A l’occasion de l’élection présidentielle, Cédric Pellen, maître de conférences en science politique à l’Université de Strasbourg et membre du centre de recherche Marc Bloch à Berlin, a répondu à nos questions pour mieux comprendre le vote des Français en Allemagne.
Au risque de vous décevoir, les explications données dans cet article ne sont encore que des hypothèses. L’enquête sur le « rapport au politique des Français établis en Europe centrale et orientale dans le cadre des élections françaises de 2022 » de Cédric Pellen est toujours en cours. Ses réponses ne sont pas définitives. Néanmoins, des tendances se dessinent et permettent de mieux comprendre les pratiques du vote des Français d’Allemagne.
Qui sont les Français de l’étranger ?
Que désigne l’expression « Français de l’étranger » ? Ce terme désigne-t-il tous les Français résidant autre part qu’en France ? Sont-ils ceux qui votent, ceux inscrits sur les listes électorales ou bien ceux déclarés à l’ambassade ? Cédric Pellen nous explique ce que l’on entend derrière ce terme.
« Être Français de l’étranger, c’est un statut qui affirme que l’on vit à l’étranger et que l’on a la nationalité française. Être électeur français de l’étranger ce n’est pas exactement la même chose. Il y a un décalage. Rien qu’à Berlin, les personnes qui ont la nationalité française sont estimées entre 30 000 et 35 000, or il y en a seulement 13 000 inscrites sur les listes électorales. […] » explique-t-il. Il est donc clair que nous ne pouvons pas tirer des conclusions hâtives sur les positions politiques des expatriés en nous basant sur les résultats des élections, puisque seulement une partie d’entre eux sont inscrits sur les listes électorales et usent de leur droit de vote.
Cédric Pellen nous propose aussi de déconstruire le cliché du Français « expat ». Lorsqu’on imagine un Français de l’étranger, la première image qui nous vient est celle d’un expatrié plutôt fortuné, venu s’installer en Allemagne pour le travail. « Le réflexe c’est de penser qu’ils ont émigré. C’est vrai mais seulement en partie. » En réalité « près de 25 % des inscrits sur les listes consulaires sont nés en Allemagne. Ce sont des gens qui n’ont jamais vécu en France, qui ont acquis la nationalité par leurs parents. […] » explique-t-il. Tous les Français de l’étranger ne sont donc pas nés en France, mais qu’en est-il du préjugé de l’expatrié au niveau de vie aisé ?
Quel est le profil sociologique des Français d’Allemagne ?
Bien que ce soit difficile à estimer sans chiffres précis et sans résultats d’enquête, Cédric Pellen nous donne un certain nombre de pistes sur les profils économiques et sociaux de ces citoyens.
« Chez les Français de l’étranger qui sont des migrants et qui sont installés en Allemagne, on retrouve généralement des personnes plus jeunes et plus diplômées que la moyenne française […]. Les boulots qui permettent des mobilités sont souvent […] plus qualifiés. A Berlin, c’est beaucoup la ‘tech’, à Munich les ingénieurs et à Francfort la finance ». Par rapport à la moyenne française, il semblerait qu’il y ait plus de Français issus des classes moyennes et des classes supérieures. L’interviewé prévient tout de même, il ne faut toutefois pas faire de généralités. « Cela reste très hétéroclite. Il y a aussi des personnes des classes populaires qui viennent en Allemagne pour aller travailler dans les ‘call center’ par exemple. Il n’y a pas que des cadres non plus. »
Quels sont les Français qui votent ?
De manière générale, l’intérêt politique est corrélé avec le niveau social. Ainsi comme en France, le taux d’inscription sur les listes électorales est moins élevé chez les classes populaires, et plus élevé chez les classes supérieures. « C’est ce que disait Daniel Gaxie dans le Cens caché, dans les années 80 » nous rappelle Cédric Pellen. A l’étranger s’ajoute une autre dimension : partir dans un autre pays favorise le désintérêt pour la politique. « Si on était pas intéressé par la politique en France, il y a des chances pour qu’en Allemagne, on soit encore plus désintéressé » pointe-il.
L’élection présidentielle est-elle différente des autres élections ?
« La plupart des Français de l’étranger entretiennent un rapport distant avec la politique française, ce qui est bien normal puisqu’ils sont beaucoup plus concernés par les choix et les décisions politiques du pays dans lequel ils vivent » rappelle-t-il. Néanmoins, il y a une exception : l’élection présidentielle. Les électeurs s’y mobilisent plus que pour les législatives ou les élections consulaires. Certes, il y a la centralité de l’élection présidentielle, très médiatisée et populaire qui joue, mais le chercheur ajoute qu’il y a aussi une dimension rituelle et identitaire. « Au final quand on est Français à l’étranger, c’est un moment où on va jouer de sa citoyenneté. Pour certains, c’est un moment où l’on va retrouver d’autres Français, alors qu’on n’en voit pas tous les jours. »
Pour qui votent-ils ?
Si la communauté française d’Allemagne est loin d’être homogène, Cédric Pellen nous donne quelques éléments qui expliquent les scores du premier tour à la présidentielle.
Focus sur le vote Macron
En Allemagne, Emmanuel Macron a recueilli 53 % des voix, un score très élevé en comparaison avec ses résultats au niveau national de 27,8%. Selon Cédric Pellen, trois éléments peuvent expliquer ce score.
Le premier est qu’il y a un bloc des Français de l’étranger qui sont, comme nous l’avons déjà précisé, très éloignés de la politique et de l’actualité française. Ils sont quotidiennement plongés dans la culture allemande. « Je pense qu’il y a un vote Macron des Français de l’étranger qui pensent qu’au final, il est bien car il représente bien [la France] à l’internationale et parce qu’il est pro-européen. C’est un vote assez peu politisé pour Macron qui explique une partie de son gros résultat » explique Cédric Pellen.
Un second bloc, plus minoritaire, constitué d’expatriés mobiles aux emplois qualifiés a aussi voté pour le président sortant. « Par exemple, ce sont ceux qui bossent chez Total, ou dans une banque, des gens qui étaient à Londres, puis à New York et à Francfort. En général, ce sont des gens plutôt de centre droit, plutôt libéral. [...] Avant l’arrivée de Macron, il y avait un vote de droite significatif en Allemagne qui s’est éloigné de LR car le parti est devenu trop à droite pour eux. » Ce vote de personnes plutôt politisées pour le candidat s’explique par le type d’emploi que l’on décroche en Allemagne. Par exemple à Munich, les expatriés viennent pour le tissu économique, pour le secteur de l’assurance ou de l’automobile. Ces personnes ont plus une sensibilité de centre droit, liée à leur parcours scolaire et professionnel. En parallèle, Emmanuel Macron a aussi réussi à capter une partie de l’électorat de centre gauche, important en Allemagne. Jusqu'en 2017, le PS était le vote majoritaire des Français d’Allemagne.
Enfin, le troisième élément qui explique son score élevé, est le très faible score de l’extrême droite. Proportionnellement, « le vote Macron est plus probable, puisqu’on a moins de probabilité de vote d’extrême droite, pourtant deuxième choix de vote en France métropolitaine. »
Le vote Le Pen et Zemmour
Comparé aux scores nationaux, le taux de vote pour l’extrême droite a été très faible au premier tour. Marine Le Pen a obtenu seulement 2,6% des voix en Allemagne et Eric Zemmour 3,4 %.
Selon le chercheur en sciences politiques, cela s’explique par un fort attachement à l’Union européenne et aux relations franco-allemandes. Ils ne veulent pas voter pour un parti qui souhaite remettre en cause l’Europe. Cédric Pellen fait aussi l’hypothèse qu’ayant vécu l’expérience de migrants, il est difficile de voter pour des candidats frontalement opposés à l’immigration.
Le vote Mélenchon, le vote utile de la gauche
Jean-Luc Mélenchon a obtenu un score de 18,7 % en Allemagne, ce qui est un peu moins que la moyenne nationale. Ce score reste loin d’être mauvais. Le candidat a bénéficié, comme en France, d’un vote utile à gauche chez les Français les plus politisés. « On a bien vu qu’aux élections consulaires, ils ont fait un plus gros score […] le fait qu’il y ait une poussée Mélenchon, c’est aussi beaucoup de votes utiles des gens qui votent habituellement écolos, ou de gauche. »
L’insoumis a particulièrement séduit les électeurs de Berlin. Un choix politique qui s’explique facilement par un vote historiquement à gauche dans la capitale.
S’il ne fait aucun doute qu’Emmanuel Macron sera vainqueur du second tour en Allemagne, le futur taux d’abstention et de vote blanc reste un mystère, de même que l’identité du ou de la futur.e président.e. Il ne reste plus qu’à attendre dimanche…
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