En bordure de l'historique Tempelhofer Feld s’est installée, en 2018, la Floating University. Située directement sur les bassins de récupération des eaux de pluie de l’ancien aéroport, le projet est mené par un collectif qui repense le rapport que l’humain entretient avec son environnement. Reportage en photo de ce lieu unique.


Déposées tranquillement sur le bassin de rétention des eaux polluées de Tempelhof, les structures modestes et pourtant pleines de charme de la Floating University coexistent avec les grenouilles, les roseaux, les humain·es, les canards, les abeilles et la boue. Chaque été, ses portes dissimulées sont ouvertes au public, fruit du travail d’une cinquantaine de personnes, majoritairement volontaires, où toutes, tout, et tous se rencontrent, interagissent, collaborent, pour garder le lieu actif, ouvert et en bonne santé.
Pensé comme un lieu interdisciplinaire, on pourrait le qualifier de projet architectural ? Ou de projet environnemental ? Ou de projet social ? Ou de projet culturel ?

L’écosystème, plus fort que tout
Quand on demande au collectif de résumer ce que c’est, exactement, Floating University, l'attention est portée sur le caractère « naturel-culturel » du site. Conceptualisée par Donna Haraway, l’idée de natureculture rejette la dualité constante installée dans nos sociétés, (homme/femme, nature/culture, cerveau/corps), et remet en perspective notre perception anthropocentrée et dominatrice, qui définit l’anthropocène actuelle.
Quand l’aéroport de Tempelhof ferme officiellement, l’entretien des eaux est abandonné également. Petit à petit, dans le bassin — qui abritera, une dizaine d’années plus tard, l’éco-campus — des tapis de roseaux se forment. Malgré le béton et la pollution, les bouquets de roseaux s’étendent et accueillent de nouvelles vies : insectes, amphibiens, oiseaux, végétaux, … Le nouvel écosystème se réapproprie et habite pleinement cet espace urbain, forgé par l’humain, et symbolise aujourd’hui cette interdépendance nature-culture qu’a réussi à créer la Floating University.


Temporaire pour un nombre d’années indéfini
« Ça n’a jamais été pensé comme une chose permanente, c’est plutôt voué à renaître constamment ». — Jonas, membre du collectif
En 2018, le collectif d’architectes berlinois Raumlabor imagine la Floating University. Il obtient l’autorisation de Tempelhof Projekt GmbH (les propriétaires du bassin) d’occuper les lieux le temps d’un été, à condition de n’y construire rien de trop lourd ni de permanent. Le 10 mai de cette même année, après plusieurs mois de conceptualisation, peuvent commencer les explorations et les rencontres avec cet environnement si particulier : semaines porte ouvertes, ateliers collaboratifs, débats, projections. Le public éclectique (étudiant·es, habitant·es voisin·es, artistes, activistes) et la diversité des sujets gravitent déjà autour de ce qu’est l’action collective humaine, et comment notre espèce comprend et appréhende son milieu.
Floating e.V., l’association légalement enregistrée, n’apparaît alors que tout naturellement à l’automne 2018, au sortir de ce bel été. S’éloignant progressivement de l’organisation organique et spontanée de Raumlabor, Floating e.V. devient un collectif structuré, qui se concerte une fois par mois.
« On essaie d’inclure tout le monde dans tout ce que l’on fait. Il y a une grande diversité dans les parcours de chacun·e : des architectes, des activistes expert·es dans l’occupation urbaine, des chercheur·euses. Moi, par exemple, j’ai un parcours en philosophie de la / et musique. Mais tout ça qui existe ensemble, ça permet à chacun et chacune d’apporter sa propre perspective sur le projet ». — Jonas, membre du collectif


Chaque année, le collectif renégocie l’occupation du bassin avec Tempelhof Projekt GmbH, et chaque année, de nouveaux défis financiers, écologiques et politiques influencent l’espace ainsi que les possibilités de programmation et d’accueil. La Floating University comme projet pérenne n’est donc peut-être pas garanti, mais d’une certaine manière, elle n’était jamais pensée comme telle.
Tant qu’elle existe, occupons ensemble les lieux et prenons-en soi pour continuer d’ouvrir nos portes aux prochains et prochaines curieux·ses : cet état d’esprit permet sans doute au collectif et son berceau berlinois de se réinventer continuellement et préserver son existence.
Un lieu pour poser des questions
« Learnscapes » est le terme que nous utilisons pour désigner le paysage flottant de la production de savoirs, des manières de connaître et d’exister, et des processus de désapprentissage, de réapprentissage et d’apprentissage collectif, en travaillant et en réfléchissant ensemble sur le site du bassin de rétention des eaux de pluie à Kreuzberg, Berlin » (site internet de Floating University)
Le projet est définit par sa double ambivalence : les structures ne flottent pas, même si elles laissent paraître le contraire, et le terme « université » est délibérément barré, reniant le caractère élitiste et unidisciplinaire de celles-ci. Ici, il suffit de passer son nez dans la ruelle discrète qui abrite le site, s’y aventurer tranquillement, contempler la flore, écouter la faune, faire attention aux petites choses, poser les questions qui nous viennent, et parfois donner un coup de main, pour contribuer à l’apprentissage collectif et engagé de l’université flottante.

Les fondations symbolisent aussi plus directement cette inclusivité : l’architecture et l’environnement coexistent, et n’occupent pas seulement l’espace comme un simple terrain. C’est un espace tangible, qui permet aux cinq sens de s’épanouir. Comme le théorise Joanne Pouzenc dans son court essai, on peut qualifier la Floating University de projet « d’architecture capable et résiliente » : la structure humaine est faite de matériaux réutilisables et de technologies simples à assimiler et reproduire. De plus, les constructions n’empêchent pas aux écosystèmes de s’imposer et d’évoluer librement, et de former un tout.
Que ce soit dans sa forme architecturale, dans sa structure humaine, ou dans son engagement social, la Floating University est un lieu hybride, ouvert et impermanent. Chaque jeudi, samedi, et dimanche (de 16h à 20h), les portes sont grandes ouvertes, et le reste de l’été est ponctué de rencontres diverses et variées.

Consultez leur site internet pour une quantité plus exhaustive de ressources, d’informations, de projets passés et du calendrier exact de l’année 2025.
Sources
Le site internet de Floating University
The Reeder, issue #01, Floating e.V., 2023
Some questions around the Floating University, J. Pouzenc, 2019
De l’activisme à la négociation urbaine. Dynamiques d’engagement politique et environnemental à la Floating University de Berlin, A. Apruzzese, 2023, Les cahiers de la recherche architecturale, urbaine et paysagère
Artistes, architectes, urbanistes, écologues, osez la post-disciplinarité !, collectif d'auteur·ices, 2023, Libération
Floating University: Keeping the Berlin institution above water, S. Chien, 2025, The Berliner
Whose Rules?, Floating e.V., 2023, KoozArch
Nature/Culture, collectif, re:articulate

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