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Chaussee 36, manifeste du passé sublimé

À deux pas du cimetière français et de l'ancien quartier huguenot se cache un bâtiment plein de mystères et d’histoires. Bienvenue à Chaussee 36, un projet fascinant, ode à l’intemporalité. Construit en 1886, cet ancien quartier d’officiers prussiens est devenu un lieu qui célèbre le mariage heureux de la splendeur d’antan et du design contemporain. Et ça, c’est grâce à la vision de Renaud De Gambs, qui nous a offert une visite guidée passionnante et mémorable.

suite diane somnia chaussee36suite diane somnia chaussee36
Suite Diane 50's © Eyal Philip Peleg & CHAUSSEE 36
Écrit par Sandrine Ibanez
Publié le 8 octobre 2025, mis à jour le 17 octobre 2025

Un projet ambitieux “Cradle to Cradle”


Aujourd’hui, Chaussee 36 abrite plusieurs espaces : la Photo Foundation, des espaces d'exposition et événementiels, des suites à louer pour shootings, tournages ou séjours... une centaine de pièces au total, toutes différentes, au design unique. 

Mais en 2005, quand il a été racheté, le bâtiment était fatigué, endommagé par la guerre, comme toute la ville. Et comme toute la ville, habitée d’une volonté d'éradiquer les traces du passé, de la guerre jusqu’à la RDA, il aurait dû être "sanieren". Un joli mot pour dire on détruit tout en gardant les murs, éventuellement les sols, et on refait à neuf. Mais son destin a été autre. Car Chaussee 36, c’est le parfait contrepied : se souvenir du passé, le sublimer plutôt que l’effacer. Et garder l’âme du lieu intacte.

Alors pendant six ans, un chantier de rénovation titanesque va redonner vie à l’ensemble dans le respect du passé, avec un engagement assumé contre l’obsolescence programmée, la surconsommation, la perpétuelle course d’un monde en surchauffe.

Le projet applique le principe d'éco-conception du "Cradle to Cradle" — du berceau au berceau — par opposition au "Cradle to Grave" (du berceau à la tombe). Les matériaux sont conçus pour être réutilisables à l’infini, et ici, 80 % d’entre eux ont été réemployés. 

Autrement dit : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, pour paraphraser Lavoisier.

 

Espace Whisper © Eyal Philip Peleg & CHAUSSEE 36
Espace Whisper © Eyal Philip Peleg & CHAUSSEE 36



Une résistance inattendue


Une intention noble, mais qui s’est avérée être un vrai challenge : la conservation et la valorisation de l’existant n’étaient plus vraiment dans l’air du temps, et trouver les bons artisans, qui acceptaient de réutiliser plutôt que de jeter, et de travailler sans les techniques modernes, a été une vraie gageure. 

Renaud De Gambs raconte, amusé, avoir interrompu une tentative de se débarrasser du parquet, une beauté de 4 cm d’épaisseur comme on n’en trouve plus, tout ça parce qu’il était trop ancien et que sa surface n’était pas parfaite. Faire du luxe et du beau avec du vieux, ça semblait irréaliste. L'âgisme dans toute sa splendeur !

Idem pour les architectes. Certains voulaient apposer leur patte — notamment sur la façade, qui au final est restée quasi dans son jus, détonnant dans ce quartier tout lissé, et aggravant son cas en arborant fièrement un morceau du Mur de Berlin de 2,5 tonnes accroché là. 

D’autres avaient besoin, pour pouvoir travailler, que le lieu ait une fonction bien claire, définie, alors que l’idée, c'était l’inverse : penser un espace flexible et vivant, où on peut vivre et travailler. L’illustration parfaite est la salle d’exposition, un espace modulable de 170 m² qui, par un jeu de panneaux, se transforme en mini-pièces séparées.

 

L’upcycling dans sa plus belle expression


Tout a été déconstruit, stocké sur place, reconstruit, rénové. Les écuries, l'ancien local à charbon sous la cour, les poutres, les briques, les parquets, tous ces vestiges du passé sont encore là, avec une nouvelle fraîcheur et des usages détournés. 

Mais pas sans mal. Le parquet, étouffé sous quatre couches de lino, a dû être poncé à plusieurs reprises pour se révéler. La beauté originelle du stuc du hall d’entrée — cet enduit à base de poudre de marbre utilisé dans les palais italiens — était cachée sous deux centimètres d’enduit basique. Et pour l’anecdote, c’est un dégât des eaux qui a permis de la redécouvrir.
 

Hall d'entrée avec stuc et moulure chaussée 36
Plafond du hall d'entrée © Sandrine Ibanez - lepetitjournal.com



Comme le rappelle Renaud De Gambs, les matériaux d’il y a 150 ans étaient d’une toute autre qualité, rien à voir avec l'obsolescence programmée et le jetable actuels. Et pour restaurer certaines pièces, comme les poutres, la lecture d’un manuel sur le travail du bois datant de 1885 s’est révélée précieuse !

En parlant de bois… l’objet (si on peut l’appeler ainsi) emblématique de Chaussee 36, c’est une table. Pas n’importe quelle table. La plus longue table-banquet d’Europe, 11,5 m de long, de quoi accueillir 50 convives et quelques sangliers. Malgré ses 1,2 tonnes, grâce à un mécanisme malin conçu sur place, elle peut être déplacée horizontalement selon les besoins, modulant l’espace en fonction des usages. 

 



Le rooftop est une concession à la modernité, mais pas trop. On y trouve le deuxième vestige du Mur (et il y en a un troisième, dans la cour), et les lampes qui ont éclairé le Mur de Berlin. Ainsi que des plantes, un cognassier, quelques transats, et la sensation rare d’une respiration en plein centre-ville.

Là encore, c’est l’affirmation d’une volonté non pas de maximiser les profits, mais d’améliorer l’existant : aucun étage supplémentaire, contrairement à ce qui se fait partout à Berlin.
 

Morceau du mur de berlin sur le rooftop de chaussee 36
Morceau du Mur sur le rooftop © Sandrine Ibanez - lepetitjournal.com



Des bulles temporelles 


On poursuit la visite à la découverte des suites. Chacune d'entre elles est une time capsule, un véritable voyage dans le temps, une par décennie, de 1920 à 1990. Avec son identité unique, ses couleurs, ses meubles et objets caractéristiques d’une époque, et la réutilisation des matériaux du bâtiment.

Là encore, tout a été chiné, soigneusement sélectionné, un travail de fourmi, nourri par des centaines de livres qui ont servi de documentation pour le design d’intérieur. Tout est vintage, parfois des objets coûteux, parfois de la récup. Pendant trois ans, le travail a été mené à plein temps, notamment par Julianne Sibiski, architecte d'intérieur : 1250 objets ont été collectés dans douze pays, et chacun a son histoire.

Le lit du début du XXᵉ siècle, mission impossible car les lits à l’époque n’étaient pas assez grands pour aujourd’hui, qui a finalement été récupéré en catastrophe en Bretagne, un dimanche. Les lampes sont des Lalique originales, la baignoire a été sauvée chez la grand-mère d’un ami. Même les poignées de portes et les interrupteurs sont d’époque.

 

baignoire de la suite Isadora chaussee 36
Suite Isadora 20's © CHAUSSEE 36


Il a fallu seize semaines pour étanchéiser le coffrage en bois sous la baignoire (quatre couches avec quatre semaines d’imprégnation chacune), et les moulures ont été refaites à l’identique.

Et on pousse le sens du détail jusqu’à utiliser les matériaux disponibles à l’époque propre à chaque suite. Trouver un plombier capable de travailler avec les tuyaux d’origine n’a pas été simple !

 

suite verushka inspiration 70's chaussee 36
Suite Verushka 70's © Eyal Philip Peleg & CHAUSSEE 36



Si chaque suite est un trésor visuel, rien n’a été pensé comme une prouesse de design intérieur, juste l'envie que tout soit évident, harmonieux, comme si cela avait toujours été là, et qu'on s'y sente bien. Et je confirme, mission accomplie : on se projette, on se réveille dans le fameux lit, on prend un bain dans la baignoire de mamie, on prépare à manger sur le plan de travail en bois massif, on lit un bon bouquin lové dans un fauteuil. 
 

Et Chaussee 36, ça n’est que le début.
Renaud De Gambs travaille désormais sur un impressionnant nouveau projet : un tiers-lieu durable, dont l’ambition est d’être le plus grand espace d’exposition photo d’Europe, qui financera des résidences d’artistes et des expositions grâce à un hôtel, ainsi que des espaces événementiels et de coworking.

Avec toujours le même fil rouge : maximiser l’impact, pas les profits.
 

Envie d’en savoir plus ? Pour approfondir le sujet, découvrez : 

  • le site Chaussee 36 
  • les suites Somnia (si jamais vous avez des envies de staycation)
  • le compte Instagram, pour ne pas rater la prochaine visite guidée


 

cuisine de la suite diane chaussee 36
Suite Diane 50's © Eyal Philip Peleg & CHAUSSEE 36

 

 

 

 


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