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Pedro Alonso : "J’écris, je peins, je joue pour vivre plus pleinement"

Pedro Alonso, auteur et acteur de la Casa de Papel Pedro Alonso, auteur et acteur de la Casa de Papel
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 1 juillet 2020, mis à jour le 5 octobre 2024

Nous avons rencontré l’acteur espagnol Pedro Alonso. Mondialement connu pour son interprétation de Berlin dans La Casa de Papel, il a joué dans de nombreux films et séries tels que Gran Hotel et El Silencio del Pantano. Artiste protéiforme, il est aussi peintre et écrivain. Il vient de publier le Libro de Filipo, une histoire écrite à partir de ses régressions sous hypnose.

 

D’emblée, une évidence saute aux yeux. Nous sommes en présence d’un artiste - au sens plein du mot. Une personne libre, en quête d’elle-même, qui souhaite ouvrir au travers de son art les portes de la perception et tâter le pouls de l’existence. Pedro Alonso nous l’assure ; il n’a pas vu passer ces quatre mois de confinement aux côtés de sa compagne, Tatiana Djordjevic, et de Jasmine, une amie d’enfance de Tatiana venue la rejoindre. Il a saisi cette période tel un “cadeau” qui se serait présenté à lui pour explorer ses espaces de travail, loin des clapotis du quotidien et de l’attente, récurrente chez les acteurs, du téléphone qui sonne. Documentaire, articles, écriture, peinture… - les projets abondent, et Pedro Alonso se trouve sur tous les fronts à la fois. Le fil rouge, c’est lui. Autant d’outils pour un seul artisan, orfèvre de son existence. À la croisée des chemins de son art, dans un moment inédit, nous dit-il, une correspondance s’établit chaque jour davantage entre ce qu’il vit et ce qu’il fait,  -  comme de longs échos qui de loin se confondent.

Pedro Alonso peint depuis maintenant plus de quatorze ans, avec une intensité croissante, et sa peinture s’est transformée en une seconde respiration. Un souffle qui donne vie à tout ce qu’il fait. L’écriture, elle, est arrivée sur son chemin un peu plus tard. Il y a cinq ans. Ça a commencé comme ça. Après le décès de son père, une rude épreuve, l’occasion d’un voyage et d’un bilan sur son existence. Il s’est mis à écrire à des amis, sans aucun filtre, et s’est un jour rendu compte qu’il avait accumulé quelque 570 pages. Dans la lignée d’Emmanuel Carrère ou de Karl Ove Knausgård, qu’il admire profondément, son matériau, c’est “sa propre vérité”. Cela s’appelle Potro Noruego et c’est son premier livre. Impubliables aveux… “Je m’expose autant que j’expose les autres, et je le publierai à titre posthume !” s’exclame-t-il d’un rire communicatif.

Il a pourtant publié ce 4 juin 2020 son deuxième livre, le Libro de Filipo, qui retrace sa rencontre avec Tatiana suivie des quatre régressions qu’elle lui fait faire et qui sont à l’origine du “nouveau né” dont nous allons parler. 

Dans un va-et-vient spatio-temporel, Pedro Alonso est tour à tour un soldat romain, Filipo, et le narrateur qui, en 2018, au moment même où il se prend cette gifle de surréel, tente de démêler et de suivre le fil d’Ariane dans le labyrinthe de ses régressions. Un détail encore, l’auteur a tout vécu à la première personne. Ce n’est pas une fiction, c’est la pure vérité. Et il l’écrit noir sur blanc. À lui la parole. 


Paul Pierroux-Taranto : Le Libro de Filipo commence le 29 janvier 2018 lors de votre premier séjour à Paris. C’est le point de départ d’une rencontre hors du commun et de cette régression à Giverny à l’origine du livre. Que représente pour vous Paris ? 

Pedro Alonso : Paris est une ville où je voulais aller depuis de nombreuses années. J’anticipais un événement énorme. Finalement, l’occasion s’est présentée. Je me suis rendu à Paris après une somme colossale de travail, principalement les nombreux mois de tournage de la Casa de Papel. J’y suis allé seul, pour décompresser, me ballader dans les rues, visiter les musées et contempler l’art. Et puis est apparue Tatiana Djordjevic ! Lorsque j’ai commencé à lui parler sur la terrasse du Saint Jean, à Montmartre, une porte extraordinaire s’est ouverte. Toutes les lignes de force de l’existence qui pouvaient confluer, se sont retrouvées à Paris : l’amour, une régression avec un impact émotionnel très fort, un versant ésotérique et spirituel qui nous a fait nous donner la main ; notre relation culminant dans la publication d’un livre dont elle a écrit le prologue et notre peinture à quatre mains qui l’illustre. Tout cela fusionne et me fait prendre conscience que ma vie est chaque fois plus alignée avec qui je suis vraiment. Je vis maintenant à Madrid avec Tatiana et on est sur le point de s’installer dans notre nouvelle maison. On n’aurait pas pu imaginer mieux dans un film ! (rires)

Alors, que représente Paris pour moi aujourd'hui ? Un mythe des choses belles et puissantes qui me sont arrivées dans la vie. 

 

J’ai vécu le personnage de Filipo à la première personne !

 

Diriez-vous que vous vous êtes retrouvé vous-même à travers ces régressions ? 

Disons que ces dernières années, j’ai fait un grand plongeon dans l’existence. Ce livre est un pas de plus dans ma quête sur la voie de la connaissance. Je la parcours avec toute l’intensité et l'intention qu’un tel chemin requiert. En plus de mon métier d’acteur, je médite depuis des années, j’écris, j’approfondis ma peinture, j’ai beaucoup voyagé en Amérique Latine et je travaille sur l’écoute de moi-même. 

S’il y a un versant d’ordre ésotérique dans ma démarche, et j’ose la formule même si elle peut être mal interprétée, c’est d’essayer d’ouvrir les portes de la perception de l’invisible afin de m’examiner et de nettoyer ma demeure pour continuer à grandir. À ce titre, le Libro de Filipo est paradigmatique. J’ai vécu le personnage de Filipo à la première personne !

Ce livre retrace un écho qui vient d’une autre vie. Toutes ces informations me sont venues à travers les quatre régressions que j’ai vécues avec Tatiana et qui ont un rapport direct avec le moment présent que je vis. Je les interprète comme autant de signes qui confirment que je vais dans une direction qui m’aide à vivre la vie plus pleinement.

 

Pedro Alonso, auteur du Libro de Filipo


Filipo, le soldat romain et protagoniste du livre, rencontre un certain Yilak qui va devenir son maître. Peut-on parler d’un livre initiatique ?

C’est un livre initiatique. Totalement. Je l’ai écrit tel quel. On peut y entendre les échos des paraboles asiatiques des siècles les plus reculés et archaïques où la pulsion spirituelle était très présente. 

Le début du livre, c’est ma rencontre extraordinaire avec Tatiana et, sous hypnose, les régressions qu’elle me fait vivre. On a voulu publier ce livre comme une “non-fiction”. C’est la pure réalité. On ne s’en écarte pas. Je n’écris pas en pensant au divertissement que cela peut procurer à un lecteur mais pour qu’il vive plus pleinement.

Mon livre retrace le parcours initiatique de quelqu'un qui est dans une “case” à un moment donné, et qui, à la suite d’une rencontre, finit dans un endroit complètement différent d’où il était parti. Bien sûr, on peut lire le Libro de Filipo de bien des façons. Il y a des moments où ce livre s’apparente à un récit historique, à un thriller, à un livre d’aventure, à un western, mais avant tout, fondamentalement, c’est l’histoire de la transformation d’un type de guerrier en un autre. 

 

Il y a des personnes qui voient la vague comme une menace, et il y a des surfeurs aguerris qui savent lire sa trajectoire et qui se laissent porter par elle


En parlant de Filipo, j’ai noté une phrase de lui : “Je n’ai aucun autre plan que de me laisser aller à la merci des courants.” Je pense que cela résume bien votre manière d’aborder l’existence.

Oui, complètement ! (rires) Quand, à notre première rencontre, Tatiana m’a demandé : “Que vas-tu faire maintenant ?” Je lui ai répondu : “Je n’en ai pas la moindre idée”. Et c’était vrai, je n’avais aucun plan préétabli. 

C’est une attitude existentielle que je prétends encourager dans ma vie de ces dernières années. Je crois que l’on vit très prisonniers de nos schémas mentaux, du rationnel, de l’ordre rigide des choses. Souvent, la vie passe devant nous et nous ne sommes pas capables de l’approcher. Il nous est difficile de lire les signaux qu’elle nous envoie parce qu’on a fermé la porte à notre instinct et à notre intuition par manque d’entraînement. L’image du surfeur comme métaphore de la vie me plaît beaucoup : il y a des personnes qui voient la vague comme une menace, et il y a des surfeurs aguerris qui savent lire sa trajectoire et qui se laissent porter par elle.  

J’aspire de plus en plus, en tant qu’acteur, mais aussi en tant que personne, à lire la vie moins en termes idéologiques et à la vivre plus en termes vibratoires. Cela suppose de désapprendre beaucoup de choses qu’on nous a enseignées si mal. 

 

Je me suis dit que Berlin pouvait être un chaman qui, au lieu de cheminer vers la lumière, prendrait le chemin de l’obscurité.


On vous connaît aussi comme le personnage de Berlin dans La Casa de Papel. Lorsque vous avez eu le scénario de La Casa de Papel entre vos mains, soupçonniez-vous que cela allait devenir un succès mondial ?  

Personne ne pouvait s’aventurer à dire que cela allait devenir un tel succès, un phénomène global. Mais il est vrai que lorsque j’ai lu les premières pages du script, j’ai eu un pressentiment. Un éclair d’intuition fort. Je m’en souviens très bien. J’étais dans mon lit, à Mexico. J’étais allé y tourner une série qui s’appelle Diablo Guardián.

Même si le personnage de Berlin est très différent de moi, je suis tout de suite entré en connexion avec le rôle. Une connexion immédiate et très intime. Entre autres choses, à cause de ce qui était en train de m’arriver au Mexique. J’aime profondément le Mexique. C’est un lieu où le surréalisme n’est pas un mouvement culturel. Au Mexique, le surréalisme est dans la rue. Il y a une dimension associée aux tribus anciennes qui a à voir avec le chamanisme et qui m’intéresse beaucoup. J’ai donc fait un transfert entre le chamanisme et le personnage de Berlin. Je connaissais déjà cette énergie là. Je me suis dit que Berlin pouvait être un chaman qui, au lieu de cheminer vers la lumière, prendrait le chemin de l’obscurité.

 

le Libro de Filipo écrit de Pedro Alonso


Vous peignez à quatre mains, Tatiana et vous, et notamment pour le Libro de Filipo. On retrouve cette dimension du chamanisme dans vos peintures.

Absolument. Ce sont des peintures qui paraissent spontanées et qui renvoient en fait à quelque chose d'archaïque : des totems, des icônes d’ordre spirituel en lien avec cette voie du chamanisme qui m’intéresse profondément. Quand je parle de chamanisme, je ne veux pas que tu m’interprètes mal. Qu’il s’agisse de la méditation ou de la peinture, ce que j’essaie de faire, c’est de trouver des moyens pour me brancher avec ce qu’il y a de plus vivant en moi.

 

La seule manière digne de jouer, c’est d'être transparent, honnête et authentique avec soi-même

 

Cela vous sert aussi pour votre métier d’acteur ?

Je suis acteur depuis de nombreuses années et je gagne ma vie grâce à cela. Je profite de ce qui m’arrive de bien professionnellement pour renforcer mes intentions et mes centres d'intérêt, mais surtout pas pour devenir fou en pensant à produire à tout prix ! Je vois ce métier comme un outil supplémentaire d’épanouissement personnel.

Je me rappelle avoir lu une interview de Marlon Brando, dont je suis un fan inconditionnel. Je crois qu’il était un peu las de la vie à cette époque. Dans cette interview, il dit que “tout le monde ment tout le temps, et qu'interpréter, à ses yeux, c’est mentir bien.” Pour moi, c’est justement le contraire. Il y a des personnes qui travaillent, conçoivent l’interprétation à partir de l’imitation. Dans mon cas, la tentative, c’est de trouver quelque chose dans le personnage qui résonne en moi et le faire sortir ensuite à la surface. Il faut enfoncer les portes et se livrer corps et âme à l’énergie. On doit se dépouiller, mettre son âme à nu dans le feu. C’est quelque chose de très déconseillé dans le monde dans lequel on vit, où il faut se déplacer selon les conventions et les intérêts.

Or le chemin de l’acteur est précisément l’inverse : essayer de trouver une ligne de crête sur laquelle grandir - où tu es chaque fois plus relié à ce qui t'arrive et ce qui arrive au personnage. Se mettre dans cette longueur d’onde et lui donner une voix. 

Depuis que je suis ce chemin, qui correspond au moment où je me suis mis à peindre, il y a quatorze ans, une espèce de révolution s’est produite en moi. Cela correspond à un moment de transition personnelle très fort dans ma vie. J’avais besoin de récupérer quelque chose que j’avais perdu. Pour cela, j’ai dû entrer dans les profondeurs de mon être. J’ai dû mettre de la lumière dans les recoins les plus sombres et nettoyer tout cela pour que l’air entre. La seule manière digne de jouer, c’est d'être transparent, honnête et authentique avec soi-même.

 

N’est-ce pas la définition même de l’art, dans sa forme la plus essentielle ? 

C’est pour ça que je te dis que mon travail n’est pas un travail. C’est une façon de vivre ! Le peintre et sculpteur emblématique du XXème siècle, Giacometti, disait : “Je peins pour mieux voir la réalité”. Plus il voyait la réalité, moins ce qu’il faisait était “naturaliste”. À dix-huit ans, il peignait encore d’une manière très académique, mais à partir du moment où il est devenu un grand artiste, sa peinture a cessé de représenter l’apparence des choses et s’est mise à émouvoir beaucoup plus profondément. Je milite dans ce sens. 

D’une manière générale, j’écris, je peins, je joue pour vivre plus pleinement et me laisser porter toujours plus par la vague. Quand tu te laisses pénétrer par ce qui nous entoure, curieusement, tu deviens plus calme, plus fin et plus lucide. Soudain, la vague qui pouvait être une menace commence à te parler. Elle te dit : “Ici, c’est mieux que là-bas”. Elle te guide, elle t’accompagne, et la vie te donne des cadeaux.

 

Entretien réalisé en espagnol et traduit en français par Paul Pierroux-Taranto.

 

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