À l’occasion de la Journée internationale des femmes dans la diplomatie le 24 juin, la vie d’Ève Curie - fille de Marie Curie et figure d’indépendance, et d’engagement, avec une conférence de Claudine Monteil, a servi d’amorce pour traiter de la place des femmes dans la diplomatie aujourd’hui. Un débat avec la participation de diplomates et d’expertes autour de la place des femmes dans la diplomatie a permis d’échanger sur ces questions du point de vue polonais, français et canadien.


Étienne de Poncins, Ambassadeur de France en Pologne, porte-parole de la diplomatie féministe
Étienne de Poncins, ambassadeur de France en Pologne, a ouvert la matinée avec un constat, certes préoccupant, mais affichant une certaine volonté de changer le cours des choses : « Mais, si j’en crois les experts, il faudrait 300 ans pour atteindre une égalité réelle à l’échelle mondiale. Donc, nous allons essayer d'accélérer un petit peu de façon à pouvoir le voir de notre vivant ».
Diplomatie féministe ou diplomatie féminine, co to jest ?
« L’égalité entre les femmes et les hommes est une priorité de la France. Avec la diplomatie féministe, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) porte à l’international cet engagement. Il concerne tous les domaines : réduction des inégalités et développement durable, paix et sécurité, défense et promotion des droits, enjeux climatiques, culturels et économiques. » (Source ministère de l’Europe et des Affaires étrangères)
Ainsi, le diplomate français est revenu sur la diplomatie féministe mise en place par la France : « La France a été le quatrième pays a adopté une diplomatie féministe en 2019 [...] Notre conviction se traduit par une politique ambitieuse, réaffirmée cette année à travers la stratégie nationale pour une diplomatie féministe 2025-2030. Cette stratégie vise un cap clair : défendre les droits et les libertés des femmes et des filles, favoriser la participation et la représentation des femmes dans tous les processus de décision, lutter contre toutes les formes d’inégalité et en faveur de l’élimination des violences fondées sur le genre, assurer l’égale accès aux ressources et mobiliser des financements pour avancer vers l’égalité ».
L’ambassadeur a ensuite exprimé son soutien à toutes les femmes opprimées, notamment en Iran et en Afghanistan : « Cette politique de ségrégation de genre [en Afghanistan] ne nuit pas qu’aux femmes : en effaçant la moitié de la population de la vie publique, les talibans condamnent toutes perspectives de développement et de justice pour l'Afghanistan ».
Étienne de Poncins a conclu en affirmant que « Construire une diplomatie féministe, ce n’est pas créé une diplomatie à part, c’est au contraire mettre l’égalité au cœur de notre conception de la paix, du développement et des relations internationales. C’est aussi reconnaître que les inégalités de genre ne sont ni naturelles, ni acceptables, ni inévitables. Comme Ève Curie en son temps, nous croyons à une diplomatie de dignité, de solidarité et de responsabilité. Elle nous appelle à agir avec constance, lucidité et courage. »
Ce discours d’ouverture de la journée a fait écho aux propos de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, le 7 mars 2025 : « La diplomatie féministe de la France est une diplomatie qui prend pleinement en compte les droits des femmes partout où ils sont bafoués. Vous pouvez compter sur la France pour inscrire dans la durée cet engagement en faveur de la diplomatie féministe face aux vents contraires ».
La féminisation de la diplomatie, où en est-on en France ?
Ève Curie, être une femme diplomate au XXe siècle, une source d’inspiration contemporaine
Małgorzata Kopka-Piątek, directrice du programme européen des affaires publiques et présidente de FEM global, Women in international politics association a modéré le débat sur le thème des femmes dans la diplomatie durant lequel elle a pu interroger Catherine Godin - ambassadrice du Canada en Pologne, Aurélie Royet-Gounin - diplomate française, vice-présidente de Femmes et diplomatie, Claudine Monteil - historienne, auteure et ancienne diplomate française et biographe d’Ève Curie, Aleksandra Gasztold - professeure et secrétaire générale de WIIS (Women in International Security) Poland ainsi que Joanna Krawczyk-Grzesiowska - diplomate polonaise, coordinatrice pour l’égalité de traitement au MSZ (Ministère des Affaires étrangères polonais), Polska Sieć Kobiet w Dyplomacji.
Qui était Ève Curie ?
- Ève Curie, fille de Marie Curie, figure d’indépendance, de conviction, de détermination et d’engagement, est l’une des premières femmes diplomates.
- Critique artistique et biographe de la vie de sa mère, elle s’engage auprès du Général de Gaulle dès le 20 juin 1940, elle porte les couleurs de la France Libre aux États-Unis, notamment auprès de la famille Roosevelt.
- Par la suite, elle s’engage sur le terrain comme reporter de guerre en Russie, en Afrique, en Inde, en Birmanie, au Proche-Orient… Elle rencontre Nehru et Gandhi, dont le pacifisme la révolte : « Non ! Le vrai sens de la vie c’est résister, c’est se battre pour la liberté ! » Après s’être engagée comme soldat, elle se distingue par la suite en tant qu’officier calme, méthodique et consciencieux.
- Après la guerre, elle obtient un poste haut placé à l’OTAN, très rare pour les femmes de son temps, et s’implique dans la lutte contre le communisme et pour la stabilité économique.
- Par la suite, son mari, Henry Labouisse, devient directeur général de l’UNICEF et nomme Ève Curie comme sa conseillère spéciale. Ensemble, ils visitent une centaine de pays afin de défendre les droits de l’enfant, l’éducation (notamment des filles), la santé et l’égalité.
Informations issues de la conférence de Madame Claudine Monteil
À la question « Que pouvez-vous tirer de l’expérience d’Ève Curie dans votre travail ? En quoi est-elle pour vous une figure inspirante ? », chacune des intervenantes à souligner son courage, sa force et sa détermination à une époque où s’imposer dans les négociations internationales en tant que femme ne s’était jamais vue.
Catherine Godin, ambassadrice du Canada :
Je pense que Madame Curie peut effectivement nous inspirer, je parlerai de leadership courageux. J’ai été frappée par le commentaire de Madame Monteil qui nous a dit qu’elle a dit “non” à Pierre Mendès France. Moi j’aime les femmes qui disent non, ça démontre que l’on a un sens de ce qui est important, on est capable de faire la différence entre être compétente et être gentille. Et je pense que les femmes doivent être vues comme d’abord et avant tout compétentes : ce qu’elles sont. Je crois en effet que Madame Curie avait l’assurance de sa valeur et c’est quelque chose qui, à mon avis, doit nous rester en tête. [...] L’engagement nécessite une certaine assurance, elle a fait la démonstration qu’elle était capable et elle s’est avancée pour être à la table.
Joanna Krawczyk-Grzesiowska, diplomate polonaise :
Ève Curie est pour moi un exemple de détermination, de ne jamais se laisser abattre, de continuer à se battre pour ses convictions tout en restant une femme. Elle ne rentre pas dans les chaussures d’un homme, dans la peau d’un homme, elle fait tout comme une femme. [...] Et je pense que c’est toutes, quelque chose, en tant que femme dans la diplomatie, que nous devrions garder en tête : rester nous-mêmes dans le travail, rester très engagées, rester très professionnelles, mais rester des femmes.
Aurélie Royet-Gounin, diplomate française :
Ces figures exceptionnelles, comme Ève Curie, nous enseignent et nous inspirent beaucoup. Ça nous donne beaucoup d’humilité, car elles ont quand même eu à vaincre des obstacles beaucoup plus difficiles. Je trouve frappant aussi le fait que ce soit des figures qui se soient rebellées dans des moments de difficultés extrêmes : c’est la guerre qui leur a permis de s’imposer. C’est quelque chose qui nous fait réfléchir : pourquoi est-ce qu’il a fallu attendre des moments comme ça, de courage exceptionnel, pour que ses femmes arrivent à se faire reconnaître. Et c’est aussi un modèle d’adaptabilité [...] Ce sont des femmes qui ont fait de tout, qui ne se sont pas laissées porter par un chemin tracé, mais qui ont toujours saisi des opportunités, appris, changé… et ce sont des parcours très inspirants.
Aleksandra Gasztold, professeure :
Ces femmes nous apprennent tout : la noblesse, le courage… [...] Aujourd’hui, nous célébrons une femme qui a refusé de suivre le chemin de ses parents, tout en prenant bien soin de leur mémoire, et en particulier de la mémoire de sa mère. Ce qui montre beaucoup de noblesse de cœur, mais aussi de sensibilité. Elle n’a pas eu à rejeter sur son chemin ni sa féminité ni sa famille.
Claudine Monteil, ancienne diplomate française et biographe de la vie d’Ève Curie :
La culture artistique, littéraire, scientifique, française et internationale, son environnement exceptionnel, ouvert aux grands savants du monde entier, ont permis à Ève Curie d’agir au sein de la diplomatie avec efficacité et habilité.
Marie Curie – Ses liens avec le positivisme polonais
Entre Canada, Pologne et France, regards croisés sur la place des femmes dans la diplomatie
Les intervenantes ont pu ensuite partager un élément particulier en lien avec la place des femmes dans la diplomatie dans chacun de leurs pays respectifs.
Catherine Godin a souligné l’importance de la diplomatie féministe au Canada. En effet, la résolution 1325 de l’ONU, demandant « instamment aux États membres de faire en sorte que les femmes soient davantage représentées à tous les niveaux de prise de décisions dans les institutions et mécanismes nationaux, régionaux et internationaux pour la prévention, la gestion et le règlement des différends » a donné une réelle impulsion à ce processus d’intégration des femmes dans la vie diplomatique. En parallèle, les hommes sont largement impliqués dans ce processus.
Et les résultats sont là : la représentation des ambassadrices canadiennes est au-delà de 50% dans tous les continents, sauf en Amérique latine (45%), la représentante permanente canadienne auprès de l’Union européenne et le chef d’État-Major de la Défense, sont des femmes. Des visages féminins qui offrent aux jeunes la possibilité de se projeter, de se voir dans une carrière, d’avoir des exemples…
Aurélie Royet-Gounin a, quant à elle, souligné l’approche particulière de la France faisant partie de la quinzaine de pays avec une diplomatie féministe. Ainsi, depuis 2019, l’objectif de l’égalité homme-femme doit être présent dans toutes les politiques. Mais dès 2012, la loi Sauvadet avait permis la création de quotas. Ainsi, 40% des postes de nomination aux postes de responsabilité devaient être confiés à des femmes. Depuis 2023, c’est 50%.
Les résultats sont là, mais force est de constater que les choses ne se font pas naturellement et qu’il est nécessaire d’agir. En France, des programmes pour les jeunes femmes souhaitant accéder à des postes d’encadrement ont été mis en place, comme avec l’association Femme et Diplomatie afin qu’elles prennent confiance en elles et qu’elles puissent avoir des conseils d’autres femmes qui ont déjà vécu ses expériences.
#Varsovie | À l’occasion de la Journée internationale des femmes dans la diplomatie et de la conférence en hommage à Eve Curie, l’une des premières femmes diplomates à l’OTAN, @AurelieRG, vice-présidente de @femmesdiplo présente l’idée et les enjeux de la #diplomatieféministe pic.twitter.com/uxoDYKXikY - La France en Pologne (@Amb_Francji) June 24, 2025
Joanna Krawczyk-Grzesiowska est revenue sur le cas de la Pologne où un réseau informel de femmes dans la diplomatie et dans la politique, soutenu par le ministère des Affaires étrangères, a été créé avec des rencontres quatre fois par an. En parallèle, des groupes de travail ont également été mis en place. Le changement est plus progressif en Pologne et aucune loi en termes de parité et d’égalité n’a été votée, cependant la problématique majeure reste le manque de confiance des femmes.
Aleksandra Gasztold a présenté l’action de WIIS, association à but non lucratif, proposant aux femmes, mais également à toutes personnes intéressées, des programmes de mentoring afin de les soutenir et qu’elles aient une place à la table des négociations, pour pouvoir parler et trouver des compromis.
CCIFP : Management au féminin, management au masculin, un clivage bientôt dépassé ?
Quelle femme vous a marquée, inspirée ?
Voici les noms qu’ont proposé les intervenantes :
- Louise Arbour, avocate et juriste canadienne
- Deborah Lyons, diplomate canadienne
- Nathalie Loiseau, diplomate française et députée européenne
- Kazimiera Iłłakowiczówna, poétesse polonaise et secrétaire du maréchal Józef Piłsudski
- Madeleine Albright, ancienne secrétaire d'État des États-Unis, « Il y a une place spéciale en enfer pour les femmes qui n’aident pas les autres femmes »
- Marie, Irène et Ève Curie, respectivement physicienne, chimiste et diplomate au XXe siècle
- Eleanor Roosevelt, ancienne première dame des États-Unis
- Élisabeth de Miribel, diplomate française du XXe siècle
Les Polonaises qui ont marqué l'histoire politique de la Pologne après l'Indépendance
Pour réécouter le mot d’introduction d’Étienne de Poncins, la conférence sur la vie d’Ève Curie par Claudine Monteil et le débat sur le thème des femmes dans la diplomatie avec la participation de diplomates et d’expertes :
📲💻 Pour rester informés du lundi au dimanche, inscrivez-vous à notre newsletter gratuite !
💡 Soutenez votre édition | lepetitjournal.com Varsovie
↪ Lepetitjournal.com est un média quotidien, 100% en ligne, que nous avons choisi de rendre accessible à tous, gratuitement. Mais l’indépendance, la rigueur et l’originalité ont un coût.
↪ Chaque édition locale Lepetitjournal.com est indépendamment financée par des annonceurs, sans jamais céder sur son autonomie : la rédaction reste souveraine dans ses choix éditoriaux.
↪ Grâce à votre fidélité, Lepetitjournal.com Varsovie est dans le top 15 des éditions les plus lues en termes d'audience sur les plus de 70, présentes à travers le monde.
↪ En nous soutenant, même modestement - à partir de 5 €, vous nous aidez dans nos missions quotidiennes, contribuez à nous développer et garantissez la pérennité du média.
🎯 Lepetitjournal.com Varsovie fêtera en 2026, 20 ans de rayonnement en Pologne ainsi qu'à l'international : un cap symbolique que nous franchirons, ensemble !
Vous pouvez également nous suivre sur Facebook, LinkedIn
Sur le même sujet













