Aux premières heures de l’attaque de l’Ukraine par la Russie, l’association Varsovie Accueil s’est immédiatement mobilisée pour apporter son aide aux réfugiés transitant par la Pologne. Dominique Leblond, présidente de l’association depuis février 2021, revient sur cette action solidaire, née dans l’urgence.
Depuis plus de 20 ans, Varsovie Accueil est un acteur incontournable du paysage associatif français et francophone à Varsovie. En adaptant ses trois piliers que sont l’accueil, l’information, l’animation, à la crise actuelle, Varsovie Accueil prouve, une fois de plus que ses membres sont plein de ressources et que sa force réside dans son réseau.
Lepetitjournal.com/Varsovie : Même si depuis vendredi 18 mars, les réfugiés sont, dorénavant massivement pris en charge dès leur arrivée aux postes-frontières et convoyés directement vers des centres d'hébergement ou des hôtels, comment avez-vous pu organiser ce projet d’hébergement pour les réfugiés, dès les premières heures du conflit ?
Dominique Leblond : J’ai été contactée le 24 février, aux premières heures de la guerre, par le conseiller des Français à l’étranger basé à Prague : Vassili le Moigne, qui a eu pour initiative de créer un réseau de familles d’accueil dans les pays limitrophes à l’Ukraine afin de pouvoir accueillir toutes les familles françaises qui allaient transiter par nos pays, pour rejoindre la France. Notre force, c’est qu’il y a des Accueils comme le nôtre dans beaucoup d’autres pays.
J’ai de suite communiqué l’information, grâce à notre groupe WhatsApp, à toutes nos familles membres soient environ 150 familles à Varsovie (chez nous, on adhère par famille). En l’espace de quelques heures j’avais déjà constitué un réseau d’une trentaine de familles prêtes à accueillir.
Vous étiez donc opérationnels dès le 24 février ? Par contre, nous avons pu voir que les choses ne se sont pas déroulées comme prévu avec les réfugiés Français en provenance d’Ukraine, comment avez-vous géré la situation ?
Oui, le premier jour de la guerre nous étions déjà opérationnels. Sauf que oui, tout ne s’est pas passé comme prévu. La Pologne est un pays de transit important. Le passage aux différents postes-frontières s’est avéré beaucoup plus compliqué que prévu pour les Français. Nos adhérents, désireux de pouvoir aider étaient dans l’attente mais personne n’arrivait…
Vassili le Moigne m’informait régulièrement de ce qui se passait à la frontière : comme le nombre de voiture pouvant franchir la frontière quotidiennement était limité, alors les réfugiés français ont été réorientés vers les postes-frontières de la Roumanie, de la Moldavie et de la Slovaquie où l’attente était moindre. Les membres de l’association ont immédiatement réagi. Nous avons donc décidé, à l’unisson, d’ouvrir nos hébergements aux familles ukrainiennes.
Comment se passait l’accueil ? Qui faisait le lien entre les réfugiés et votre association ?
Nous avons pris contact avec les bénévoles francophones de Caritas, l’une des plus importantes organisations caritatives de Pologne. En effet Chantal Haquette - l’une de nos membres que l’on peut qualifier d’« historique » puisqu’elle fait partie des membres fondateurs de Varsovie Accueil et qu’elle en a été la présidente, est très engagée auprès de Caritas et mène un certain nombre d’actions pendant l’année au profit de cette association.
Les bénévoles de l’équipe francophone de Caritas se rendaient chaque jour à la gare de l’Ouest, Warszawa Zachodnia, de 17 heures à 23 heures 30 environ, jusqu’à l’arrivée du dernier train ou bus. Ils travaillaient main dans la main avec les services de la Mairie de Varsovie en charge de la réception des réfugiés.
Lorsque se présentaient des familles de réfugiés d’Ukraine en transit, c’est-à-dire, ayant besoin d’une pause pour organiser leurs prochaines étapes de voyage (pour faire des démarches administratives, des achats, ou juste se reposer), le rôle des familles de Varsovie Accueil c’était d’héberger ces personnes jusqu’à leur départ de Pologne.
Cela a nécessité une sacrée logistique ?
Pendant mon absence, notre secrétaire générale, Françoise Breton-Baluka a géré tout cela de main de maître en assurant la coordination avec Caritas, en orientant les réfugiés vers nos familles d’accueil.
Pour tout vous dire, nous étions à flux tendu… Trop de demandes et pas assez d’hébergements ! Nous avons donc dû lancer rapidement un appel à l’aide sur notre site pour avoir plus de familles d’accueil, nous avons pu également compter sur le soutien du Lycée Français de Varsovie, de l’Institut français, ainsi que d’autres associations francophones.
Aujourd’hui, nous sommes très heureux de compter plus de 80 familles d’accueil. En l’espace de 2 semaines nous avons accueilli au total près de 150 adultes, plus d’une centaine d’enfants de tous âges, des bébés, des jeunes enfants, des adolescents, pour près de 200 nuitées au total.
Afin de faciliter votre organisation, quels outils avez-vous à votre disposition ?
Jusqu’à vendredi dernier, une permanence recevait les appels de Caritas et dispatchait les demandes vers nos familles. Elle a fonctionné chaque jour de 17 heures à 23 heures jusqu’à vendredi dernier. Notre groupe WhatsApp qui était consacré aux « bons plans » est dorénavant mobilisé en grande partie pour aider les réfugiés. Nous avons également mis en place une coordination constituée des membres du bureau de Varsovie Accueil et de bénévoles très engagés dans cette action.
Pour nos familles qui accueillent, l’équipe les appelle pour savoir comment cela se passe, pour les aider, les conseiller le cas échéant. C’est très important : nous les appelons quotidiennement pour savoir où elles en sont avec les réfugiés qu’elles hébergent, comment cela se passe… c’est la vocation première de notre association : prendre soin de ses membres !
Parfois, cette situation peut être lourde (sans commune mesure bien-sûr avec ce que peuvent vivre les réfugiés) mais émotionnellement, c’est une expérience qui peut bouleverser. C’est souvent un sacré « turn over » pour ces familles : il faut s’organiser, ne serait-ce que changer les draps, préparer la nouvelle chambre, l’adapter aux personnes… Souffler émotionnellement !
C’est pour cela que nos membres en parlent beaucoup entre eux. Chacun réagit différemment, parfois l’émotion submerge mais ce qui prime, c’est cette volonté d’aider !
Tout le monde ne pouvait pas héberger des réfugiés, pouvait-on vous aider autrement ?
Parmi nos membres, certains ne se sentaient pas d’accueillir mais par contre, ils ont consacré une matinée à se renseigner pour obtenir une information médicale ou administrative qui va ensuite servir à l’ensemble des membres.
Le réseau est important. Chaque membre était important pour nous aider à regrouper les informations. On a centralisé tout cela sur des fiches pratiques afin d’être plus efficace : où faire un test PCR gratuit, récupérer des vêtements, changer des devises ukrainiennes etc.
D’autres membres de l’association ont aidé aussi en véhiculant les réfugiés de la gare vers les familles d’accueil ou en les accompagnant à l’aéroport.
Avez-vous étendu votre action à d’autres villes ?
Nous sommes concentrés sur Varsovie. Nous coopérons avec d’autres associations de bénévoles lorsqu’il s’agit d’autres villes.
Nous avons aussi de nombreux contacts avec l’Ambassade depuis le début de la guerre qui nous soutient dans notre action et fait parfois appel à nous.
La cellule de crise nous appelle, par exemple pour leur apporter des vêtements, ou autres accessoires comme une table à langer pour l’accueil des familles venues faire leurs démarches au consulat.
Vous vous êtes rendu à la gare de l’Ouest, Warszawa Zachodnia, avec votre fils de 15 ans pour distribuer des gâteaux, bonbons, compotes aux réfugiés, vendredi 11 mars. Comment s’est déroulée la sortie Varsovie Ados ?
C’est important d’impliquer nos jeunes dans cette action. C’est pourquoi l’équipe de bénévoles qui s’occupent des adolescents a proposé de les emmener à la gare de l’Ouest vendredi après les cours afin qu’ils puissent distribuer des sucreries et des boissons aux enfants réfugiés.
Il est primordial pour nos adolescents de contribuer à cette action de solidarité, de se rendre compte de la situation actuelle que vivent ces réfugiés. Ils ont été très touchés de voir toutes ces familles, ces enfants en attente dans la gare et étaient contents de pouvoir leur offrir un petit peu de réconfort.
Le regard de Françoise, secrétaire générale de Varsovie Accueil qui a géré la permanence lors des premières semaines du lancement de l’opération avec Caritas
Françoise Breton-Baluka : On ne fait pas ça à une grande échelle mais chaque échelle compte. Ce n'est pas seulement un hébergement que nous offrons à ces familles éprouvées, lors de leur halte à Varsovie, mais c'est enfin un peu d'humanité retrouvée après tant d'horreurs.
Concrètement, lorsqu’on nous appelle le soir pour héberger des réfugiés, le travail de la permanence c’est d’appeler les familles disponibles et de trouver en moins d’un quart d’heure dans notre fichier celles qui correspondent aux besoins : en nombre de couchages adultes et enfants, d’acceptation des animaux ou non, d’accès pour des seniors, voire parfois pour des handicapés.
Puis un membre francophone de Caritas les accompagne à l’adresse où ils pourront rester quelques jours. Il arrive que certains arrivent à 22h30-23h00 et repartent le lendemain dès 5 heures du matin pour reprendre un train ou un avion.
Les hôtes sont formidables et savent s’adapter à beaucoup de contraintes : aider les familles à trouver des vêtements, les accompagner pour un test antigénique, trouver un médecin pour permettre à une future maman de faire une échographie… La liste est longue autant que leur dévouement ! C’est émouvant et donne la force de continuer.
Depuis vendredi 18 mars, la mairie de Varsovie a réduit au strict minimum ses permanences à la gare, car la réception est maintenant bien prise en main au niveau central, dès les points frontières via les voïévodes (préfets) eux-mêmes en relation avec les mairies.
Les réfugiés sont dirigés directement vers les centres d’accueil des villes et des régions. C’est le cas à Varsovie aussi. Ils sont souvent déjà regroupés en fonction de leur choix de pays d’accueil final, s’ils ne restent pas en Pologne.
Qu’en est-il des permanences de Varsovie Accueil ?
Notre équipe de coordination reste en place, notre base d’accueil de familles aussi. Mais des permanences à des heures précises n’ont donc plus lieu d’être.
Ceci dit les services de la Mairie nous ont fait savoir qu’ils souhaitent continuer à rester en relation avec Varsovie Accueil, car l’aide que nos familles apportent est de nature et surtout de qualité différentes. Elle va au-delà du gite et du couvert. C’est plutôt un accompagnement et un soutien. Elle est en ce sens très appréciée, et les services sociaux en charge des réfugiés, pensent qu'elle reste utile et nécessaire pour des cas plus spécifiques difficiles à gérer par une grosse structure.
Ils vont donc faire appel à nous (toujours à travers la même équipe de bénévoles francophones de Caritas, car ceux-ci facilitent le contact et la compréhension), pour certaines familles peu adaptées aux conditions des grands centres d’hébergements, même pour quelques jours. Nous pouvons citer par exemple : des bébés, des enfants en bas âge fragiles ou des seniors, des familles avec un vécu particulièrement difficile lors de leur périple, d’autres circonstances particulières et tout aussi délicates...
C’est un nouveau contexte auquel nous devons nous adapter, nous sommes donc bien-sûr un peu en cours de réorganisation dans notre fonctionnement... Mais les premiers retours des familles contactées sont positifs. « C’est tout à fait entendable - nous a écrit l’une d’entre elles, je pense que nombreux sont ceux qui seront heureux de pouvoir aider au cas par cas et en fonction des besoins. Dans ce contexte difficile où tout est flou, nous, les familles comprenons que nous tous - y compris l'association, sommes en perpétuelle adaptation ! Encore bravo et merci à toutes ces familles ! »
A suivre...
Pour visiter le site de Varsovie Accueil, adhérer, vous tenir informer des actions, activités, cliquez ici !
Appel à témoins de la rédaction aux lecteurs de l'édition lepetitjournal.com/Varsovie
- Vous hébergez ou avez hébergé des réfugiés - inconnus, membres de votre famille, amis d'amis / vous avez été hébergé ?
- Vous êtes, avez été bénévole pour aider, guider les réfugiés ?
- Vous ne vivez pas en Pologne, mais vous vous êtes déplacé spécialement pour soutenir les réfugiés ?
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