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Café europa 2022 - La liberté de la presse et son avenir vus de France et d'Allemagne

Un journaliste avec un casque et un masqueUn journaliste avec un casque et un masque
© Klaus Wright - Unsplash
Écrit par Emma Granier
Publié le 24 mars 2022, mis à jour le 24 mars 2022

Samedi 5 mars dernier, à l’étage de la Literaturhaus, havre de paix dans une rue perpendiculaire au Ku’damm, une vingtaine de personnes étaient réunies dans une salle d’un autre temps. Boiseries du sol au plafond, tapisseries et rideaux assortis, c’est dans ce bel écrin, que s’est tenu le Café Europa de Berlin, rencontre organisée par l'Institut français d'Allemagne dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne et avec le soutien de l’Université franco-allemande.

 

Les cafés, lieux historiques de la formation d’une culture européenne

Les "Cafés europa" ont lieu dans chaque Etat membre de l’Union européenne, au sein de cafés emblématiques. Cette année, les discussions entre journalistes français et locaux portent sur la liberté de la presse et son avenir. Les invités sont, côté allemand, Philip Grassmann, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Der Freitag et, côté français, Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef de La Croix.

 

En préambule, Cyril Blondel, directeur de l’Institut français d’Allemagne rappelle pourquoi ces rendez-vous européens ont lieu dans des cafés et non dans les locaux de l’Institut français, pourtant à quelques vingtaines de mètres, en ce qui nous concerne, à Berlin. Les cafés sont des lieux par essence où l’on se retrouve pour lire la presse, discuter, débattre : des lieux de constitution de l’opinion publique. On pense à des cafés berlinois historiques comme le Café des Westens ou le Romanische Café. Des générations d’intellectuelles s’y sont rencontrées pour confronter leurs idées et faire évoluer leurs pensées.

 

Un croissant et une tasse de café sur une table
© LPJ Berlin - Emma Granier

 

Ce sont aussi des symboles de l’identité européenne, en ce sens qu’ils sont vecteurs de notre appartenance au groupe, à la société multiculturelle. Cyril Blondel fait ainsi le lien avec le programme de la présidence française du Conseil de l’Union européenne : Relance, Puissance, Appartenance.

 

C’est dans ce cadre que se rencontrent deux rédacteurs en chef professionnels et deux jeunes journalistes pour aborder les perspectives du journalisme dans un contexte où les crises se succèdent les unes après les autres, apportant chacune son lot de fake news et autre discrédit portant atteinte au travail des journalistes. Aux côtés de messieurs Grassmann et Ploquin, Sophie Steinfeld, étudiante du cursus intégré en journalisme de l’université Johannes Gutenberg de Mayence et l’université Paris 3 – Sorbonne-Nouvelle, soutenu par l’Université franco-allemande, et Valentin Machard, étudiant du cursus intégré en journalisme de l’université Albert-Ludwig de Fribourg et du CUEJ Strasbourg, également soutenu par l’Université franco-allemande, mondèrent le débat.

 

Le plus beau métier du monde est-il en crise ?

Valentin Machard commence fort le débat : « Jamais les médias n’ont été aussi décriés et même à bout de souffle pour ce qui concerne leur modèle économique. Y a-t-il de nouvelles perspectives ou les journalistes seront-ils toujours condamnés à payer le prix fort ? J’ai malheureusement la crainte de vivre dans un monde où le journalisme ne sera bientôt plus nécessaire. »

Face à l’inquiétude de l’étudiant, Jean-Christophe Ploquin donne une réponse optimiste rappelant que, pour lui, le journalisme est le plus beau métier du monde et que tant qu’il y aura des crises, il y aura des journalistes. Face à la difficulté du contexte actuel, il y a un besoin de mettre en perspective les informations reçues. Les médias installés deviennent alors des lieux de recours et de consultation nécessaires et recherchés car le travail du journaliste c’est avant tout d’aller chercher les informations et de les hiérarchiser.

Pour son homologue allemand, Philip Grassmann, la situation n’est pas si sombre non plus même s’il rappelle qu’il n’a jamais été aussi important de faire la part des choses entre les fake news et les vraies informations.

 

Les participants du Café europa 2022
Philip Grassmann, Valentin Machard, Sophie Steinfeld et Jean-Christophe Ploquin - Café Europa 2022

 

En écho à l’actualité, il donne l’exemple des périodes de guerre, des situations très difficiles pour les journalistes car c’est là qu’il est le plus compliqué d’obtenir des informations et d’avoir une vision globale de la situation. « Nous ne pouvons avoir qu’un aperçu, personne n’a une vision d’ensemble (das große Bild). »

 

A La Croix, travaillent 110 journalistes dont deux en Ukraine et un correspondant à Moscou. Ce dernier est aujourd’hui soumis par la loi votée par la Douma en début de mois et infligeant jusqu'à quinze ans de prison aux auteurs de « fausses informations » sur l’armée russe. Il ne peut plus utiliser des termes comme ceux de « guerre », ou encore d’ « invasion » sous peine d’être arrêté et emprisonné. « On revient à la question des fragments d’information pendant les périodes de conflit. »

 

Pour les journalistes couvrant le conflit sur place, il y a bien sûr des consignes transmises par les rédactions. « Nous ne leur demandons pas d’aller là où tombent les bombes. Ils suivent les civils, la population. Mais en fin de compte, c’est la sensibilité du journaliste sur le terrain qui lui permet d’évaluer sa propre façon d’agir. Pour les photographes et les cameramen c’est d’autant plus difficile car ils souhaitent aller au plus près du conflit pour obtenir des images fortes. Souvent ils sont pigistes à leur compte et ne bénéficient pas d’une bonne couverture sociale. Ce sont des situations compliquées et il y a là une responsabilité première qui doit venir de la part des médias, la sécurité en premier ! »

 

Un autre challenge selon Jean-Christophe Ploquin, en temps de conflits, est la difficulté à ne pas se focaliser uniquement sur le conflit en question. « Notre travail quotidien c’est d’informer sur tout ce qui se passe dans le monde, sur la situation plus large. » Le conflit est bien sûr au cœur de l’actualité, mais il ne faut pas pour autant en oublier les autres sujets et toujours mettre les événements en perspective.

 

Le souci mais aussi l’avantage de la presse écrite est donc d’avoir du recul et de pouvoir fournir une analyse sur les sujets qu’elle traite. « Nous fournissons des dossiers sur un angle précis par exemple la religion dans la guerre en Ukraine : quels rôles tiennent le patriarche à Moscou et le Pape à Rome dans ce le conflit ? C’est une approche totalement différente de celle des chaînes de télévision d’information en directe où les informations sont livrées en boucle. C’est de l’actualité brûlante. »

 

 

Un métier qui éveille souvent les soupçons

En France, il y a de la suspicion envers les journalistes, qu’elle émane de la classe politique ou des citoyens. Dans un sondage réalisé annuellement par la Croix, on apprend que seuls 50% des Français font confiance aux médias en général. « La crédibilité des médias est plus confuse au temps des réseaux sociaux » explique Jean-Christophe Ploquin. Cela pose la question du rôle des plateformes et des réseaux sociaux face aux médias réglementés. Les réseaux sociaux aujourd’hui sont devenus le principal canal d’information de la société et surtout des jeunes générations. « Or il s’agit souvent d’information crue, sans médiation, qu’ils prennent en pleine figure. Dans nos pays, il existe un droit de la presse. Des règles, des lois sont fixées par le législateur. Or, ces lois ne s’appliquent pas aux plateformes. Ils doivent aujourd’hui recruter des personnes pour contrôler et modérer eux-mêmes les messages qui sont véhiculés sur leurs médias. »

 

Valentin Marchard rappelle qu’en France, neuf personnalités détiennent plus de la moitié des médias. En effet, la concentration des médias et le rôle des grands groupes sont des sujets majeurs qui jouent également un rôle dans la confiance ou la défiance du public.

 

La suspicion et parfois le discrédit des journalistes peut aussi venir des politiques. C’était le cas en Allemagne avec Helmut Kohl qui était en véritable conflit avec la presse rappelle Philip Grassmann. En France, on assiste à quelque chose de similaire avec Emmanuel Macron et l’attention qui est apportée à la couverture de l’action présidentielle explique Jean-Christophe Ploquin. « En démocratie, tous les mouvements et bords politiques défendent la liberté d’expression et d’informations. Mais à chaque prise de décision politique, il y a des compromis, des concessions faites, des failles peut-être, que les politiques veulent cacher ou en tout cas, ne pas mettre en lumière. Et c’est évidemment, ce que les journalistes veulent montrer du doigt. La maîtrise du récit n’appartient pas entièrement à la classe politique, alors qu’il y a justement toute une stratégie politique pour imposer ce récit aux médias. »

 

Le champ concurrentiel est immense mais il faut faire confiance aux citoyens qui ont aussi une responsabilité dans leur façon d’aborder et de consommer l’information

 

Le pluralisme de l’information reste et restera la clé

Face à tous ces nouveaux canaux d’information, il faut malgré tout noter qu’il y a toujours cette culture de l’information qui prévaut, explique Jean-Christophe Ploquin. On parle beaucoup des podcasts aujourd’hui, il y a aussi des youtubeurs qui effectuent un travail exceptionnel, on voit aussi pas mal de développement sur des plateformes comme Twitch. Les médias traditionnels commencent à avoir leurs propres émissions sur ces nouvelles plateformes et les journalistes vont petit à petit s’approprier ces nouveaux supports.

 

Le champ concurrentiel est immense mais il faut faire confiance aux citoyens qui ont aussi une responsabilité dans leur façon d’aborder et de consommer l’information. Rationalité, mise en perspective. Le pluralisme de l’information sera la clé. Et cela va de pair avec le développement de la fonction de débat. Aujourd’hui, il est possible de confronter les points de vue grâce au numérique et à la publication des articles en ligne sur les sites des journaux. C’est une nouvelle dimension de la presse à développer selon Jean-Christophe Ploquin. Ces nouveaux espaces permettent la formation d’un esprit critique, ils rejoignent ainsi le rôle des cafés historiques dont on parlait en introduction.  

 

 

 

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