La Fresque du climat est un atelier visant à faire prendre conscience aux gens de la réalité du changement climatique, autant sur ses causes que sur ses conséquences, mais aussi du temps qu’il nous reste pour agir. La rédaction a « fresqué » aux côtés de Virginie Little « fresqueuse » engagée et animatrice depuis 2020 ; l’occasion également de recueillir l’expérience des autres participants.
Rencontre avec Virginie Little, animatrice de la Fresque du Climat
Lepetitjournal.com : Virginie, pouvez-vous nous expliquer quel est votre rôle dans la Fresque du climat ?
Virginie Little : La Fresque du climat est à la fois le nom d’une association et le nom de l’atelier éponyme qui permet de comprendre les causes et les conséquences du changement climatique en construisant, en petit groupe, à l’aide de cartes basées sur les rapports du GIEC, une fresque.
Mon rôle au sein de l’association est celui de simple membre et animatrice de l’atelier la Fresque du climat. Je me suis formée à l'animation de La Fresque du climat en avril 2020.
L’association, basée à Paris, a été fondée en 2018 par Cédric Ringenbach, professeur de développement durable dans les grandes écoles en France. À l'origine, il a voulu expliquer à ses élèves quelles étaient les causes et les conséquences du changement climatique, en se basant sur les rapports du GIEC. Plutôt que de dire à ses élèves : « Lisez les rapports du GIEC. », qui font plusieurs milliers de pages de résumés d'études scientifiques de toute discipline, il s'est dit : « Je vais leur proposer une activité ludique plus sympathique. » Ainsi est né l’atelier qui permet d'expliquer les informations essentielles des rapports du GIEC.
Après avoir créé l’atelier, Cédric a créé l’association afin de populariser et propager l’éducation sur le changement climatique. Nous sommes aujourd’hui 50.000 animateurs dans 92 pays dans le monde. Nous animons de façon professionnelle pour des entreprises, des écoles, tout type d’organisation. Nous avons aussi une mission d'éducation non-lucrative dans le cadre de laquelle nous animons des ateliers bénévolement, comme je l'ai fait pour l'Alliance française de Gdansk récemment.
Comment avez-vous découvert le concept et pourquoi avez-vous souhaité organiser ces ateliers ?
J'ai découvert le concept en décembre 2019 alors que je préparais un voyage en France à l’occasion du sommet Change Now en janvier 2020. Malheureusement, il n’y avait pas de session organisée pendant la semaine où j'étais à Paris. Mais j’ai gardé de l’intérêt pour cette initiative.
En mars 2020, la pandémie a éclaté et le monde entier est passé en ligne alors j’ai pu participer de cette manière à un atelier. J’ai beaucoup aimé la formule tant d’un point de vue des informations transmises que du format.
La forme a été très bien conçue pour que les participants soient engagés, apprennent les informations essentielles et repartent outillés pour agir à leur échelle avec une vraie vision des diverses solutions pour lutter contre le dérèglement climatique.
La Fresque du Climat, comment ça marche exactement ?
L’atelier dure 3 heures, il réunit 8 personnes maximum autour d’une table et de 42 cartes contenant des informations issues des rapports du GIEC.
L’atelier se compose de 2 parties. Dans la première partie de la rencontre, les participants placent sur la table les cartes, de sorte à montrer les causes et les conséquences du changement climatique. L’animateur est là pour aider le groupe à constituer « sa » fresque du climat.
La deuxième partie est une discussion basée sur un brainstorming de solutions proposées par les participants afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre au niveau individuel, des entreprises et au niveau des politiques publiques. L’animateur est là pour modérer la discussion et surtout apporter des informations et des ordres de grandeur de sorte à se rendre compte que certes nous avons tous un rôle à jouer dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais il y a des actions plus ou moins efficaces. Toutes sont utiles et nécessaires, mais il faut quand même être conscients des ordres de grandeur. Au niveau individuel, par exemple, trier ses déchets, c'est bien et indispensable, mais réduire ses déplacements en voiture au niveau local et en avion pour les longues distances, baisser son chauffage ou réduire sa consommation de viande a beaucoup plus d’impact. Soutenir la transformation du mix énergétique via la construction d’une centrale nucléaire pour la Pologne est un autre geste potentiellement très efficace pour réduire les émissions de la Pologne.
L’efficacité de l’atelier repose sur l’intelligence collective, la créativité avec laquelle chaque groupe peut décorer sa fresque, lui donner un titre, et bien sûr les sources scientifiques. Rappelons que les rapports du GIEC sont des rapports résumant des milliers d’études scientifiques réalisées par des scientifiques du monde entier et de toute discipline. Ils sont objectifs et validés par l’ensemble des pays membres de l’ONU.
Chaque participant peut se former pour devenir animateur de La Fresque du climat - et ainsi rejoindre la grande famille des Fresqueurs et contribuer à changer le monde !
Qui peut participer à la Fresque du Climat ?
Absolument tout le monde peut participer à La Fresque du climat, à partir de 9 ans. Il existe une version pour enfants contenant 21 cartes et un vocabulaire adapté aux plus jeunes, et la version adulte.
La quantité d'informations est suffisante pour qu'on se rende bien compte des liens de cause à effet du changement climatique, des impacts sur le vivant, sans être trop technique. Tous les participants peuvent s’y retrouver. Si on n'y connaît rien, ce n'est pas trop compliqué… Et si on a déjà de solides connaissances et le goût des sciences, l’atelier apporte des informations scientifiques.
Quel est selon vous, l’intérêt de le faire en Pologne, qui diffère des autres pays ?
J'étais une des premières personnes formées en Pologne. C'était très chouette de commencer à développer la Fresque ici et de voir comment l’engouement est né et se développe depuis vraiment un an et demi. C'est collectivement qu'on arrivera à arrêter les émissions de gaz à effet de serre et c'est bien un défi mondial et collectif. Mais il vrai qu'en Pologne l’enjeu est particulièrement important du fait du mix énergétique fortement basé sur le charbon et sur le gaz.
En outre, nous sommes dans un pays où la conscience environnementale et climatique est encore très largement inférieure à, par exemple, celle de la France. Il y a des blocages liés à l'histoire du pays – notamment au communisme, lorsque l’accès aux biens de consommation, aux voyages, etc. était très limité voire impossible. Par exemple, la voiture est très statuaire. Les Polonais sont très attachés à la voiture individuelle parce que posséder une voiture de telle ou telle marque montre qu'on a réussi - comme partir en vacances, voire en week-end, à l’étranger.
Comment les Polonais, aujourd’hui voient l’écologie et la Fresque ? Cela change-t-il depuis quelques années ?
Cela fait 7 ans que je travaille dans le conseil en développement en Pologne. Je constate une légère évolution positive en général. La conscience qu’il faut prendre soin de l'environnement, le mouvement zéro déchet se sont développés en Pologne, mais cela reste encore des niches, notamment à cause des barrières dont j’ai parlé un peu plus tôt.
Le plus grand changement que j’observe est au niveau des entreprises. Les grandes entreprises notamment sont contraintes par les directives européennes à mettre en place une politique RSE. Elles se préparent à rapporter leurs activités dites ESG. Cela aide et accélère la transformation écologique et énergétique des entreprises.
J’observe cependant un paradoxe. Les très grandes entreprises sont accompagnées par de grands cabinets de conseil qui leur rédigent une stratégie pour respecter les 1,5 °C ou 2 °C d'augmentation de la température globale, mais en interne, elles ne savent pas la déployer. Nous sommes appelés à intervenir dans les entreprises pour expliquer aux salariés que l'entreprise va réduire son empreinte carbone de 50 % d'ici 2030, mais les collaborateurs auxquels nous parlons ne savent parfois même pas ce qu'est une empreinte carbone. Ça tombe bien, la formation sur mesure est justement notre savoir-faire.
C’est une situation tout à fait représentative de là où nous en sommes dans l’histoire de la transformation écologique des entreprises – et pas seulement en Pologne. Il existe un grand décalage entre les stratégies rédigées par de brillants cerveaux, mais loin des collaborateurs de l’entreprise. Heureusement ça, c’est la photo aujourd'hui. En travaillant tous ensemble pour se mettre aux niveaux de tous les collaborateurs de l’entreprise, on parviendra à faire ruisseler cette indispensable transformation.
Et les participants, qu'en ont-ils pensé ?
Si le concept de Fresque du climat est très attirant, et qu’il semble, sur le papier, être un bon outil pédagogique et éducatif pour transmettre la connaissance sur le changement climatique, nous avons tout de même demandé aux participants de l’atelier qui s’est tenu à l’Alliance française de Gdansk, de nous raconter leur expérience en répondant à quelques questions.
Nous avons demandé à Katarzyna L, Katarzyna K, Magdalena, Jerzy, Scott et Nicolas, s'ils avaient des a priori quant à l’écologie ou sur le fonctionnement de la Fresque du climat avant de participer à l’atelier ? Sont-ils toujours d’actualité après leur participation ?
Les six participants semblent s’accorder sur le fait qu’ils n’avaient pas d'a priori avant de faire l’atelier Fresque du climat. Pour eux, l’écologie a toujours été un domaine de préoccupation et tous disposaient de connaissances préalables. Ils ont cependant été charmés par le concept de la Fresque du climat.
Katarzyna L, travaille dans un cabinet de conseil juridique et occupe un poste dans lequel elle traite du droit de l’environnement, a noté que la Fresque du climat est une excellente méthode d’enseignement.
Une opinion que partage Magdalena Popowska, qui la trouve quant à elle « sociale et engageante » et est surprise par la quantité d’informations précises donnée.
Dr.Katarzyna Kotowska, Chef du Département des Littératures Romanes à l’Institut de Philologie Romane de l’Université de Gdansk, s’est dite heureuse d’avoir pu élargir ses connaissances sur les enjeux climatiques et se considère plus consciente de l’importance de l’action collective comme méthode d’action face à ces défis.
Quels éléments de la Fresque vous ont fait prendre conscience d’un ou plusieurs problèmes et enjeux dont vous ignoriez l’ampleur jusqu’alors ?
Alors que Katarzyna L était au courant des problèmes présentés au cours de la Fresque, Jerzy Gajzler, directeur de l’Alliance française de Gdansk, avoue qu’il n’avait jusqu’alors pas pleinement conscience des dates auxquelles se produiraient les « catastrophes possibles. »
Magdalena rejoint ces deux avis, mais ajoute que bien qu’elle était au courant des dégradations, les chiffres présentés lui ont donné une image très claire et parfois choquante de la réalité.
Enfin, Katarzyna K a été frappée par les données scientifiques sur l'augmentation des températures, la fonte des glaces, ou encore la perte de biodiversité et les conséquences potentiellement dévastatrices de ces phénomènes sur notre planète et nos sociétés.
Quels messages de la Fresque vous ont le plus touchés et donné envie d’agir ? A contrario, il y-a-t ’il eut un élément qui vous a moins impacté ?
Si tous ont été touchés par les preuves du dérèglement climatique, ainsi que leurs causes et leurs conséquences, leurs réactions face à ces faits scientifiques diffèrent. Si certains ont fait un compte-rendu positif de leur expérience, comme Katarzyna K et Magdalena, d’autres ont été plus bouleversés. En effet, pour Katarzyna K, savoir qu’il est possible d’agir et d’avoir un impact positif tous ensemble l’a motivée, et a trouvé l’ensemble de l’atelier informatif et stimulant.
Magdalena, bien qu’elle parle dans ses cours à l’Université de tous les enjeux liés au réchauffement climatique, a grandement apprécié de pouvoir organiser ces connaissances en créant une fresque.
Pour Katarzyna L et Jerzy, qui ont été particulièrement chamboulés, ce sont les conséquences sous forme de guerres, de migrations et de crises sociales ainsi que les inondations et autres catastrophes naturelles qui les ont le plus impactés.
Katarzyna L, note que ce qui prédomine, c’est la peur des changements climatiques, et ce depuis plusieurs années. Elle ne mange pas de viande, économise l'électricité et l'eau, achète des produits bio et des produits en packaging « recharge » et s'engage aux projets concernant l'écologie.
Enfin, Jerzy ressent de l’appréhension et s’inquiète du peu de temps pour agir sérieusement et rapidement.
Pensez-vous mettre en place des mesures pour respecter l’écologie et faire attention à la planète dans votre quotidien ? Si oui, lesquels et vos choix sont-ils motivés par cette participation à la Fresque ?
Les participants, dans leur grande majorité, étaient déjà conscients des gestes et habitudes à prendre pour protéger le climat, mais ils repartent de la Fresque avec d’autant plus de volonté et de motivation à agir.
Magdalena Popowska n’a pas attendu la fresque pour changer ses habitudes. Elle essaie de limiter ses achats de vêtements et maximise la vente de seconde main, elle limite sa consommation de viande et privilégie le vélo à la voiture. Elle est d’ailleurs ravie par le nouveau système de vélos électriques MEVO, mis à disposition dans la métropole de la Triville.