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A la recherche d’Al-Andalus. L’âge d’or

al andalusal andalus
La réception des ambassadeurs de Byzance par Dionisio Baixeras
Écrit par Quentin Gallet
Publié le 28 novembre 2019, mis à jour le 15 décembre 2023

Al-Andalus. Nom mystérieux qui rappelle des temps reculés mais pas oubliés. Une époque où le croissant dominait une vaste partie du pays que nous connaissons aujourd’hui. L’histoire de l’Espagne musulmane, qui court  de 711 à 1492, a toujours fasciné et divisé. A travers cette série que nous lui consacrons, nous tâcherons de vous faire revivre ces siècles de découvertes, de cohabitations mais aussi de guerres et de paradoxes. 
 

Nous avons commencé cette série dédiée à al-Andalus en relatant les tous débuts de l’Espagne médiévale. Rafraîchissons-nous la mémoire : en 711, une armée musulmane, menée par Tariq, franchit le détroit de Gibraltar. En quelques années, le royaume wisigoth qui avait lui-même succéder à Rome s’effondre. C’est le début de l’Espagne musulmane dont l’histoire durera jusqu’en 1492. 


Des débuts chaotiques

Nous avons vu que l’avancée des musulmans arabo-berbères qui franchissent le détroit a début du VIIIe siècle est arrêtée à Poitiers en 732 par Charles Martel. La date est célèbre et l’événement connu. Malgré tout, les heurts entre les Francs et al-Andalus ne s’achèvent pas pour autant. Charlemagne, quelques décennies plus tard, luttera à son tour contre l’émirat. 

 

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Bataille de Poitiers, tableau de Charles de Steuben

Alors que la dynamique de conquête est enrayée au nord, les tensions se multiplient au sein même d’al-Andalus. En effet, les nouveaux maîtres du sud de l’Espagne règnent à présent sur un peuple très hétéroclite. Même, et surtout a-t-on envie de dire, entre musulmans, la situation est compliquée. En effet, les Berbères récemment islamisés entretiennent des rapports tendus avec les Arabes qui occupent la quasi-totalité des postes à responsabilité. 
La guerre civile éclate au milieu du VIIIe siècle. Les Berbères se soulèvent au Maghreb et en al-Andalus, acceptant de plus en plus mal la domination arabe. Mais en y regardant de plus près, même entre Arabes, l’opposition entre Syriens et Yéménites par exemple créée une situation confuse et éminemment violente. 
Plus grave, la même période est le théâtre d’importants troubles en Arabie. Le califat de Damas entre dans une crise de régime. On peut voir dans la guerre civile andalouse des années précédentes un prémisse aux agitations qui secouent le centre du pouvoir musulman. En 750, les Omeyades, qui régnaient jusqu’alors en califes sont renversés par les Abbassides, un clan concurrent. Ces derniers sont les descendants d’un des oncles de Mahomet et entendent revivifier l’idéal islamique après une domination omeyade où les dirigeants se seraient comportés en tyrans et non en califes. La Syrie est délaissée par les nouveaux maîtres au profit de l’Irak. Bagdad sortira de terre quelques années plus tard. 


Le jeune prince
 

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Statue d’Abd al-Rahman Ier en Andalousie (image tirée du domaine public)

 

Vous vous demanderez, songeurs, pourquoi est-ce que l'on vous raconte tout ça. Notre sujet n’est-il pas l’Andalousie et non le changement de dynastie en Arabie ? Et bien ? c’est qu’en l’occurrence, chers lecteurs, les deux sont liés. On ne peut comprendre ce qui va suivre, et ce qui va changer le cours de l’histoire d’al-Andalus si l’on ne saisit pas le contexte. 
Nous sommes donc au milieu du VIIIe siècle. Les Omeyades ont été forcés de quitter le pouvoir et d’abandonner leur trône califal. Vous ne serez guère étonnés d’apprendre que les membres de la famille déchue n’ont pas été traités avec la plus grande humanité par les nouveaux maîtres abbassides. Les rares qui n’ont pas été massacrés on été obligés de fuir. Le petit fils de l’ancien calife, Abd al-Rahman est de ceux là. Parvenant à quitter l’Orient, il prend la route pour l’Andalousie afin d’y faire valoir ses droits. 
Là, il peut compter sur le soutien de musulmans restés fidèles aux Omeyades. Toutefois, les Berbères ne sont pas très enthousiastes à l’idée d’être dirigés par le jeune prince. Malgré une brève tentative de s’opposer à lui, l’Omeyade devient Abd al-Rahman Ier, émir indépendant de Cordoue. Il a alors 25 ans. Sans le savoir, il met en place les bases d’un système qui lui survivra pendant près de 300 ans. 
Il peut, à sa mort en 788, passer le flambeau du pouvoir à son fils sans difficulté ce qui n’est pas rien quand on sait que chaque succession était une question sensible. C’est d’ailleurs peu avant son trépas que la construction de la Grande Mosquée de Cordoue, chef d’œuvre d’al-Andalous, est commencée. 


Un pouvoir contrasté, entre cohabitation et violence

Passés les difficultés des premiers temps, le passage à l’émirat omeyade indépendant est une étape de la première importance pour al-Andalus. L’œuvre d’Abd al-Rahman Ier est poursuivie par le second du nom : Abd al-Rahman II. 
Son règne qui occupe la première partie du IXe siècle est considéré à la fois comme une période d’essor économique et culturel mais aussi comme une époque d’accroissement des tensions confessionnelles. L’affaire des "Martyres de Cordoue" est à ce titre tout à fait révélatrice. Il s’agit de l’exécution d’une cinquantaine de chrétiens mozarabes (des chrétiens de langue arabe) par les autorités d’al-Andalus. Précisons que ce type de violence ne constitue pas, à l’époque, la norme des relations entre chrétiens, juifs et musulmans. L’émirat de Cordoue est un pays où règne une relative tolérance entre ces différentes composantes. 
Mais le règne d’Abd al-Rahman II est aussi celui de la poursuite de la construction de la Grande Mosquée de la capitale andalouse. Elle devient un des centres religieux et intellectuels les plus importants du monde musulman. 


Le calife Abd al-Rahman III 

La deuxième partie du IXe siècle est marquée par de nouvelles tensions. Comme toujours avec l’histoire d’al-Andalus, les crises sont complexes et les oppositions multiples : Arabes contre Berbères, chrétiens nouvellement convertis à l’islam contre descendants des premiers conquérants. Bref, le chaos fait à nouveau partie de l’histoire andalouse. Cela n’empêche pas au tout début du Xe siècle une nouvelle conquête ; celle des Baléares. Même divisée, al-Andalus s’étend et renforce la domination musulmane dans la région. 

Malgré tout, la situation intérieure est compliquée. La fragmentation du pouvoir et l’agitation qui en découle préfigurent l’époque du morcellement territorial dont il sera question dans le prochain chapitre. Mais, pour le moment, retour au début des années 900 pour assister à l’avènement du personnage le plus important d’al-Andalus. 
Il s’appelle Abd al-Rahman, petit fils de l’émir Abd Allah, à qui il succède en 912. Il devient le troisième du nom. Cependant, comme évoqué plus haut, il hérite du pouvoir dans un période compliquée. La dissidence la plus tenace à laquelle le pouvoir central doit faire face et celle d’Umar ibn Hafsun, un musulman dont le grand père chrétien a été le premier de la famille à se convertir à la religion des dirigeants. Seulement, une partie de ces chrétiens convertis, que l’on nomme les "muladis", s’estiment lésés. En effet, ils considèrent avoir déployé des efforts considérables afin de s’épanouir dans la société andalouse et jugent que, mêmes s’ils sont tous musulmans, les barrières demeurent entre les autochtones et les descendants des conquérants. 
Abd al-Rahman III mettra plusieurs années à venir à bout de cette rébellion en soumettant la base forte d’Ibn Hafsun dans la région de Malaga. En remportant cette importante victoire, l’émir entend affirmer qu’il est le véritable maître d’une entité unifiée. Il va plus loin en 929 en se proclamant lui-même calife. A partir de là, l’indépendance est totale vis-à-vis des Abbassides de Bagdad, ennemis historiques des Omeyades. 
 

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Abd al-Rahman III (image tirée du domaine public)

 

Désormais à la tête d’un califat uni et pacifié, Abd al Rahman III développe la capitale Cordoue qui devient un des centres majeurs de la Méditerranée. Il fait également construire Medina Azara, immense palais et maison des arts et de la pensée. C’est à cette époque que l’aura intellectuelle d’al-Andalus est la plus brillante. Hakam II, successeur d’Abd al-Rahman III réunira à Medina Azara la plus grande bibliothèque de l’islam. 
A cette période, la bureaucratie se développe et les innovations notamment agricoles (l’irrigation des terres) permettent à al-Andalus d’atteindre une prospérité certaine. Les villes sont propres et riches, pour les standards de l’époque tout du moins. Tolède vit des armes et Cordoue du cuir. On commerce de la céramique et des tissus. Le raffinement du califat omeyade de Cordoue durera un siècle avant que le poison de la division n’emporte de nouveau al-Andalus vers des sombres nuages.