À partir du XVIe siècle, sont popularisés des récits fictifs concernant l’Espagne, qui voient le jour dans tous les pays européens, comprenant des descriptions grotesques du caractère espagnol tant individuel que collectif. Aperçu des origines de la légende noire.
Dans le concert des États européens, il en est un peu comme dans certaines réunions professionnelles : les Espagnols doivent -encore souvent- en faire le double pour mériter les éloges que d’autres obtiennent à moitié prix. Un peu comme les femmes au travail.
Une propagande séculaire
S’il est vrai que les 30 ou 35 dernières années ont vu un nouvel essor de l’Espagne comme pays européen moderne, au point de changer l’image perçue à l’étranger, il n’en reste pas moins qu’on la prend un peu moins au "sérieux" que les autres puissances européennes, et qu’elle doit se contenter de partager le wagon de deuxième classe avec le Portugal, l’Italie et la Grèce… qui ont certainement aussi leur mot à dire sur ces distinctions.
L’Espagne n’est plus ce qu’elle était, et n’est certainement pas, si tant est qu’elle l’ait été, celle dont presque quatre siècles de "légende noire" ont tracé le portrait. Si vous ne voyiez pas vraiment quel est mon propos, je vous invite à vous demander si vous avez déjà entendu, dans votre vie, dans votre entourage, que l’Espagne est/était un pays un peu en retard par rapport aux autres, où les gens étaient peu sérieux et moins travailleurs que d’autres, où on jouait à l’embrouille, où on ne pouvait pas vraiment faire confiance aux gens dans les affaires, et où de surcroit il y avait une grande ferveur religieuse qui se prêtait peu à l’ouverture sur d’autres cultures. Toutes ses appréciations sont les vestiges d’une histoire de propagande hispanophobe longue de quatre siècles dont j’aimerai esquisser un résumé.
À partir du XVIe siècle, des récits fictifs concernant l’Espagne voient le jour dans tous les pays (européens, car sur les autres continents on a d’autres chats à fouetter), comprenant des descriptions grotesques du caractère espagnol tant individuel que collectif. Du moine dominicain sournois de récits plus anciens, au paysan benêt et méfiant ou la femme de ménage illettrée de films plus actuels, une certaine image de l’Espagne a été véhiculée, selon laquelle l’Espagne semblait constituer une triste exception dans le chœur des nations européennes, du point de vue de la tolérance, de la culture et du progrès politique et social.
Tergiverser l’histoire
La légende noire est un mouvement de propagande antiespagnol né avec l’humanisme italien, qui se drape d’intellectualité et d’élitisme pour accuser les Espagnols d’avoir contaminé leur race par les mélanges avec les Maures et les Juifs. Que serait-il de l’histoire des hommes sans de bonnes doses de racisme de temps à autre. Le mouvement est ensuite promu par des écrivains et des penseurs anglais, hollandais et allemands à partir et au cours du XVIe siècle, dont le but était de détruire le prestige et l’influence de l’empire espagnol, alors au sommet de son "siècle d’or". Bien qu’élucubrée il y a plus de trois siècles, la légende a vécu jusqu’à nos jours sous formes d’interprétations tergiversées ou d’accusations infondées de caractère hispanophobe à propos de différents épisodes historiques.
Derrière toute manœuvre orquestrée de discrédit, il existe une lutte de pouvoir, sous quelque forme que ce soit. L’Espagne du XVIIIe siècle était puissante, et ses rivaux et adversaires (Angleterre, et Pays-Bas en tête) n’étaient pas disposés à le consentir plus longtemps. De 1558 à 1598, l’empire régi par Philippe II, fils de Charles V, est un gigantesque État plurinational soumis à un contrôle administratif complexe qui en fit le système de gouvernement le plus sophistiqué de l’Europe du XVIe siècle. L’empire hérité de Charles V et encore accru par son fils, et où "le soleil ne se couchait jamais" était condamné. À peine arrivé sur le trône, Philippe II s’érige en fervent défenseur de la foi chrétienne, principalement contre "l’hérésie" protestante surgie à la suite des différentes vagues de la réforme.
La propagande hispanophobe culmina après la défaite de l’Invincible Armada en 1588, dont le roi avait dit qu’elle avait été vaincue para las éléments et non par les hommes. Ce fut l’occasion de propager l’idée que les Espagnols voulaient conquérir le monde et le soumettre à leur "tyrannie". Ce fait majeur fut repris pour enfoncer le clou des rumeurs de décadence de l’empire espagnol, et ajouter aux traits communément attribués aux Espagnols ceux de couards et d'incompétents. Que les Anglais aient tenté à cinq reprises des opérations navales contre l’Espagne, équivalentes ou supérieures à celles des nefs de Philippe II, avec des échecs aussi cuisants que la défaite de l’armée espagnole ou plus encore, est un pan de l’histoire qui a été savamment dissimulé.
Damnatio memoriae
Car les légendes fonctionnent sur le principe de la Damnatio memoriae. La loi du silence fonctionne sur deux fronts : d’une part, taire ce que les pays autoproclamés "piliers de la civilisation" ne veulent pas remémorer, et d’autre part, faire le silence sur les réussites de ceux dont on veut amoindrir les mérites. L’hispanophobie se transforma en partie constituante de la nation anglaise durant la seconde moitié du XVIe siècle. Être anticatholique et antiespagnol contribuait à la construction nationaliste anglaise.
Les Pays-Bas, en prise à des luttes intestines et des rébellions contre l’empire à partir de 1566 furent les champions de la propagande de l’époque, avec la Réforme comme support idéologique. Les prédicateurs calvinistes, animés par une malhonnêteté morale à tout épreuve, s’étaient fixé la tache de convaincre les Néerlandais qu’ils étaient exploités et opprimés par l’Espagne au moyen de pamphlets de libelles aussi vulgaires que faux. L’image belliqueuse et sauvage de l’Espagne, rongée par l’intolérance et la religion, se répandit rapidement en Europe, alimentés par las frasques des "conquistadores" en Amérique et par le phénomène de l’inquisition. Tout mensonge répété à l’infini peut devenir une vérité.
La guerre de propagande fut gagnée par la côté protestant, sans qu’une véritable politique de riposte ne fut organisée. Le monde catholique, symbolisé par son représentant le plus puissant à l’époque, l’Espagne, dont il fallait saper le prestige et la puissance, était donc obscur, médiéval et arriéré. La réalité est que l’empire de Charles Quint, puis de Philippe II fut la première tentative de créer une unité européenne sur la base d’une religion commune. La réforme et la rébellion des Pays-Bas peignait l’Espagne comme un envahisseur, alors que Philippe II était autant roi de Castille que de Flandres -entre autres- et n’avait pour objectif que l’organisation et la cohésion des territoires désunis qui formaient les Pays-Bas pour les doter d’un État. L’Espagne de Philippe II ne fut, en tout état de cause, pas si différente des autres monarchies européennes, avec ses ombres, ses lumières et ses clairs obscurs.
Il s’agit d’une histoire passée, justice a été faite à l’Espagne et à son image au cours des dernières décennies, dites-vous ? Détrompez-vous, elle vit encore au cœur de… la prime de risque.
À suivre.
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