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A. Noguera : "Les soldats de plomb sont des œuvres d’art en miniature"

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Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 9 octobre 2020

Alejandro Noguera, consul honoraire de France à Valence et directeur du Musée L’Iber, nous ouvre les portes de son Musée des soldats de plomb qui vient d’être récompensé par le prix Traveller's Choice de Tripadvisor. Installé dans le superbe palais de Malferit, il est situé en plein centre de Valence, Carrer dels Cavallers. Visite guidée pour nos lecteurs. 

Le bâtiment, qui abrite aujourd’hui la plus grande collection de soldats de plomb au monde (près d’un million deux cents mille pièces au total, dont quatre-vingt-quinze mille sont exposées), a vu se succéder, au gré des alliances, d’illustres familles de la noblesse espagnole. Les Borgia y ont même vécu un temps quand ils étaient encore Borja, avant de partir pour l’Italie. Tout commence en 1238 quand Jaime I conquiert Valence et offre, comme récompense, une maison mauresque à son écuyer, un certain Roca. L’édifice est construit au début du XVème siècle dans un style gothique et connaît d’importants travaux de rénovation à la fin du XIXème. En 1937, quand le gouvernement de la Seconde République s’installe à Valence, fuyant l’avancée de l’armée franquiste à Madrid, le palais de Malferit fait office de ministère de la Justice. Le président Manuel Azaña siège à la Generalitat et Juan García Oliver, le ministre anarchiste, choisit pour résidence l’actuel musée.

 

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Le patio du Musée L'Iber

 

C’est pendant cette parenthèse de bien courte durée que sont votés les droits civiques pour les femmes. Puis la famille Noguera rachète le bien. Le père d’Alejandro y entrepose sa collection de soldats et c’est entre ces murs, dans l’appartement familial, que le jeune enfant, très tôt, découvre un univers qui ne le quittera plus. Les soldats fortifient son imaginaire et complètent sa formation, le dirigeant tout naturellement vers l’Histoire. Comme par prédestination, songe-t-on, quand il nous confie que, petit, sa mère lui lisait l’Iliade pour enfants. Achille court sous les murailles de Troie et l’enfant, lui, entouré de sa passion, est pris au piège. “Mon père aurait peut-être aimé que j’étudie une matière plus sérieuse” nous dit-il en riant. ”Mais je crois qu’il ne l’a pas regretté, en fin de compte.” En attendant, la collection ne cesse de grossir et, après de brillantes études en archéologie et en histoire ancienne, c’est avec son père qu’il décide de créer le Musée en 1981. Celui-ci ouvre ses portes en 2007 et compte maintenant 17 salles d’exposition. D’une salle à l’autre, c’est une invitation à voyager à travers le temps, de la plus Haute Antiquité jusqu’à nos jours. Un déploiement de petites figures fourmille sous nos yeux. Ces reconstitutions lilliputiennes n'en représentent pas moins un travail titanesque, où le souci de l'exactitude prime, et avec ce prix Tripadvisor 2020, ce sont des années de recherche qui sont couronnées par le choix des visiteurs.


Paul Pierroux-Taranto : Votre musée a ouvert ses portes en 2007. Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir partager votre passion ? 

Alejandro Noguera : Oui, un musée, c’est très long à préparer ! On l’a créé en 1981, mais il a seulement commencé à accueillir des visiteurs en 2007. Cela est dû à un énorme travail historique de documentation en amont. C’est un musée qui s’adresse avant tout aux écoles et aux touristes. Je ne l’ai pas conçu comme un musée pour spécialistes. Le but principal est de montrer avec la plus grande objectivité possible, ce qui est toujours difficile, l’Histoire. Les soldats de plomb me paraissent être une façon ludique et didactique d’aborder l’Histoire. J’ai voulu partager mon goût pour cette matière et la rendre accessible au plus grand nombre. 

En fonction du cursus et du programme de l’année, les écoliers et étudiants qui viennent nous rendre visite reçoivent des feuillets qui leur permettent de définir un itinéraire dans le musée. Cet été, nous avons pratiquement fini de réécrire les panneaux explicatifs en espagnol et en anglais. Nous sommes en train de créer des codes QR pour qu’on puisse aussi les lire en français et en valencien.

 

"L’idée, c’est que ce ne soit pas simplement un musée mais un centre culturel vivant."


Parlez-nous du Prix que vous venez de remporter. 

Nous avons obtenu le Tripadvisor Traveller's Choice Award 2020. Très peu de musées ont reçu ce prix. En Espagne, seulement le Prado et le Musée Picasso de Barcelone le détiennent ; en France, le Musée du Louvre et le Musée d’Orsay l’ont. C’est un immense honneur pour nous qui sommes un petit musée privé. Tripadvisor fait un bilan de l’année à partir des opinions des visiteurs. Ce prix représente donc le bilan des opinions de 2019. Normalement, les visites augmentent considérablement avec l’obtention d’un tel prix. C’est évidemment plus compliqué cette année compte tenu du contexte actuel de la pandémie. Nous verrons bien. 

 

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Vous avez toujours fait preuve d’un souci de réalisme et d’historicité dans vos expositions. 

Il y a plus de recherches ici que dans beaucoup de livres d’Histoire. Préparer une scène de bataille suppose en effet un temps de recherche énorme. Il faut étudier le terrain, les uniformes, les bâtiments, les drapeaux, etc. Par exemple, pour la bataille d’Almansa, il n’y avait pas de livres quand on a commencé à s’intéresser à sa reconstitution. J’ai fait trois ans d’études d’égyptien pour les hiéroglyphes dans la salle dédiée à l'Antiquité. Probablement, beaucoup de visiteurs ne le remarquent pas, mais le souci de réalisme est poussé à l'extrême partout. Tout est fait en miniature, à l’échelle de la réalité, et dans les moindres détails. La terre présente dans les scènes de bataille provient des véritables lieux historiques.

Nous essayons de montrer l’Histoire sans entrer dans des querelles partisanes. Je ne dis rien sur un fait historique en particulier. J’essaie de l’exposer. C’est notre devoir en tant qu’historiens. Après, aux gens d’en faire l’interprétation qu’ils veulent à partir de données scientifiques.

 

"Dans les pièces de plomb, il y a peu de femmes, d’enfants et de vieillards. On a cherché à combler ce vide à travers notre fabrication."

 

Pouvez-vous nous parler de l’évolution des soldats de plomb à travers l’Histoire ? 

Le soldat de plomb est né aux alentours de 1790. On peut réellement parler de soldats de plomb à partir du moment où ce sont des jouets fabriqués en série. Ils sont d’abord apparus en Bavière. C’étaient des soldats plats destinés aux enfants. En France, à Paris, à côté de l’église Saint Sulpice, on a fabriqué les premières figurines en ronde bosse. Cette série est dans notre musée. C’est la même série que celle avec laquelle jouait le fils de Napoléon, le roi de Rome.

Maintenant, on ne fait plus de soldats de plomb pour les enfants. On en fait pour les adultes. Pour les enfants, on fabrique des jouets en plastique comme les PLAYMOBIL et les LEGO qui peuvent être vus, à bien des égards, comme les héritiers du soldat de plomb. Aujourd'hui, on joue plutôt à l'ordinateur avec des jeux de stratégie. Cela dit, je persiste à penser qu’une partie réelle est toujours plus conviviale qu’un jeu virtuel.

 

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Le soldat de plomb est devenu de nos jours un objet de collection. Quel est le profil de ses passionnés ? 

En fait, il y a trois types d’acheteurs de soldats de plomb. Il y a ceux qui les achètent pour jouer aux jeux de guerre et de stratégie. Ceux-là achètent des petites pièces de 15mm. Mais, comme je l’ai dit, aujourd'hui, ce public s’oriente plutôt vers les jeux vidéo tels que Warcraft, etc. Après, il y a les collectionneurs qui achètent plutôt des pièces de 54 mm, qui est la taille la plus commune. Et enfin, la dernière catégorie, ce sont ceux qui aiment peindre et qui achètent de plus grands formats, de 72 mm à 120 mm, qui sont des statuettes. Certaines personnes achètent un soldat et mettent parfois plusieurs mois à le peindre.  

 

Et en ce qui concerne la production actuelle des figurines ? 

Valence, et plus particulièrement Burjassot, a été l’un des principaux exportateurs de soldats de plomb dans le monde jusqu’aux années 80. Après, cela a été Hong Kong. Et aujourd'hui, c’est la Chine. À Valence, il y a deux marques de soldats de plomb qui se maintiennent toujours et une qui survit encore à Burjassot. Mais le volume des productions n’est plus tellement conséquent. On ne peut pas concurrencer les prix des soldats chinois. J’aurais aimé créer un système de formations mais il n 'y a pas tellement de travail dans le secteur. J’ai créé un poste de travail à mi-temps pour un peintre-restaurateur cette année, mais combien d’autres pourrais-je créer ? Il fut une époque où nous avions douze personnes en atelier. C’était dans les années 90.

 

"À mes yeux, les soldats de plomb sont des œuvres d’art en miniature."


En plus de la présence du musée L’Iber, la région valencienne a donc été un lieu important du soldat de plomb ?  

Valence a toujours été une région où il y a eu beaucoup d’initiatives du point de vue créatif, commercial, etc. Par exemple, beaucoup de créateurs de BD et de mode sont issus de la région. Les soldats de plomb, c’est de la peinture et de la sculpture en miniature. Souvent, on ne voit pas ce musée comme un musée d’art mais je ne vois pas pourquoi. À mes yeux, les soldats de plomb sont des œuvres d’art en miniature.

 

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D’où proviennent les figurines que vous exposez au musée ? 

Les pièces que nous avons au musée sont de plusieurs origines. Certaines sont achetées telles quelles, déjà peintes, déjà finies. On les commande directement aux fabricants pour le musée. D’autres pièces sont achetées aux enchères (Sothebys, Drouot, etc.). Enfin, certaines pièces sont réalisées par nos soins. On les appelle FACAN (fet a casa nostra). On crée un prototype, on met de la plasticine dessus, qui durcit, et après avoir créé un moule, on le fond dedans avec de l’étain, du plomb et de l’antimoine. On crée alors une série que l’on peint dans notre atelier. C’est un travail artisanal. En plus de ces figures totalement créées par nous ou achetées déjà faites, il y a tous les intermédiaires des figurines que l’on peint ou que l’on transforme.

Ce qui est intéressant avec les pièces FACAN, c’est que chacune est différente. On en profite ainsi pour créer des figures peu représentées traditionnellement. Dans les pièces de plomb, il y a peu de femmes, d’enfants et de vieillards. On a cherché à combler ce vide à travers notre fabrication. En ce moment-même, on est en train de créer une série de femmes qui ont marqué l’Histoire.
 

Je m’adresse maintenant à l’historien. J’imagine que l’on peut voir à travers l’évolution des soldats de plomb un reflet de l’Histoire officielle, de ses partis pris et de ses angles morts. 

Tout à fait. L’histoire des soldats de plomb, c’est aussi l’histoire des manques, c’est-à-dire de tout ce qui a manqué dans l’enseignement, dans la recherche, mais aussi de la propagande propre à chaque pays. Quand on achetait des soldats de plomb en URSS, il y avait beaucoup de Staline. Maintenant, il y a beaucoup de Poutine. À une époque, il y avait beaucoup de Pétain en France et de Franco en Espagne. Le soldat de plomb était un jouet, mais il a aussi été un instrument de propagande. Aujourd’hui, c’est une pièce de collection. Ce sont les collectionneurs qui décident. Avant, c’était plutôt l’État. Les marques suivaient le goût de l’époque et la propagande étatique. 

 

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“Voici l’uniforme de mon grand-père. Il a participé aux pires boucheries de la première guerre mondiale : le chemin des Dames, Verdun, la Bataille de la Somme. Il venait d’entrer à Polytechnique. Il a été envoyé à l’école des sous-officiers d’artillerie. Ceux qui survivaient montaient en grade, il a ainsi été capitaine à la fin de la guerre. Nous avons conservé son uniforme et avons fait une maquette en hommage afin que les visiteurs puissent voir comment était la guerre des tranchées. De plus, j’ai écrit à partir de ses lettres du front un ouvrage collectif sur la vie quotidienne du poilu.” 



Le palais de Malferit, ce n’est pas seulement le musée L’Iber, c’est aussi une bibliothèque, une salle de conférence et de nombreuses activités.

Absolument. Nous avons une bibliothèque de plus de cinquante mille ouvrages, principalement des ouvrages d’archéologie, d’histoire ancienne, d’histoire de l’art et de littérature. Beaucoup sont en français et en anglais et incluent des donations des universités d'Oxford, de Cambridge et d’Harvard. Cette bibliothèque est destinée aux amis du musée et aux chercheurs. Je n’ai hélas pas le temps d’en être le bibliothécaire. Parfois nous avons des volontaires ou des étudiants qui m’aident. Ce qui est toujours très appréciable.

Nous organisons aussi des cours d’Histoire de l’art, des ateliers littéraires, des conférences et des tables rondes. On compte quand même près de deux cents étudiants. Nous sommes donc une petite institution éducative. On organise aussi des présentations de livres, des activités pour les enfants et des clubs de lecture sur les classiques de la littérature au sens large. Dans la cour, en bas, on fait du yoga et du tai chi. L’idée, c’est que ce ne soit pas simplement un musée mais un centre culturel vivant.

 

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Illustration : Serge Helholc

 

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