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"Breathing Matter(s)" à Silent Green, la rencontre entre le cinéma et l'anthropologie

Jusqu’au 24 août, le duo d’anthropologues et d’artistes composé de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor prend ses quartiers à silent green. Plus de dix ans après leur première invitation dans ce lieu culturel singulier en 2013, l’établissement leur consacre une rétrospective, intitulée “Breathing Matter(s)”. L’occasion de se plonger dans leur œuvre cinématographique expérimentale, extrême et parfois dérangeante.

Une rampe sombre qui descend, sur les murs sont projetés des images d'oiseaux marinsUne rampe sombre qui descend, sur les murs sont projetés des images d'oiseaux marins
Last Judgment - Véréna Paravel, Lucien Castaing-Taylor ("Jugement dernier", 2013) à silent green © Pénélope Le Mauguen - Lepetitjournal.com Allemagne
Écrit par Pénélope Le Mauguen
Publié le 22 juillet 2025, mis à jour le 23 juillet 2025

Des œuvres interdisciplinaires 

Le visiteur emprunte d’abord une longue rampe qui s’enfonce dans les profondeurs de silent green. Sur les murs, au plafond et au sol, l'œuvre Last Judgment ("Jugement Dernier", 2013) est projetée. Des oiseaux marins volent dans tous les sens, dans ce qui semble être une tempête, où ciel et mer se confondent. Une scène apocalyptique, dans laquelle nous sommes immédiatement immergés. Dans cette exposition où aucune œuvre n’est disposée au hasard, Last Judgment rappelle également l’histoire de ce lieu qui fut au début du 20e siècle le premier crématorium de Berlin - la rampe qu’empruntent les visiteurs était le couloir menant vers la morgue. 

Immersion, environnement, vie et mort, voici quelques-uns des thèmes centraux de cette rétrospective consacrée aux travaux de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, anthropologues de formation, et artistes par leur rejet du jargon académique et des limites du langage comme moyen d’expression, qui les a fait se tourner vers le film et l’image. En 2006, Lucien Castaing-Taylor a fondé le laboratoire d’ethnologie sensible (SEL) à l’université Harvard, qu’il dirige et au sein duquel Véréna Paravel enseigne également. Le SEL affiche ses ambitions sur son site, où il est écrit que ses travaux visent à se concentrer sur des “dimensions du monde, animées ou inanimées, qui ne peuvent être retransmises qu’avec difficulté, voire pas du tout, par les mots.” C’est en son sein que les œuvres interdisciplinaires de Paravel et Castaing-Taylor présentées ici ont été créées. 


 

Salle avec de nombreux écrans et quelques visiteurs qui les regardent
De Humani Corporis Fabrica, Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor (De la structure du corps, 2022) à silent green © Pénélope Le Mauguen - Lepetitjournal.com Allemagne

 

Viser les angles morts de l’expérience humaine

Des œuvres qui se caractérisent, selon Paravel, par leur volonté “de dissoudre les frontières entre le corps, l’environnement, et quelque chose de plus grand, auquel on appartient”. Ainsi, dans Leviathan (2012), leur film le plus connu, qui prend place sur un chalutier pêchant au large des côtes de New Bedford, Massachusetts, les pêcheurs sont tout autant sujet que le bateau, les mouettes, les coquillages, crustacés et poissons apparaissant à l’image, mais aussi la mer ou encore la lune. Tous figurent d’ailleurs au générique de cette œuvre inclassable et à l’esthétique radicale, filmée grâce à douze caméras disposées à différents endroits du bateau, parfois sur les pêcheurs eux-mêmes. 

Dans Somniloquies (2017), on peut entendre les déambulations oniriques étonnamment intelligibles de l’auteur-compositeur américain Dion McGregor, plus connu pour parler dans son sommeil que pour ses créations musicales. Ses rêves ont été enregistrés pendant sept ans par son colocataire, une matière que Paravel et Castaing-Taylor utilisent en bande-son d’un film où leur caméra suit les lignes souvent brouillées de corps endormis, dans une tentative de filmer un monde invisible, l’inconscient collectif d’une époque. 

Mais l'œuvre centrale de l’exposition est le dernier film du duo, De Humani Corporis Fabrica (De la structure du corps, 2022), qui s’étire sur huit écrans, et nous plonge dans les entrailles des hôpitaux parisiens et de leurs patients. Littéralement, car un des supports utilisé par Castaing-Taylor et Paravel sont les caméras chirurgicales, utilisées lors de certaines opérations pour filmer l’intérieur du corps des patients, et qui servent ici de médium pour atteindre encore un autre aspect de l’expérience humaine. 

Le visiteur, à nouveau physiquement cerné par les images, peut laisser son regard errer d’un écran à l’autre, de l’intérieur d’un organe à une soirée entre soignants dans l’hôpital, en passant par une unité de soins palliatifs où, au fil de la conversation d’une soignante, le thème des coupes budgétaires dans les hôpitaux publics est abordé. On saute ici du corps à l’extérieur, à ce qui l’environne, sans que rien ne nous soit expliqué, car ce n’est pas là la vocation des œuvres de Castaing-Taylor et Paravel, qui, en en appelant à nos sens, nous jettent dans un monde qui nous sublime.

 

L'exposition "Breathing Matter(s)" est présentée jusqu'au 24 août. 
L'entrée est gratuite. 
Différents évènements autour de l'exposition auront lieu au fil de l'été. Programme ici

 

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