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L'artiste Serge Helholc expose à la Trentatres Gallery à Valence

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Serge Helholc et Osiris devant la galerie Trentatres
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 30 juin 2020, mis à jour le 25 décembre 2022

Montagnes aux cieux lointains et aux horizons à peine visibles, la peinture de Serge Helholc est un lieu où l’architecture volante définit le regard de l’observateur. Si l’on prend le temps de s’arrêter et de voir, pour peu qu’on le veuille, c’est une main tendue, une invitation à la traversée. On reconnaît un grand artiste à ce qu’il ne déçoit pas les promesses de l’attente. Une brèche, un passage, un couloir se déploie alors sous nos yeux, et - derrière le silence - un paysage nouveau qui resplendit de lumière et nous remplit de joie.  

Nous sommes allés à la rencontre de l’artiste Serge Helholc. Cela a été l’occasion de revenir sur son parcours de peintre, son art, son ancien métier de galeriste, les rencontres d’âme qui ont jalonné sa quête, ces longs mois de confinement. Plus quelques émerveillements à la clef…
 

Paul Pierroux-Taranto : Tu exposes aux mois de juillet et août à la Trentatres Gallery. Comment est née cette idée ? 

Serge Helholc : C’est un couple d’hommes, galeristes et amateurs d’art, qui a ouvert cet endroit à la croisée des chemins de Ruzafa, entre la Calle Sueca et la Calle Puerto Rico. Ils l’ont remis depuis à deux associés. J’ai fait la connaissance de cet espace il y a quatre ans. La démarche des propriétaires de ne pas séparer les maîtres des chiens et de leur donner un endroit de sociabilité m’a d’emblée séduit. C’est un endroit que j’apprécie beaucoup parce qu’on y rencontre des gens libres. Ce sera la première fois que j’y expose. Je devais initialement exposer pour l’événement Russafart qui a été reporté à l'année prochaine. Je serai donc aux mois de juillet et août à la Trentatres Gallery, avec une vingtaine de toiles et de dessins.  

 

"Mon âme a déposé sur mes toiles une lessive intemporelle qui m'a lavé l'esprit et m'a rempli de sens."

 

Parle-nous des toiles que tu vas exposer. 

Ces toiles sont une abstraction lyrique liée à mes émotions musicales. J’essaie d’y garder un lien visible entre l’émotion et la vibration que je traduis par la couleur à travers des paysages imaginaires. 

On a tous cette faculté d’entendre les choses avant de les percevoir. Mais je ne pense pas qu’on puisse canaliser l’observation de la même façon qu’on impose le son à un individu. J’aurais voulu avoir la même audience avec la couleur qu’on peut l'avoir avec le son. C’est un défi. C’est une performance, à chaque moment, d’arriver à faire la synthèse de son émotion dans la peinture pour donner envie à l’autre de l’observer, de chercher. 

 

"La peinture, c’est une discipline intimiste qui n’appartient qu’à quelques privilégiés qui prennent le temps de s’arrêter."

 

Quelle démarche artistique sous-tend ta peinture ? 

Depuis des années, je cherche des réponses sur la perception des émotions, sur la densité de l’amour. La peinture a été mon recueil. Le lieu où je me rends d’une façon plus impudique dans mes sentiments. À travers elle, j’essaie d’expliquer les choses sur lesquelles je ne peux pas mettre de mots. Fondamentalement, je crois que les arts servent à montrer, à produire des sentiments que l’on ne peut pas expliquer. C’est une forme supplémentaire de la vie. Très tôt, j’ai été touché par la danse, la musique, la cuisine et les saveurs, mais c’est dans la peinture que l’éventail de ma liberté est le plus grand. La peinture, c’est aussi le lieu du silence. Le choix t’est laissé de l’apercevoir ou de continuer ta route. C’est une discipline intimiste qui n’appartient qu’à quelques privilégiés qui prennent le temps de s’arrêter.

 

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Tableaux de Serge Helholc


À propos de “prendre le temps de s’arrêter”... Ces derniers mois, en proie à une stupeur planétaire, le monde s’est figé face à ce virus. Comment ton art a traversé le confinement ? 

La plupart des toiles ont été peintes avant et après le confinement. Je ne sais pas encore si j’y percevrai une nuance. Pendant le confinement, je me suis mis au repos. Totalement. Je suis entré dans un questionnement sur ma vie, sur le monde, sur la nécessité de m’exprimer, d’échanger avec les autres. Cela m’a plongé dans une méditation de 85 jours. 

J’ai gardé des contacts écrits et oraux avec mon entourage. J’ai essayé d’être à l’écoute des autres et de moi-même, de comprendre quelle était ma place en tant qu’artiste dans un monde percuté par cette violente décision de survie. Je pense que j’aurai des réponses à toutes ces questions seulement dans les mois à venir.

 

"Face à la toile, on est dans un combat permanent de prendre et de donner."

 

Décris-nous quelques moments d’émerveillement que tu as vécus en peignant. 

Lorsque je n’avais pas la possibilité de partir en voyage, je partais en expédition dans ma propre peinture. L’un des moments les plus forts, c'est quand j’ai peint pendant la naissance de ma fille. 

Un autre grand moment a été cette fusion avec la transcendance du bouddhisme indien. Je me suis retrouvé sur la plage du Kerala, dans un atelier en plein air, face à la mer. Quatre chambres, une terrasse avec des tentes, des voiles, et des toiles tendues sur des fils... Je pense que j’ai touché à l’extase d’un rêve. 

C’était comme si je peignais les voiles d’un bateau. Tous les jours, je tendais des draps. Je peignais sur la plage et les gens s’arrêtaient, venaient manger. Il y avait de la musique. Ma peinture s’est mise à parler avec des êtres. Elle n’a laissé personne indifférent. Elle m’a montré qu’on pouvait peindre en public. Après, plusieurs fois dans ma vie, je me suis mis en vitrine de galerie. J’ai transformé les lieux pour dire, certes, je montre des choses mais avant tout, je vis ici. Chaque instant est différent ! Chaque seconde, je vais rencontrer quelqu’un. Vraiment. Ce ne sera pas un observateur qui va venir voir le travail achevé. Ce sera quelqu’un qui viendra participer avec moi. 

Je pense qu’on est tous des boules d’énergie. Être près de quelqu’un en train de peindre, c’est prendre un risque. C’est accepter d’être traversé et de fusionner avec un lieu dédié à quelque chose de sacré qui n’appartient à aucune autre forme de rituel. C’est une mise en danger. C’est pourquoi j’ai beaucoup d’estime pour les personnes qui ont fréquenté mon atelier. Elles ont accepté d’être dans un espace où il se produit quelque chose d’imprévisible.

 

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Serge Helholc dans son atelier à Valence


 

Comment t’est venu le goût de peindre ? 

Depuis tout petit, comme la plupart des enfants, je dessine. A partir de l’âge de cinq ans, j’ai commencé à écrire de la poésie. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont donné les outils de support et les encouragements pour développer ce sentiment d’inspiration. Durant toute mon enfance, je passais de moments de grande exaltation et d’inspiration à des moments de profonde solitude. 

La peinture m’a ainsi permis de m’exprimer avec quelque chose d’autre que les mots, le quotidien, le toucher et les rencontres. C’est un chemin de côté que l’on peut décider d’emprunter - ou pas. 

J’ai beaucoup travaillé avec des enfants et des adultes en développement personnel, et je sais que cet espace est vivant en chacun de nous. Chacun en a un fragment en lui. C’est ce qui fait que peindre et montrer sa peinture, cela peut avoir du sens. Le tout, c’est de s’arrêter pour peindre, s’en donner le droit, et trouver la force et un certain courage pour continuer à le faire. Les peintres ont la possibilité de vivre leur passion jusqu’au dernier souffle. Monet, par exemple, a peint Les Nymphéas alors qu’il avait des glaucomes et qu’il était déjà à moitié aveugle. 

Tout ce qui va être une pratique quotidienne dans la vie va demander une mise en danger. La peinture, c’est un écran en plus pour regarder ce que la vie nous fait ou ce qu’on lui offre. Un lieu de visibilité supplémentaire de l’existence, de l’âme, et de l’être.

 

"J’ai fait quatre fois les Beaux arts et je n’ai encore rien compris à la peinture."

 

En quoi la peinture est-elle un outil précieux pour laisser libre cours à ta sensibilité d’artiste ? 

J’ai fait quatre fois les Beaux arts et je n’ai encore rien compris à la peinture. J’ai étudié en Italie, à Paris, deux fois en Belgique. Je ne sais encore rien sur la peinture. À chaque période de ma vie, ce chemin s’est manifesté d’une façon différente.

À des moments, j’ai voulu que la peinture soit l’interface de la communication à travers des portraits. J’ai voulu qu'elle soit l’interface d’espaces de perception que moi-même je n’avais pas encore tracés ou dessinés. J’ai voulu qu’elle devienne poésie. J’ai voulu qu’elle soit l’amour. J’ai pu y vouloir tant de choses, et elle a su me livrer tant de sens, que je ne crois pas que j’aurais pu trouver une autre discipline. Je ne crois pas non plus que je l’ai choisie... 

Avoir le droit de transgresser toute forme d’académisme pour produire quelque chose qui s’appartient à lui seul est devenu extrêmement rare dans notre monde. La toile, c’est l’endroit où l’on peut révéler quelque chose à l'absolu ou de son absolu. Je pense que les camps de réfugiés sont les seuls autres endroits où l’on peut trouver cela. Des lieux où des gens sont dans un état de survie tel qu’ils n’ont pas d’autres possibilités que de prendre ou de donner. À chaque instant, prendre et donner est la seule mesure de la dignité qu’il leur reste. Face à la toile, on est dans un combat permanent de prendre et de donner.

 

"Nous sommes dans une culture de l’art qui n’est fréquentée que par très peu d’artisans sincères."



Tu as aussi organisé de nombreuses expositions. Comment vois-tu le monde de l’Art actuel ? 

En plus de mes activités artistiques, j’ai en effet exposé quelques centaines d’artistes pour des expositions européennes et internationales, parce que je me suis fait un devoir de trouver des interlocuteurs. Sur ces centaines d’artistes, j’ai peut-être eu quatre rencontres d’âme.

Nous sommes dans une culture de l’art qui n’est fréquentée que par très peu d’artisans sincères. Elles se comptent sur les doigts d’une main, les personnes avec qui je n’ai pas parlé des clous pour accrocher les toiles de l’exposition, ou des commissions, mais de la couleur, de la lumière, des formes de la pensée et du geste...

J’ai eu la chance de rencontrer ces êtres rares qui vivent leur passion en reclus, comme un sacerdoce qui appartient à la part sacrée de l’existence. Ils m’ont toujours accueilli les mains ouvertes, la pensée libre, et ont alimenté mon esprit de liberté et de conviction. J’ai essayé de faire le plus long chemin de vie avec eux. 

 

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Tableaux de Serge Helholc



Revenons à ces rencontres d’âme. Que t’ont-elles apporté ?   

Dans mon enfance, mes premières influences ont été ma grand-mère qui a fait l’école des Beaux-Arts de Varsovie et qui était une peintre de l’art floral ; et mon oncle, qui est parti avec les premiers bateaux pour la Terre sainte et est devenu le peintre de Haïfa.

À onze ans, j’ai rencontré les gitans de Saintes-Maries-de-la-Mer qui vivaient en dehors de tous les remparts de conscience qui m’avaient été inculqués par mon éducation. Venant d’un milieu très traditionnel, j’ai fusionné avec une communauté absolument différente. J’y ai trouvé une diversité. On m’avait appris à me laver les dents, on m’avait appris à manger. Et là, avec eux, je me suis soudain retrouvé dans l’école du désapprentissage. Il y avait une liberté absolue de toutes les conséquences de l'existence. Les gens mangeaient quand ils avaient envie de manger, et j’avais l’impression qu’ils étaient en conflit avec la société tout entière et ses règles. Le premier à m’avoir sorti du monde de l’enfance, c’est Manolo. Cela a imprégné profondément ma vie de me dire que le monde dans lequel j'évoluais restait somme toute très académique et qu’on pouvait se donner d’autres outils pour son existence. Vivre cette expérience, et la reconduire plusieurs fois dans ma vie, c’est-à-dire retrouver ces êtres partout autour de la terre, a été pour moi une libération. 

Ensuite, je suis allé vers les arts du spectacle, de la scénographie et du théâtre. Cela a été mon ami Thierry Le Luron et les Grosses Têtes, sur Radio France, tous les jours. Rire de la politique. Rire du monde. Rire de tout. 

Puis, ma rencontre avec des grandes galeries : l’Artcurial, Trigano, le Club Méditerranée, etc. Voir que la peinture pouvait devenir aussi une valeur industrielle, un outil publicitaire, cela a été une grande déception. Un grand effraiement. Mais je pense que j’ai traversé tout cela et que j’ai gardé une sincérité, une candeur, une naïveté, même.

Et puis il y a eu Akarova. La rencontre avec un grand maître contemporain. Une femme qui ne revendique pas la gloire, ni la transcendance de l’oeuvre, mais qui revendique la transcendance de l’âme. On connaît peu d’elle. On sait qu’elle a dansé, sculpté, et peint. Cette danseuse étoile, née en 1904, a révolutionné la danse contemporaine en Belgique où elle a commencé à danser pied-nu. Elle a influencé la reine Elisabeth pour les concours royaux de musique, de peinture, de sculpture, et d’art. Elle a été mon réconfort de mes huit ans à mes trente-trois ans. Ma confidente. Mon professeur. Je n’ai jamais cessé de plonger librement vers elle. Elle m’a donné cette immense leçon de ne pas vouloir tout comprendre, d’écouter et de prendre le temps.

À l’époque, je voulais être sûr de mon chemin, de ma réussite. Très vite, elle m’a induit que cela n’avait aucune importance. Elle m’a appris, petit à petit, et elle continue à m’apprendre, que c’est ce que je suis en train de vivre qui a de l’importance, pas où je vais. Cela a été ma deuxième mutation, après les gitans. Cela a changé ma perception du monde.

 

"Tout au long de ma vie, j’ai entretenu ce dialogue entre l’art de la rue et l’art des musées."


Tu as aussi été galeriste.

Oui, il y a eu la Galerie Toison d’or avant d’arriver à Valence. Il y a quatre ans. Cela a été un très grand lieu d’expérimentation. 

J’ai pu, une dernière fois, rassembler les artistes que j’avais connus toute une vie durant et ceux que je découvrais, des nouvelles générations. Cela a été une confrontation moderne avec des artistes vivants.

Evidemment, il y avait un enfer - comme on disait dans les galeries au XIXème siècle - dans lequel j’avais placé des oeuvres qui appartiennent au premier marché, plus international, pour confronter l’art de la rue avec l’art des musées. Tout au long de ma vie, j’ai entretenu ce dialogue entre l’art de la rue et l’art des musées. Parce que l’art des musées a d’abord été un art de la rue. Et être au musée, c’est être déjà mort. Je crois d’ailleurs que je ne serai découvert qu’après ma mort.

 

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Serge Helholc : autoportrait de l'artiste en train de peindre

 

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