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J’ai visité Auschwitz-Birkenau et je n'en suis pas ressorti indemne

Pour chaque visiteur venant en Pologne aujourd’hui, il est indispensable de découvrir la réalité qu’ont été les camps nazis d’Auschwitz. Films après films, livres après livres, documentaires après documentaires, nous croyons connaître l’histoire de l’Holocauste, mais ce n’est qu’en posant le pied dans le plus important des camps de la mort que l’on se rend compte du poids de l’Histoire... Je m'y suis rendu et ce que j'y ai vu, ce que je ressenti, j'y pense encore !

Le portail en métal à l'entrée de Auschwitz 1, avec l'inscription "Arbeit macht frei"Le portail en métal à l'entrée de Auschwitz 1, avec l'inscription "Arbeit macht frei"
Écrit par Mattéo Bardiaux
Publié le 19 janvier 2038, mis à jour le 4 octobre 2024

Le camps de la mort

Auschwitz-Birkenau est le site de l’un des plus grands massacres de l’Histoire. Si vous avez grandi au cours des 40 dernières années, vous avez probablement étudié la Seconde Guerre mondiale au lycée, regardé La liste de Schindler,  lu Le garçon au pyjama rayé. Et comme moi, vous avez probablement l’impression de « connaître » l’Holocauste, Auschwitz vous pensiez savoir ce que c’est...

Mais en arrivant sur le lieu où tout s’est déroulé, en franchissant ces portes, j’ai réalisé que je ne savais rien. Que connaître les faits ne signifie pas connaître l’histoire. Et que même les faits prennent un aspect vraiment différent lorsque l’on se trouve sur le lieu même du drame.

Le jour de ma visite, le ciel est sombre et maussade lorsque nous franchissons les portes de Birkenau, qui fait partie du camp de concentration d’Auschwitz, près de Cracovie.

Vous avez sûrement déjà vu, au moins en photo sans doute, ce grand portail en acier qui ouvre le chemin, même si vous ne l’avez jamais franchi. Avec ses grandes lettres formant un pont, il inscrit dans l’air les mots « Arbeit macht frei », « Le travail rend libre » – une ironie terrible dans ce lieu où tant de gens ont été privés de leur liberté, puis conduits vers la mort.

 

Ginette Kolinka rescapée des camps : la fureur de vivre et de dire, contre l'oubli ! 

 

Le début de la visite : Auschwitz I 

Il est important de se rappeler qu’il n’y a en réalité pas qu’un seul Auschwitz : Auschwitz I, le camp de concentration d’origine, Auschwitz II (Birkenau), a été construit par la suite pour servir de camp d’extermination - celui dont vous connaissez sans doute la silhouette, et Auschwitz III (Monowitz-Buna)

La plupart des visites d’Auschwitz commencent par le camp d’origine, le « Stammlager  », cette ancienne caserne de pompiers qui a vu arriver son premier convoi de prisonniers en juin 1940, un convoi de 728 prisonniers politiques polonais, bientôt suivis par des membres de la résistance, des intellectuels, des homosexuels, des Gitans et des Juifs. On reconnaît d’ailleurs aussitôt l’ancienne caserne ; le site consiste en des rangées de baraques en brique, chacune ayant été attribuée pour une fonction différente. La numéro 20, le soi-disant « hôpital », qui était plutôt un laboratoire où des médecins comme le Dr Mengele utilisaient les prisonniers comme cobayes lors de plus en plus cruelles expérimentations. 

Il y a la baraque 11, une prison à l’intérieur de la prison, où les gardiens inventaient de nouvelles méthodes de torture plus horribles les unes que les autres afin de briser les prisonniers qui osaient se rebeller – en les affamant, en les asphyxiant ou en les forçant à rester debout dans une minuscule cellule d’un mètre de côté pendant des jours. Et tout le reste, ineffable.

Le plus dur, ce sont sans doute les piles d’effets personnels – les amoncellements de valises, de chaussures, de tasses et de bols que les gens ont apportés avec eux alors qu’ils pensaient qu’ils étaient simplement envoyés au travail et que se dessinait encore une perspective de retour.

On aperçoit aussi les étranges piles de lunettes brisées, de jambes de bois et de cheveux humains. Le fait de vous ôter vos vêtements, de vous confisquer vos affaires, de vous raser les cheveux vous dépouille totalement de votre humanité. Puis on vous tatoue. Vous n'êtes plus qu'un matricule... et encore ! 

En marchant dans les couloirs des baraques, des photos de visages alignés nous regardent. Au début du camp, les nouveaux arrivants étaient photographiés et enregistrés, jusqu’à ce que leur nombre devienne trop important.

En observant leurs yeux, on peut y voir un mélange de peur, d’horreur et parfois de défi. Observer leurs visages, lire leurs noms, leurs nationalités, leurs âges et leurs professions redonne de l’humanité à ces êtres déshumanisés. Les chiffres abstraits deviennent réalité, les statistiques prennent vie.

 

Une projection nécessaire 

je ne peux m'empêcher d’imaginer comment je me serais débrouillé à leur place – la faim, le froid et la maladie, la mort rôdant partout, la pression psychologique, l’angoisse… Tout cela aurait-il eu raison de moi avant la chambre à gaz, ou serai-je l’un de ceux à avoir survécu ? Car au milieu de toute cette horreur, il y a des histoires de défi et de survie, de personnes qui ont réussi à s’en sortir malgré les obstacles.
 

27 janvier 2023 : 78e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau 


Auschwitz pose autant de questions qu’il n’apporte de réponses. Et la principale est la suivante : faut-il se préparer en conscience à ce voyage qui ne laisse pas indemne ? Pour ma part, j’ai eu du mal à me défaire de cette sombre expérience, mais il était important de la vivre. Comme le dit une citation à Auschwitz : « Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter ».

En regardant les camps, 79 ans plus tard, il nous est difficile d’imaginer comment cela a pu se produire. Mais dans un monde encore rempli de haine, est-ce vraiment si impossible ? Visiter Auschwitz-Birkenau et voir ces lieux de vos propres yeux est quelque chose que vous n’oublierez jamais – une expérience à emporter et à garder comme un talisman et l’espoir que cela ne se reproduise plus jamais.

 

À Birkenau, le pire du pire

C’est le plus grand des trois principaux camps d’Auschwitz, construit en 1941 pour accueillir jusqu’à 200.000 prisonniers après que le camp d’origine soit devenu trop surpeuplé. C’est à Birkenau que l’on se rend compte du sommet des horreurs qui se sont déroulées ici.

Birkenau s’étend sur 175 hectares de paysage morne et stérile, avec des clôtures de fils barbelés et des tours de guet qui s’étendent au loin dans chaque direction. Il s’agit d’un immense camp d’extermination où les nazis ont industrialisé la mort, en construisant quatre chambres à gaz pour éliminer le plus grand nombre de Juifs possible, de la manière la plus efficace possible.

La voie ferrée traverse le site en son milieu. C’est là qu’arrivaient les trains transportant les prisonniers de toute l’Europe. C’est là que les gardes choisissaient ceux qui vivraient et ceux qui mourraient – les plus aptes étaient envoyés travailler dans le camp, tandis que les malades, les personnes âgées et les enfants allaient directement à la chambre à gaz.

La plupart des bâtiments du camp ont été détruits en 1945, lorsque les nazis ont tenté de dissimuler les preuves de leurs actes à l’armée soviétique qui approchait, mais vous pouvez vous promener autour des piles de briques et de métal tordu où se trouvaient autrefois les chambres à gaz, et entrer dans des reconstitutions des cabanes en bois où les gens dormaient, jusqu’à 1.000 personnes entassées comme du bétail.

C’est en mars 2023, que je me suis rendu sur les lieux, et l'an passé, le froid et l’humidité rendaient pénible la visite extérieure. Je n’osais pas imaginer ce que cela pouvait être d’être prisonnier un hiver ici, de travailler comme un forçat dans des hardes et des chaussures en bois – pour ceux qui en avaient, ou roulées dans des oripeaux, le ventre vide. Lutter chaque jour contre la maladie, l’épuisement, la faim et les mauvais traitements.

Visiter Birkenau, ce n’est pas visiter un musée ordinaire. On est le plus souvent livré à soi-même et à ses pensées. On doit s’imprégner de tout cela et essayer de donner un sens à ce qui s’est déroulé ici. Beaucoup de gens craignent d’être trop bouleversés par la visite des camps. Et c’est vrai, je me suis rendu compte que j’étais presque engourdi, comme si c’était trop d’horreurs à assimiler, trop de choses… que je ne pouvais logiquement pas comprendre.

Ginette Kolinka, rescapée des camps, l’expliquait mieux que je ne pourrais jamais le faire :
 

« Vous aurez beau essayer de l’imaginer, il manquera toujours ce que j’ai senti, ressenti au plus profond de ma chair : vous n’aurez jamais le bruit, vous n’aurez jamais l’odeur, vous n’aurez jamais le son, vous n’aurez jamais les cris, vous n’aurez jamais la douleur, vous n’aurez jamais la souffrance. Parce que tout ça, c’est inimaginable. »

Toute l’année, des dizaines de compagnies touristiques différentes organisent des visites des camps d’Auschwitz, le plus souvent au départ de Cracovie, avec le transport inclus. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site d’Auschwitz-Birkenau.

 

Se rendre à Auschwitz-Birkenau : comment se déplacer facilement en transports en commun à Cracovie ?

 

- Les camps souches d'Auschwitz I et Auschwitz II - Birkenau sont libérés par les soldats de la soixantième armée du premier front ukrainien, le 27 janvier 1945.
- Depuis 2005, la date du 27 janvier a été proclamée par l'ONU Journée internationale de commémoration en mémoire des victimes de l'Holocauste. 
- Dans le camp d'Auschwitz-Birkenau, véritable usine de mise à mort, ce sont plus d'un million de déportés qui ont été victimes de la "solution finale" entre 1942 et 1945, parmi lesquels 90% de Juifs, 70 à 75.000 Polonais, 21.000 Tsiganes, 15.000 Russes, principalement des prisonniers de guerre. Bénédicte Mezeix

 

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