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Jean Bastide : “Dessiner Boule et Bill, c'est à la fois un honneur et un défi”

Si vous êtes amateur de bandes dessinées franco-belges, vous connaissez sans doute les aventures de Boule et Bill, ce duo formé par un petit garçon espiègle et son fidèle cocker. Mais savez-vous qui se cache derrière ces dessins ? Depuis 2016, c’est le dessinateur Jean Bastide qui donne vie à ces personnages connus de tous. A l’occasion de la résidence d’artistes francophones organisée à la casa d’Estiu, nous avons eu le privilège de rencontrer Jean Bastide durant son séjour à Valencia. Interview.

Jean BastideJean Bastide
Écrit par Océane Coulange
Publié le 1 juillet 2024, mis à jour le 1 juillet 2024

La BD franco-belge est une école extrêmement rigoureuse.

 

Le métier de dessinateur de bandes dessinées a-t-il toujours été une évidence pour vous depuis que vous êtes enfant ?

Devenir dessinateur n’était pas forcément un souhait que je portais depuis mon plus jeune âge. En revanche, le dessin et l’envie de raconter des histoires ont toujours fait partie de ma vie. Ce qui me plaît dans le dessin, c’est qu’on peut l'aborder de plusieurs manières. J'aime beaucoup faire jouer les personnages et essayer de trouver la bonne attitude, celle qui fera rire ou sourire. J’ai aussi une motivation technique : comprendre chaque manière de dessiner est un défi stimulant.

Mon ambition de devenir professionnel est née plus tard. J’en ai pris conscience à la fin de mon adolescence, quand j’ai commencé à travailler sur des planches de BD pour le concours de bandes dessinées à Angoulême. Ma professeure d’arts plastiques m’avait encouragé à y participer, et j'ai finalement remporté le concours, ce qui m’a ouvert de nombreuses portes. Cet évènement a été le facteur déclencheur de ma carrière de dessinateur. Il m’a donné confiance en moi et m’a fait voir que cette voie professionnelle était réalisable.

La vision et la confiance que mes parents pouvaient avoir dans cette voie ont aussi changé à la suite de ce concours. Le dessin peut paraître comme une orientation un peu hasardeuse, ce que je comprends maintenant que je suis, moi aussi, parent. Même si mon attrait pour le dessin existe de longue date, la volonté d'en faire ma profession remonte à une période relativement récente à l'échelle de ma vie. 

Jean Bastide



Avez-vous ressenti une certaine pression à l’idée de reprendre le travail de Boule et Bill, après Laurent Verron et Jean Roba ?

Au début, je n'ai pas vraiment ressenti de pression. Elle est apparue plus tard, de manière progressive. Quand j’ai commencé, je connaissais seulement un peu la BD. Mes lectures s'orientaient plus vers Dragon Ball et le Club Dorothée. Cet univers m’était moins familier et j'ai dû apprendre à le découvrir et l'apprécier.

La pression est venue à partir du moment où j'ai commencé à rencontrer des lecteurs de tous les âges. Il y avait des enfants, mais aussi beaucoup d’adultes. Rencontrer des personnes d’une cinquantaine d’années dire “Boule et Bill, c'est toute mon enfance” ne laisse pas indifférent. Je me suis senti investi d’une certaine responsabilité, et c’est à ce moment-là que j’ai compris l'ampleur de ma tâche. Non pas que je n’étais pas appliqué avant, mais ces rencontres m'ont donné envie d’être vraiment à la hauteur des attentes des lecteurs.

 

J’ai mis plusieurs années à vraiment entrer dans l’univers de Boule et Bill, et j’apprends encore tous les jours. À chaque fois, j’essaie de me fixer de nouveaux objectifs.



A-t-il été facile pour vous d’entrer dans l’univers de Boule et Bill et de vous adapter au cahier des charges de celui-ci ?

Cela n’a pas été facile car j'ai reçu une formation plutôt académique et mes précédents travaux étaient dans une veine réaliste. Avec Boule et Bill, c'était la première fois que j'expérimentais le dessin franco-belge. Le plus étonnant est que ce soit mon passé vierge dans cette technique qui m'ait valu d'être sélectionné pour reprendre Boule et Bill. J'ai donc ouvert de vieux albums et je les ai recopiés de manière un peu scolaire. Cela m’a permis d’être plus proche que certains de mes prédécesseurs, qui n'avaient pas réussi à se détacher de leur propre style. Plus mes dessins ressemblaient à ceux de Roba, mieux c’était. Lorsque je regarde mon tout premier album, je constate qu’il a un peu vieilli. Si je pouvais le recommencer, je le ferais. 

Au fil des années, j'ai défini des axes de progression pour chaque album où je me disais : “Tu vas essayer de progresser sur le décor, puis sur ce personnage”. Apprendre cette nouvelle technique a été très difficile, car c'est tout un nouveau vocabulaire. C'est comme si je devais assimiler tout un livre en quelques mois. J’ai mis plusieurs années à vraiment entrer dans l’univers de Boule et Bill, et j’apprends encore tous les jours. À chaque fois, j’essaie de me fixer de nouveaux objectifs.

Tome 43 de boule et Bill



Qu’est-ce que cette expérience de Boule et Bill vous a appris sur votre travail de dessinateur ? 

J'ai commencé ma carrière de dessinateur vers 22 ou 23 ans, en travaillant sur une bande dessinée réaliste appelée "La Guerre des Sambre". C'était mes débuts dans le monde professionnel, et fatalement, j’avais pas mal de lacunes en dessin. Ma particularité était de travailler beaucoup la couleur à travers des clairs-obscurs, et je dirais que j’avais une tendance à enrober et camoufler mes problématiques de dessin. Cependant, en arrivant à la bande dessinée franco-belge avec Boule et Bill, je ne pouvais plus me cacher derrière ces techniques de coloration. Dans Boule et Bill, ce sont des aplats où le dessinateur se met à nu. 

Je prends souvent exemple sur André Franquin et Albert Uderzo, qui sont considérés par le grand public comme des auteurs de BD populaires. Je pense que ces personnes étaient des génies du dessin, et j'en ai pris la mesure quand j’ai commencé à travailler sur ce type de bandes dessinées. Cette expérience m'a fait progresser parce que, justement, la BD franco-belge est une école extrêmement rigoureuse. Aujourd'hui encore, à chaque nouvel album, je découvre un style particulier, tout en étendant ma connaissance du dessin. Chaque manière de dessiner est différente et, petit à petit, j’ai une meilleure compréhension des choses.

 

Le dessin est un travail très subtil, un jeu de perspectives et de compréhension des volumes.


 

Quelle est la plus grosse difficulté que vous avez rencontrée durant votre carrière ? 

La plus grosse difficulté que j’ai rencontrée au cours de ma carrière a été de reprendre Boule et Bill. J’avais cette pseudo-arrogance, qui venait sans doute de mon jeune âge et me laissait penser que mon expérience dans la BD réaliste me faciliterait la tâche pour la BD franco-belge. Au contraire, cette expérience a été un véritable défi, car j'ai été confronté directement à mes lacunes. Le dessin est un travail très subtil, un jeu de perspectives et de compréhension des volumes. Je pense que la plupart des gens savent dessiner, mais ce qui fait la différence, c'est de comprendre ce que l'on dessine. Au départ, ce n’était pas mon cas. Il y avait un côté aléatoire dans mon travail, alors que maintenant, j’y fais attention.

Durant toute ma carrière, j'ai toujours été “repreneur” d'une série ou d’un univers qui n’était pas le mien. Finalement, c’est devenu une sorte de marque de fabrique. Ce que je préfère, c’est ouvrir les albums de différents auteurs pour essayer de comprendre quel matériel ils utilisent et comment ils placent leurs personnages. Travailler en profondeur permet de mieux cerner le travail du dessinateur en question, mais aussi d’enrichir sa propre façon de dessiner. 

Pour l'instant, je ne revendique pas un style personnel, et je ne sais pas si ce sera le cas un jour. Ce n’est pas quelque chose qui me frustre, car c'est vraiment la recherche qui m’anime et me fascine actuellement. Par exemple, ce qui est incroyable chez Franquin ou Uderzo, c'est que la plupart des gens voient que c'est bien dessiné sans comprendre à quel point c'est bien dessiné. C'est comme si l’on avait un microscope de plus en plus précis. À force de plonger dans leur travail, je réalise qu’ils étaient des génies à des profondeurs abyssales !

Jean Bastide

 

Concernant Boule et Bill, avez-vous le projet de transmettre le flambeau à un autre dessinateur un jour ?

Ce n'est pas prévu pour l'instant, mais c'est effectivement une question qui devra se poser un jour. Changer de dessinateur n'est pas simple, et une nouvelle sélection repose sur une longue liste de critères. Le cahier des charges est très précis et trouver quelqu'un capable de s'y conformer n'est pas facile. Pour l’instant, ce n'est pas à l'ordre du jour. J’ai d'autres projets en tête, mais ils ne concernent pas la bande dessinée. J'aime beaucoup de domaines différents, comme les jeux vidéo ou l'animation.

Au fil de mes rencontres, j’ai aussi découvert de nouveaux univers. Aujourd’hui, grâce à Sylvie, je me retrouve à Valencia dans sa casa d'Estiu, et c'est un endroit sympathique pour rencontrer de nouveaux artistes. Je suis aussi allé aux Etats-Unis plusieurs fois et j'ai rencontré des Français expatriés là-bas qui m’ont donné envie de mettre un pied dans le monde de l’animation. Peut-être qu'un jour, je me lancerai dans la réalisation d’un court-métrage. C’est le genre de projet, par exemple, qui me plairait dans les années à venir.

 

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