sphère politique, et de faire passer l'institution pour un effort public, alors qu'elle n'a été que partiellement et silencieusement financée par le gouvernement allemand. De plus, une grande partie du projet a également été financée par le promoteur immobilier Christoph Gröner, souvent associé à la gentrification de la ville de Berlin.
L'artiste sud-africaine Candice Breitz, basée à Berlin et connue pour ses installations vidéo dénonciatrices et politiques, a appelé au boycott du lieu. Alors à la tête du mouvement de boycott de la Kunsthalle, elle publie une déclaration, le 28 janvier, dans laquelle elle affirme que le centre d’art n'est pas « une initiative réfléchie qui sert les intérêts de la communauté artistique et culturelle de Berlin » mais « un véhicule cynique et néolibéral qui servira en premier l’argent privé ».
Une lettre ouverte destinée à la municipalité de Berlin
Avant l’ouverture de la Kunsthalle de Berlin, près de 650 personnalités du monde de l’art européen ont publié une lettre ouverte destinées aux autorités municipales via e-flux, la plateforme de publications, d’archives et de projets artistiques la plus connue. La lettre cible principalement Walter Smerling, considéré comme l’un des acteurs principaux de l’instrumentalisation des lieux d’expositions à des fins politiques. La financiarisation systématique de l’art est également dénoncée au travers de projets comme celui de la Kunsthalle.
La "Kunsthalle Berlin" n'est pas une galerie d'art publique - surtout pas au sens où elle serait gérée par une municipalité, les Länder ou l'État fédéral - mais une initiative privée de Walter Smerling, qui poursuit ses propres intérêts - Lettre ouverte publiée sur e-flux
Les puissantes structures privées qui investissent le marché de l’art semblent contre-productives du point de vue des collectifs d’artistes, celles-ci prennent une place de plus en plus importante au sein des grandes villes et réhabilitent des lieux qui auraient dû rester publics.
Une bataille géopolitique
À la dénonciation de l’instrumentalisation du lieu s’ajoute un problème politique plus profond. Pour recontextualiser, Smerling a organisé à Moscou une exposition à la galerie Tretiakov avec une centaine d’artistes dont des figures reconnues comme l’artiste française Annette Messager où encore Gerhard Richter. Cette exposition, appelée « Diversity United » ayant pour but la célébration de la diversité du continent européen et de la démocratie était réalisée sous la tutelle de Vladimir Poutine... Début février, alors que Poutine envahit l’Ukraine, les premiers artistes manifestent leur refus à contribuer à une telle exposition et demandent le retrait immédiat de leurs œuvres. Parmi eux, on compte l’artiste israélienne Yael Bratana et la libanaise Mona Hatoum ainsi qu’une dizaine d’autres artistes.
Walter Smerling a donc contribué à la production de cette exposition en Russie. La critique a aussi dénoncé le discours porté par Gerhard Schröder à l’inauguration de centre de Tempelhof, aujourd’hui ciblé par les critiques suite à sa prise de position concernant le gazoduc et ses liens ambigus avec le Kremlin. L’exposition "Diversity United" à Moscou a tardivement pris fin il y a un mois suite à une décision de Smerling. Cependant les liens étroits tissés entre ces personnalités et la Kunsthalle de Tempelhof continuent de questionner la place de l’art au sein d’un univers politisé et instrumentalisé.
Nous croyons toujours que l’art est un moyen de construire des ponts, mais cela s’arrête quand la guerre commence - communiqué publié par Diversity united
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