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Kazuko Fukuda : l’engagement d’une féministe au Japon

Repérée par Lepetitjournal.com à la Nuit De La Lecture 2024 de l’Institut Français pour sa lecture de Tout le monde peut être féminite de Bell Hooks, Kazuko Fukuda nous livre son engagement pour les droits des femmes au Japon.

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Écrit par Valentine Detournay
Publié le 25 mars 2024, mis à jour le 27 mars 2024

 

Féministe depuis dix ans, Kazuko Fukuda décide de se spécialiser dans les SRHR (Santé Sexuelle et Reproductive et Recherche) il y a cinq ans. Née dans l’arrondissement de Shinjuku, elle grandit près de Kabukichô, haut lieu de la prostitution de la capitale. Elle arpente les rues du quartier tous les jours sur le chemin de l’école. Ainsi exposée régulièrement aux interactions rabatteurs/prostituées/clients, elle développe un intérêt particulier pour le milieu de la prostitution au Japon. Sa lecture de journaux intimes de femmes prostituées japonaises ne fera qu’attiser encore plus sa curiosité. 

Intriguée par les avancées sociales de la Suède, Kazuko Fukuda s’envole pour Stockholm en tant qu’étudiante internationale. Ses recherches challengent sa vision des droits en matière de santé sexuelle et reproductive pour les femmes. Ceux-ci lui paraissent soudainement quasi inexistants au Japon. Elle réalise qu’elle a toujours pris pour acquis l’objectivisation des femmes par les hommes. 

Frustrée que le Japon ne soit pas plus avancé dans ce domaine alors qu’il connaît un développement économique considérable, Kazuko Fukuda décide d’agir à son échelle.

 

Votre engagement découle de votre intéret pour la prostitution au Japon. Comment peut-on faire évoluer les choses dans ce domaine?

En tant que femme seule, il est très compliqué d’accéder au marché du travail. Au Japon, le marché de l’emploi est divisé en deux groupes: les “CDI” qui sont majoritairement destinés aux hommes et qui proposent de longues heures d’activité, et les “emplois à mi-temps”, sans support social et régulièrement interrompus qui seront donc plus précaires. Les femmes se retrouvent souvent dans ce genre de poste, plutôt qu’en CDI. Ma mère travaille justement dans cette deuxième catégorie. Elle est très vulnérable....Au Japon, les femmes ont donc des difficultés à gagner suffisamment d’argent pour être indépendantes. Ce système les pousse dans la prostitution. Le problème, c’est qu’on ne peut pas interdire la prostitution du jour au lendemain au Japon pour suivre le modèle de pays comme la Suède. Les femmes n’auraient plus aucune activité professionnelle et ne pourraient plus vivre décemment. C’est exactement ce qu’il s’est passé après la guerre quand le Japon souhaitait s’occidentaliser.

À la fin du XIXème siècle, beaucoup de femmes travaillaient dans d’autres pays asiatiques en tant que prostituées. Elles apportaient de l’argent à leurs parents et donc indirectement au Japon. Au début, le pays célébrait ces femmes qui constituaient une réelle “armée de filles”. Cependant, les pays occidentaux ont beaucoup critiqué cette pratique. Cette polémique a poussé le Japon à changer de camp et à considérer ces femmes comme une honte pour le pays. Elles n’ont jamais pu revenir et se sont retrouvées sans rien… Beaucoup de choses similaires se sont passées après cet événement. Quand le Royaume-Uni a critiqué le Japon pour son trafic d’humains à Yoshiwara par exemple... Dans tous les cas, je pense que toute personne doit avoir le droit à ne pas développer de maladies sexuellement transmissibles et à ne pas tomber enceinte si elle ne le souhaite pas et, bien sûr, à ne pas être agressée sexuellement, quel que soit son domaine professionnel. Pour y parvenir, je pense que nous devons repenser la société japonaise dans son ensemble. Un changement structurel et une transformation des normes sociales doivent avoir lieu. 

 

Vous êtes engagée pour ce changement. Comment le féminisme et son combat sont-ils perçus au Japon?

 

 

Au Japon, les féministes sont vues comme des femmes laides et hystériques qui ne méritent pas d’avoir de petits copains.

Il est attendu des hommes japonais de travailler jusqu’à ce que mort s’en suive pour nourrir leur famille, il est donc logique que de leur côté, ils perçoivent les femmes comme des personnes privilégiées. Ce qui est dingue ! Mais je comprends aussi car de moins en moins d’hommes parviennent à avoir un emploi stable… De nos jours, beaucoup d’hommes pensent qu’on a déjà atteint l’égalité totale. Selon eux, l'engagement des féministes est dépourvu de sens. Tous ces jugements sont donc assez négatifs. Je pense qu’ils découlent d’une mauvaise définition du féminisme. Le féminisme ne signifie pas prendre les droits de quelqu’un d’autre. Et tout ça découle du patriarcat… Si les femmes et les hommes pouvaient lutter ensemble pour créer une société plus égalitaire pour tous, ça serait bien ! 

 

Beaucoup de personnes doivent pointer du doigt vos actions. Quelles sont les critiques que vous recevez?

Les hommes n’ont pas le droit de dire oui ou non aux droits des femmes ! C’est tout. Mais c’est vrai qu’il y a souvent des politiciens hommes qui viennent me voir en me disant: “pourquoi parles-tu de contraception alors qu’on doit avant tout penser aux stratégies pour augmenter le taux de natalité?”. Au Japon, on entend souvent: “s’il vous plaît les femmes faites des enfants!”. Beaucoup de politiciens tiennent des propos qui me semblent insensés. Pour eux, les femmes qui ne donnent pas naissance ne devraient pas avoir le paiement de la retraite. Ils sont convaincus qu’elles devraient être plus gentilles envers les hommes et qu’elles doivent absolument se marier.

 

 

Vous évoquez un encouragement à la reproduction. Comment est l’éducation sexuelle au Japon?

Jusqu’aux années 1990, l’éducation sexuelle était assez progressive au Japon. Mais au début des années 2000, il y a eu un réel retour de flamme de la part des politiciens. Maintenant, les professeurs ne sont pas censés enseigner la contraception aux élèves du premier cycle de l'enseignement secondaire. Ils peuvent parler des préservatifs en tant que prévention contre les maladies sexuellement transmissibles mais pas en tant que moyen contraceptif. Car les élèves ne sont pas supposé avoir des relations sexuelles...  Paradoxalement, l’âge de consentement a été de 13 ans jusqu’à quelques années. Aujourd’hui, il est fixé à seulement 16 ans. Et si la différence d’âge entre les deux personnes ayant un rapport est de 5 ans ou moins, alors 13 ans est toujours l’âge de consentement ! 

À l’école, les professeurs ont donc le droit d’éduquer les élèves sur leur santé reproductive seulement si les parents l’acceptent. Cela veut dire que les élèves ne connaissent pas les implications d’une relation sexuelle… En 2017, un professeur a parlé d’avortement et de contraception dans son école et a été critiqué. En réalité, certains politiciens essaient de se faire entendre sur le sujet mais ils ne font pas partie de la majorité politique. Il est donc très compliqué de progresser dans ce domaine. Il y a deux ans, le gouvernement a mis en place la Japan Life Saving Education, un programme instauré dès l’école maternelle pour parler de l’autonomie positive et du consentement. Ce n’est pas une grande avancée mais c’est mieux que rien.

 

 

Si les enfants n’ont pas accès à l’éducation sexuelle à l’école, où trouvent-ils les informations relatives à ce sujet?

Aujourd’hui, les élèves peuvent de plus en plus accéder à des ressources fiables via Internet. Mais seulement les personnes chanceuses et curieuses; celles qui savent déjà ce qu’elles cherchent; trouvent ces informations. Par ailleurs, il n’y a pas de site officiel proposé par le gouvernement.

De mon côté, je travaille en tant que professeur à l’université de Tokyo. C’est ma troisième année d’enseignement. J’ai seulement un trimestre pour enseigner toute l’éducation sexuelle, et les élèves me disent toujours qu’ils ne savaient rien de tout ça.

 

Vous évoquez votre engagement dans les universités. Êtes-vous particulièrement fière d’une action que vous avez mené dans votre vie?

Je pense à deux accomplissements en particulier. 

Le premier est l’accès à la pilule du lendemain. 

 

 

Pendant cinq ans, je me suis battue avec des gynécologues et des chefs d’ONG. On a fait des pétitions en ligne pour demander la pilule du lendemain dans les pharmacies à un prix abordable. On a reçu environ 176 000 signatures. Au Japon, beaucoup de femmes connaissent de plus en plus l’existence de la pilule du lendemain et veulent l’obtenir mais les gynécologues sont trop loins, refusent de la délivrer; surtout aux mineurs; ou proposent un service trop cher. Quand la demande concerne une mineure, celle-ci a souvent besoin de la permission de ses parents.

Il y a aussi beaucoup de pression sociale, un jugement négatif sur le fait d’être vu chez un gynécologue. Dans la salle d’attente, beaucoup de femmes peuvent te regarder. Les mères n’amènent pas leurs filles chez le gynécologue. Je pense que c’est quelque chose qui arrive partout au Japon. Et si ça arrive à Tokyo, je n’ose même pas imaginer dans le reste du pays. C’est vraiment cruel n’est-ce pas? 

Ce problème était donc une de mes priorités. Et nous sommes parvenus à cet objectif ! Maintenant, les pilules du lendemain sont vendues en pharmacie. Mais seulement 150 pharmacies dans tout le Japon proposent ce service… À Tokyo, il y en a seulement 5. Et elles ne sont même pas localisées dans le centre. Par ailleurs, si tu as en dessous de 15 ans tu ne peux pas en obtenir. Si tu as 16 ans ou 17 ans, tu dois amener tes parents avec toi. Et cela coûte toujours 7000 yens… Cette “avancée” laisse penser au grand public japonais qu’il y a eu un grand changement alors qu’en réalité ce n’est vraiment pas grand chose.

Comme deuxième accomplissement je peux vous parler de mon action pendant les Jeux Olympiques.

Est-ce que vous vous souvenez de Yoshiro Mori, le chef de l’Institution des Jeux Olympiques qui a fait une remarque sexiste? Selon lui, « les conseils d’administration avec beaucoup de femmes prennent trop de temps » car elles ont, de son point de vue, « du mal à finir » leurs interventions. Avec deux autres jeunes féministes, nous avons créé une pétition en ligne. Les 150 000 signatures collectées ont conduit à la démission de Yoshiro Mori. Aujourd’hui, il a toujours du pouvoir en tant qu’ancien Premier Ministre, mais je pense qu’il était nécessaire que l’on agisse.

 

 

Cette affaire a d’ailleurs eu un impact à l’international. Avez-vous mené certaines actions avec des activistes internationales?

Oui. L’année dernière, j’étais co-présidente pour le Women 7 pendant le Sommet du G7. J’ai travaillé avec environ 100 activistes et experts du monde entier. On était séparé en cinq groupes (SRHR, justice économique…). On a formulé diverses recommandations qui ont été ensuite transmises aux pays du G7 et au premier ministre Kishida. 

 

L’année dernière, le Japon était aussi soumis à l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unis. On a eu 300 recommandations d'autres pays pour améliorer les droits humains au Japon. Un tiers concernait l’égalité de genre. Beaucoup de pays, dont la France, ont pointé le manque d’éducation sexuelle au Japon. Mais parmi toutes ces recommandations, le gouvernement japonais a seulement accepté de travailler sur l’accès à la contraception. Les autres propositions, concernant notamment l’avortement sécurisé et l’éducation sexuelle, ont été rejetées. Ce qui est triste…

Toutes ces petites avancées sont extraordinaires pour moi. Mais elles constituent souvent ce que j’appelle un effet “feux d'artifice”. Les choses bougent d’un coup, mais par la suite, tout disparaît. Je me suis rendue compte à force que ce n’était pas suffisant pour faire évoluer la situation sur le long terme.

 

Avez-vous l’ambition de développer des projets qui pourraient avoir des impacts à plus long terme?

J’ai créé un nouveau projet avec deux autres féministes: le FIFTYS PROJECT. Notre objectif est d’obtenir l’égalité numérique au congrès local. Au Japon, il y a 300 000 politiciens locaux et, parmi eux, environ 15 femmes ont la vingtaine. C’est donc quasiment impossible pour elles de se faire entendre sur tous les sujets. Seules les femmes qui ont de l’expérience dans la politique locale ou viennent de grandes familles peuvent faire de la politique nationale. 

L’objectif de notre projet est donc de soutenir les personnes sans moyens ou peu connues dans le domaine qui voudraient faire campagne. Au printemps dernier, 23 nouvelles politiciennes se sont présentées pour les élections locales !



Un grand merci à Kazuko Fukuda pour le temps qu’elle nous a accordé ! Si vous souhaitez en savoir plus sur le FIFTYS PROJECT, n’hésitez pas à consulter le site internet du projet: https://www.fiftysproject.com/

 

 

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