NOËL - Carpe diem !

 

Un copieux Réveillon

En Pologne la veille de Noël est un jour maigre. Si le repas du Réveillon est copieux (il se compose traditionnellement de 12 plats), il ne comporte pas de viande mais du poisson. Le plus typique est la carpe. Elle est encore servie dans plus de 70% des réveillons. Pour satisfaire l'importante diaspora polonaise certains supermarchés l'importent même en Angleterre.

 

 

Directement de la baignoire à la casserole

La semaine qui précède Noël, des bassins grouillants de carpes vivantes apparaissent dans les rues et les supermarchés. Si beaucoup font tuer le poisson, les puristes courent le mettre dans leur baignoire. Le poissonnier peut en effet laisser la carpe s'asphyxier dans son sac en plastique, ou sur demande vous la vendre vivante dans un peu d'eau. La tradition veut que l'on garde la carpe chez soi avant qu'elle ne passe à la casserole. La baignoire est l'endroit tout indiqué. Se laver devient plus compliqué, mais la vie est une question de priorité. Dans la nature, la carpe est un poisson qui aime les fonds vaseux et l'opération permet de purifier son tube digestif (au détriment de votre baignoire). Pour le poisson d'élevage, l'improvisation d'un aquarium assure surtout la présence et la fraîcheur de l'animal pour le Réveillon.

Ce jour-là, pendant qu'un des parents décrasse enfin les enfants que la transformation de la baignoire en pisciculture avait épargnés, l'autre décapite la carpe après l'avoir asphyxiée. On peut aussi la mettre dans un torchon (pour ne pas qu'elle glisse) et l'assommer d'un coup de marteau. Les superstitieux penseront bien à conserver une écaille du poisson. Placée dans un portefeuille, elle garantit des finances saines pour l'année à venir.

 

Une tradition récente...

La carpe n'est arrivée en Pologne qu'au 13ième siècle et sa présence sur les tables du Réveillon ne se généralise qu'après la guerre. Acheter des carpes est une habitude héritée du temps où elles étaient les seuls poissons abordables ou même disponibles. Les Polonais adorent les activités de plein air et la pêche est une pratique très répandue. Même l'hiver, les étangs gelés ne dissuadent pas les pêcheurs. Mais pour assurer un production de masse et fournir les supermarchés, il faut recourir à la pisciculture. Peu fragile, la carpe survit bien dans les bassins. Elle est élevée en Pologne dès le Moyen-Age et constitue encore aujourd'hui 50% de cette production.

 

? et critiquée

Les organisations écologistes, Gaja Klub en tête, dénoncent les implications de cette habitude alimentaire héritée du communisme. Si les poissons ont récemment bénéficié des mêmes droits que les autres animaux d'élevage, les bassins où grouillent les carpes font peu de cas de ces règlements. L'asphyxie dans un sac plastique ou le stress de l'exécution à domicile ne sont pas non plus particulièrement respectueux.

Et si ces arguments historiques et compassionnels ne suffisent pas à vous convaincre de renoncer à acheter une carpe, sachez que son goût est assez quelconque. Enfin ramener une carpe vivante à la maison n'est pas non plus sans danger.  

 

Une pratique culturelle à risque

Musclée et glissante, la carpe est fugueuse et finit souvent sur le sol de la salle de bain. Chaque année des pêcheurs en pyjama glissent sur leurs poissons. Ces chutes ont parfois des conséquences tragiques.

Si tous les cuisiniers ne finissent pas à l'hôpital, les poissons ne finissent pas non plus toujours sur la table. Les enfants (et les chats, mais pour d'autres raisons) ont tendance à être hypnotisés par les carpes. Votre minou, selon le gabarit du bestiau, pourrait blesser ou tuer prématurément le poisson. Votre progéniture risque quant à elle de sympathiser. La carpe n'est pas franchement un animal expansif et câlin, mais les enfants finissent quand même par s'attacher... Difficile alors de leur servir la copine Karpiniulek dans une assiette. Et comme une carpe peut vivre plus de 20 ans et atteindre 30 kilos, la laisser dans sa baignoire est une solution risquée et encombrante. Nous vous conseillons plutôt d'aller la relâcher en famille dans un étang.

 

 

N'attendez pas le 24 au soir !

Si vous avez finalement opté pour ce poisson au Réveillon, dépêchez-vous d'aller choisir votre carpe. A trop attendre, vous vous priverez de la joie enfantine de voir nager un poisson dans votre baignoire et vous risquez surtout de ne plus trouver aucune carpe ! Un printemps froid, des inondations dans tout le pays, un virus mortel transmis par les cormorans : les éleveurs de poissons annonçaient déjà en novembre une pénurie. Noël dernier, les Polonais ont mangé 15.000 tonnes de carpes. Cette année il y en a 4.000 de moins et les prix sont passés de 9 zlotys à 13 zlotys par kilo.

 

 

Carpe à la polonaise

Le poisson du réveillon est généralement taillé, pané et frit à la poêle. On le sert souvent avec des pommes de terre (en salade ou écrasées) et du chou cuit. Plus goûtue et exotique, nous vous proposons une recette traditionnelle à base de vin et d'épices.

Couper en darnes une belle carpe. Garder le sang dans un bol avec le jus d'un demi citron. Cuire le poisson dans une casserole avec un bouillon de légumes (céleri, oignon, carotte...), 1 verre de vin rouge, le zeste du citron, quelques grains de poivre, un peu de gingembre et le jus d'un demi citron. Retirer et garder au chaud le poisson. Pour la sauce : mixer le bouillon, y ajouter le sang de la carpe, un verre de bière brune, 3 morceaux de sucre, 1 cuillère de confiture de pruneaux, 50g de pain d'épice râpé, 50g d'amandes en morceaux, 50g de raisins secs et 1 grande cuillère de beurre. Cuire à feu doux 15 minutes et napper le poisson sur le plat.

 

Bon appétit !

CQ (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) mercredi 22 décembre 2010

(article publié le 22 décembre 2010)