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Espagne et Etats-Unis : une histoire méconnue

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Écrit par Quentin Gallet
Publié le 17 novembre 2020

Les élections américaines tiennent en haleine le monde entier. L’Espagne ne fait pas exception à la règle. Les Etats-Unis sont pour elle un partenaire très important, sur les plans politique, économique et militaire. 

 

C’est en effet peu connu mais l’Espagne et l’Oncle Sam ont tissé, au fil des siècles et de part et d’autre de l’Atlantique, des relations étroites et chaotiques. Retour sur une histoire méconnue. 

 


Quand l’empire espagnol s’étendait sur deux tiers de l’Amérique


L’histoire entre l’Espagne et ce qui deviendra les Etats-Unis d’Amérique s’enracinent dans le début du XVIe siècle. Jean Ponce de Léon découvre la Floride en 1513, deux décennies seulement après le premier voyage de Christophe Colomb par delà l’Atlantique. Un demi-siècle plus tard, Saint Augustine est fondée en Floride par Pedro Menéndez de Avilés. Il s’agit de la première ville européenne en territoire nord-américain. 

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Anciennes porte de Saint Augustine (image du domaine public)

 


Les rois d’Espagne colonisent également, entre autres, les actuels Texas, Nouveau Mexique ou Californie. La toponymie au sein de ces Etats rappelle d’ailleurs leurs origines hispaniques. 
Il est à noter que ces colonies du Nouveau Monde ne sont pas pour la Couronne espagnole de simples comptoirs mais bel et bien des territoires de son immense empire. Afin de compléter une maîtrise militaire et politique de l’espace américain, des réseaux de missionnaires, essentiellement franciscains, sont mis en place. Les Espagnols sont donc à l’origine du christianisme au Etats-Unis ainsi que des villes comme San Francisco ou Los Angeles. Celles-ci leur servent de bases à l’évangélisation. 
Politiquement, économiquement et religieusement, un considérable espace est occupé par l’Espagne au cours des XVIe et XVIIe siècle. Près des deux tiers de l’actuel espace étasunien appartiennent à la Couronne.

 

Alliés pour l’indépendance

 
Au XVIIIe siècle, l’Espagne n’est plus l’empire puissant qu’elle était aux siècles passés. La Couronne est sur le déclin mais conserve tout de même de confortables positions dans le monde et en Amérique en particulier. Elle doit toutefois faire face à un ennemi qui ne cesse de se renforcer, notamment par sa puissante Navy : le Royaume-Uni. Ce dernier est toutefois, dans la deuxième partie du siècle, en prise avec ses treize colonies nord-américaines. Celles-ci entendent se libérer du joug coûteux de la lointaine couronne britannique. 
Les Espagnols, alliés en cela à la France de Louis XVI, entendent bien profiter de l’occasion. La Couronne aide ainsi discrètement mais sûrement les insurgés des treize colonies : le rôle de Bernardo de Gálvez est particulièrement reconnu.
Mais une fois l’indépendance gagnée et la naissance des Etats-Unis d’Amérique actée, l’Espagne tarde à reconnaître la souveraineté du jeune Etat, de peur de fomenter un sentiment indépendantiste dans ses propres colonies outre-Atlantique. 

 

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Bernardo de Gálvez (image du domaine public)


     
Toutefois, deux empires ne peuvent sereinement cohabiter sur un même espace ; a fortiori quand l’un, l’américain, est en devenir et l’autre, l’espagnol, sur le déclin. Les Etats-Unis vont profiter de la mauvaise santé de la Couronne en Amérique pour lui grignoter de larges parts de territoires. 
Dans un premier temps, les accrochages sont fréquents autour du Mississippi. Les tensions atteignent ensuite la Floride qui sera finalement cédé aux Etats-Unis en 1819, à l’issue du traité Adams-Onís qui fixe la frontière entre les deux souverainetés. Provisoirement. 

 

Ennemis pour Cuba


La rivalité s’amplifie dans la deuxième moitié du XIXe siècle et va se cristalliser autour de Cuba. L’île est un de derniers lambeaux de l’empire espagnol au Nouveau Monde. Ses échanges économiques se sont toutefois beaucoup intensifiés avec le voisin américain qui tente même d’acheter Cuba à l’Espagne (pour 130 millions de dollars), qui décline.   
Si l’Espagne reste neutre pendant la guerre de Sécession, la question cubaine refait surface à la toute fin du siècle. L’île est alors agitée de soubresauts révolutionnaires. Le président américain de l’époque fait mine de proposer son aide à l’Espagne pour rétablir la situation alors qu’il présente à son opinion le juste combat d’opprimés contre une puissance coloniale. 
Tombant le masque, les Etats-Unis cherchent un prétexte pour intervenir. Il le trouve quand un de leurs navires, l’USS Maine, est coulé au large de Cuba. C’est la guerre avec l’Espagne. Celle-ci s’inclinera : le traité de Paris, fin 1898, clôt l’histoire multiséculaire de la présence espagnole en Amérique. 
A l’issue de cette guerre, le sentiment anti-américain sera fort en Espagne même si les premières décennies du XXème siècle verront certains rapprochements s’opérer. C’est le cas après la première Guerre Mondiale, où les deux pays feront parties des fondateurs de la Société des Nations, ancêtre de l’ONU.

 

Franco, l’allié de circonstance


Quand éclate la guerre civile espagnole, en 1936, les Etats-Unis restent neutres et on interdit la vente d’armes et aux nationalistes et aux républicains. Cette neutralité initiale ne va pas de soi. Le président Roosevelt, démocrate, est spontanément plutôt enclin à soutenir le régime républicain. Mais une frange catholique de la population américaine, très influente alors, parvient à arracher la neutralité en mettant en avant les exactions des "Rouges" espagnols contre les religieux.  

 

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Le président américain Roosevelt (image du domaine public)

 

Si le président des Etats-Unis ne prend pas clairement position, d’autres oui. Ainsi certaines grosses entreprises américaines aident considérablement le général Franco en permettant un accès facile au pétrole, dans le cas de la Texas Oil Compagny, ou en fournissant des camions, dans le cas de Ford. Une précieuse contribution logistique pour le camp nationaliste.
De l’autre côté, les républicains espagnols peuvent compter sur le soutien des volontaires de la brigade américaine « Abraham Lincoln ». Celle-ci n’aura toutefois pas spécialement bonne presse aux Etats-Unis où elle sera associée à l’action de l’Union Soviétique. 

En 1945, l’Espagne franquiste, soutien du Troisième Reich défait, se retrouve isolée en Europe et sur la scène internationale. Les Etats-Unis ne l’incluent pas dans leur plan Marshall, l’aide politico-économique aux pays d’Europe occidentale.

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Francisco Franco (image du domaine public)

 

La fine bouche de l’oncle Sam ne met toutefois pas longtemps à se dérider dans un contexte de Guerre Froide naissante et de cristallisation des blocs. L’Espagne dispose d’une position géostratégique très avantageuse qui pousse les Américains à réchauffer les relations avec Franco qui est en outre un anti-communiste carabiné. 
Tout va alors s’enchaîner assez vite. Les pactes de Madrid de 1953 rétablissent les relations entre les Etats-Unis et l’Espagne. Deux ans plus tard, cette dernière intègre les Nations Unies et, pour parachever la légitimation internationale du régime franquiste, le président américain Eisenhower se rend en visite officielle à Madrid en 1959.  
En échange de la bénédiction du chef de file du bloc de l’Ouest, Franco accepte de nombreux compromis avec, entre autres, la présence sur le sol espagnol de trois bases militaires américaines. 


Les relations aujourd’hui


Franco meurt en 1975, la monarchie est rétablie et l’Espagne se dirige vers l’aventure démocratique. Il n’est pas question de distendre les relations outre-Atlantique. Dès juin 1976, le roi Juan Carlos se rend aux Etats-Unis pour sa première visite officielle à l’étranger. Tout un symbole.
Dans la foulée, un Traité d’amitié est signé et les relations bilatérales accrues, notamment au niveau militaire. C’est ainsi, logiquement, que l’Espagne intègre l’OTAN, quelques années avant de faire son entrée, en 1986, dans la Communauté Européenne. 

Les relations entre l’Espagne et les Etats-Unis vont être portées à leur paroxysme à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Le président du gouvernement José Maria Aznar emboîtera le pas à George W. Bush dans la très discutée guerre d’Irak. Le président américain ne l’oubliera pas dans ses mémoires, des années plus tard, en dressant un portrait flatteur d’Aznar. 


L’arrivée du socialiste Zapatero en 2004 va refroidir considérablement les relations. Celui-ci s’empressera en effet d’ordonner le retrait des troupes espagnoles du théâtre iraquien, répondant ainsi à une forte demande de l’opinion publique. Les républicains américains le vivront comme la trahison d’un allié historique. 
Les liens, toutefois, se resserreront avec l’arrivée de Barak Obama à la Maison Blanche pour lequel Zapatero n’avait pas caché sa préférence. 

Ces dernières années, les liens entre les deux pays ne se sont pas distendus. Le nouveau roi Philippe VI, après l’abdication de Juan Carlos, fera comme son père des décennies auparavant : il se rendra aux Etats-Unis en visite officielle peu de temps après son avènement. 


Des  relations étroites en matière de défense demeurent. L’Espagne a participé à la coalition anti-Daesh menée par les Etats-Unis et deux bases américaines datant des accords de Madrid de 1953 sont toujours actives sur le sol espagnol (la base aérienne de Morón et la base navale de Rota).
Par ailleurs, la coopération  scientifique entre l’Espagne et les Etats-Unis est active. Il existe notamment une station de la célèbre NASA à Robledo de Chavela, dans la Communauté de Madrid. Elle est dédiée à l’observation de l’espace profond. 
 

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Station de la NASA à Robledo de Chavela (image du domaine public)

 

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