Au coeur de La Punta, petit bout de huerta valencienne, une maison jaune se détache du ciel bleu. C’est ici que Cayetano Ripoll, dernière victime de l’Inquisition espagnole, a donné cours aux enfants de Ruzafa. Condamné pour hérésie, cet instituteur et ancien combattant de la guerre d’Indépendance est exécuté en 1826. Son crime ? Avoir enseigné à ses élèves des idées jugées contraires au catholicisme.
Découvrez la fin tragique de Cayetano Ripoll, la dernière victime de l’Inquisition en Espagne.
Cayetano Ripoll, l’intérêt particulier d’un Catalan pour les questions religieuses
Cayetano Ripoll naît en 1778 à Solsona, dans la province catalane de Lleida. Il grandit dans une famille catholique. Fervent croyant dans son enfance, il s’intéresse précocement à l’histoire des religions.
Dès l’adolescence, Cayetano Ripoll parvient à se procurer des ouvrages interdits par l’Eglise espagnole car jugés hérétiques. Ainsi, il construit peu à peu sa propre opinion sur le catholicisme. Engagé en tant que soldat pendant la guerre d’Indépendance, il risque sa vie pour son pays. Il est capturé par l’occupant français et passe plusieurs années en captivité en France. Durant cette période, il fréquente des groupes protestants et des quakers.
Le nom de “quaker” est employé pour désigner les membres de la Société religieuse des Amis, un mouvement religieux formé par des dissidents de l’Eglise anglicane au XVIIe siècle.
Alors que la France est irriguée par les idées des Lumières, Cayetano Ripoll se familiarise en parallèle avec les principes républicains.
Des idées qui dérangent : accusations de déisme et d’affiliation aux valeurs républicaines
À son retour en Espagne, Cayetano Ripoll s’installe en tant qu’enseignant à Ruzafa, une municipalité à l’époque proche de Valencia. Ruzafa s’intègre aujourd’hui au reste de la ville et correspond à l’actuelle zone de La Punta. Rapidement, ses idées vont déranger une frange des habitants.
Ruzafa, le quartier tendance de Valence
La manière d’envisager la religion et le mode de vie de Cayetano Ripoll se rapprochent du déisme. Selon lui, Dieu est créateur de l’univers mais n’intervient pas dans la vie quotidienne et dans les difficultés rencontrées par les humains au cours de leur existence. Ce mode de pensée s’apparente à une pensée hérétique pour l’Eglise en Espagne.
Instituteur, Cayetano Ripoll enseigne aux enfants du village dans la petite maison jaune de la rue principale. Ses enseignements marqueront son arrêt de mort. Destin tragique d’un homme décrit par son entourage comme vertueux et toujours prêt à aider son prochain.
À l’origine du drame : une plainte anonyme écrite par une voisine
En 1824, une voisine rédige une lettre “anonyme” pour dénoncer les méthodes d’enseignement du professeur Cayetano Ripoll. Ce dernier est alors immédiatement arrêté par les Juntas de Fe valenciennes.
Dans la plainte, l’instituteur est notamment accusé de ne pas assister à la messe et de ne pas y emmener ses élèves. Pendant les cours, il est jugé pour avoir remplacé l’expression “Ave Maria” par “Louange à Dieu”. En plein contexte de réaction antilibérale en Espagne, Cayetano Ripoll n’a fait qu’une seule erreur, celle d’enseigner dans un bastion conservateur.
Pendant l’Inquisition, La Punta a connu la violence cléricale et l’intransigeance de l'Église catholique en matière religieuse. Cinquante ans plus tard, certaines pratiques n’ont pas disparu. Si les tribunaux de l’Inquisition n’ont plus d’existence concrète, ils ont été remplacés par les Juntas de Fe valenciennes. Ces juntes sont les dernières incarnations de l’Inquisition. Elles seront abolies en 1834.
Deux années d’incarcération avant le jugement final de Cayetano Ripoll : la peine de mort
Pendant ses deux années d’emprisonnement, les théologiens se succèdent devant la cellule de Cayetano Ripoll. Ils tentent de ramener l’enseignant à la raison. Tous les moyens sont bons pour convaincre Cayetano Ripoll d’embrasser à nouveau le catholicisme.
Longues palabres, leçons moralisatrices, sermons, menaces… Les théologiens s’épuisent face à la posture calme et décidée du Catalan. Au bout de deux ans, le verdict tombe. Le prisonnier est condamné à la pendaison. Sa sentence est prononcée pour le 31 juillet 1826. Ce matin-là, Cayetano Ripoll traverse le centre-ville sous les injures et les lazzis des habitants.
La tradition catholique veut que les hérétiques soient brûlés sur un bûcher. Toutefois, en 1826, cette pratique a été abandonnée par l’Eglise. Le vieux rituel est malgré tout symbolisé par de grandes flammes peintes sur le tonneau dans lequel est transporté le corps de Cayetano Ripoll avant d’être enterré.
Une exécution qui fait toujours scandale
La pendaison de l’enseignant de 48 ans est d’abord ignorée par les médias espagnols. Malgré les tentatives de censure, la nouvelle va faire le tour du pays et de l’Europe et suscite la consternation.
En 1826, la violence du sort de Cayetano Ripoll fait tache dans une Europe progressivement acquise aux idées de la Révolution française. Le roi d’Espagne Ferdinand VII lui-même fait part de son désaccord face à une exécution qu’il n’a jamais autorisée. Un demi-siècle après la fin de l’Inquisition, la mort de Cayetano Ripoll représente la dernière exécution perpétrée par un démembrement des tribunaux inquisitoriaux.