Parler une langue étrangère ? Pour près d’un tiers des Espagnols, c’est une aventure qui n’a jamais commencé. Avec 30 % de la population n’ayant jamais appris une autre langue que la sienne, l’Espagne peine à rattraper ses voisins européens. Un retard qui, à l’heure de la mondialisation, pourrait bien devenir un sérieux handicap.


“Do you speak Spanish ?”, “Sprechen Sie Spanisch ?”, “スペイン語を話せますか?”... Sans doute. Avec plus de 500 millions de locuteurs natifs, l’espagnol est l’une des langues les plus parlées au monde, un sésame linguistique qui ouvre bien des portes. Mais si cet avantage offre un certain confort aux hispanophones, il ne devrait pas les dispenser d’apprendre d’autres langues. Or, c’est là que le bât blesse : près d’un tiers des Espagnols n’ont jamais étudié de langue étrangère.
Dans une Europe où parler anglais est souvent une nécessité et où maîtriser une deuxième, voire une troisième langue peut faire la différence, l’Espagne marque le pas. Tandis que ses voisins jonglent avec l’allemand, le français ou même le chinois, elle peine à embrasser cette diversité linguistique. Une position à contre-courant dans un monde où le multilinguisme est devenu un atout majeur. Alors, pourquoi les Espagnols tardent-ils encore à s’ouvrir aux langues du monde ?
Les Espagnols et les langues étrangères : encore un long chemin à parcourir
D’après l’Eurobaromètre spécial "Les Européens et leurs langues" (2023) analysé par le think tank espagnol Funcas, le pays décroche une quatrième place peu enviable : celle des nations où l’apprentissage des langues étrangères reste un vœu pieux.
Près d’un Espagnol sur trois (30 %) avoue ne jamais s’être aventuré au-delà de sa langue maternelle, un score largement supérieur à la moyenne européenne (21 %). Certes, il y a pire : la Roumanie (40 %), l’Irlande (38 %) et le Portugal (33 %) font moins bien.
Mais le monolinguisme espagnol n’est pas qu’une affaire de statistiques : il traverse les générations et s’enracine dans les habitudes. Chez les Espagnols de plus de 74 ans, l’affaire est pliée : deux tiers d’entre eux n’ont jamais ouvert un manuel de langue étrangère. Même chez les jeunes, l’enthousiasme pour l’apprentissage linguistique reste… modéré. Pas moins de 16 % des 25-34 ans avouent n’avoir jamais étudié de langue étrangère, et le chiffre grimpe à 21 % chez les 35-44 ans, hissant l’Espagne sur le podium des mauvais de la classe au niveau européen, juste derrière l’Irlande et la Roumanie.
L’apprentissage de l’anglais progresse en Espagne, mais lentement. En 1987, seuls 17 % des Espagnols pouvaient tenir une conversation en anglais. Ils sont 39 % en 2023, encore loin des standards européens. L’Espagne reste parmi les six derniers pays de l’UE, derrière la Grèce (52 %) et à des années-lumière des pays nordiques, où plus de 90 % de la population maîtrise la langue.
La fracture éducative de l’anglais en Espagne
Sans surprise, le niveau d’éducation joue un rôle déterminant dans la maîtrise des langues étrangères. En Espagne, plus on grimpe dans les études, plus on maîtrise son anglais. La preuve : seuls 14 % des personnes ayant quitté l’école après le primaire peuvent tenir une conversation dans cette langue, contre plus des deux tiers des diplômés de l’enseignement supérieur. Et chez les titulaires d’un troisième cycle, l’aisance semble acquise : plus de 80 % manient la langue de Shakespeare sans trop d’efforts.
Mais un chiffre vient ternir le tableau : seuls 42 % des diplômés de la formation professionnelle parlent anglais, un pourcentage nettement inférieur à la moyenne européenne. Un paradoxe, alors que ces filières forment une grande partie des futurs travailleurs qualifiés du pays. Ce décalage soulève une question essentielle : comment renforcer l’apprentissage des langues étrangères dans ces cursus, afin d’armer les nouvelles générations face à un marché du travail toujours plus international ?
Où parle-t-on le mieux anglais en Espagne ?
L’intelligence artificielle va-t-elle sauver le multilinguisme ?
C’est peut-être du côté des nouvelles technologies que se trouve la réponse. À l’ère de l’intelligence artificielle, l’apprentissage des langues pourrait bien connaître une révolution. Loin de rendre les langues étrangères obsolètes, l’IA les rend plus accessibles. Grâce aux applications interactives, aux plateformes personnalisées et aux traducteurs instantanés, apprendre une langue n’a jamais été aussi intuitif.
Et les bénéfices sont bien réels : de meilleures capacités cognitives, des perspectives professionnelles élargies et une ouverture culturelle renforcée. Mais dans cette tour de Babel numérique, l’anglais n’est qu’un passeport parmi d’autres. L’IA peut ouvrir des portes, mais elle ne remplacera jamais la curiosité, l’effort et le plaisir de dialoguer dans une autre langue. L’Espagne a tout à gagner à s’emparer de ces nouvelles clés : elle doit apprendre à parler le langage du monde. À elle de ne pas rester à la porte.
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