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Provoke, rébellion par l’image

“Aujourd'hui, alors que les mots ont perdu leur base matérielle, c'est-à-dire leur réalité, et semblent suspendus dans l'air, l'œil d'un photographe peut saisir des fragments de réalité qui ne peuvent être exprimés tels quels dans le langage.” Cette phrase, écrite dans le manifeste du premier volume de la revue Provoke en 1968, reflète l’intention du mouvement photographique du même nom: Provoke. Sa raison de vivre? La volonté de remise en question des conventions de la photographie dans le contexte d'une agitation sociale et politique de grande ampleur au Japon. Constitué des photographes expérimentaux Yutaka Takanashi, Takuma Nakahira et Daido Moriyama, du critique Koji Taki et de l'écrivain Takahiko Okada, ce courant avant-gardiste a eu un impact sur la photographie, aussi bien au Japon qu’à l'étranger. Si le groupe s’est dissout peu après la publication du troisième volume en août 1969, son influence est restée la même aujourd’hui.

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Écrit par Valentine Detournay
Publié le 15 mars 2024, mis à jour le 22 mars 2024

Un mouvement politique

Provoke est né du bouleversement sociétal auquel le Japon fait face en 1968. Les nouvelles politiques gouvernementales de l’après-guerre remettent en cause les valeurs traditionnelles du pays et changent radicalement sa structure sociale. C’est l’occidentalisation de la culture japonaise…

Le sentiment de restriction des libertés fondamentales et la perte de confiance dans le gouvernement en place rassemblent de nombreux étudiants et ouvriers autour de groupes de protestation appelés Zengakuren.

Volume 1 de la revue Provoke
Volume 1 de la revue Provoke

Si Yutaka Takanashi et Takuma Nakahira se sont retrouvés dans leur opposition à la guerre du Viêt Nam, Provoke est apparu plutôt comme une forme de revendication générale. 

Aucun sujet politique spécifique n’était reconnaissable. L’ambition de ses membres était surtout d’utiliser la photographie pour repenser le Japon contemporain dans sa globalité. En questionnant les codes de la photographie, les artistes pouvaient provoquer un débat démocratique large. 

Oeuvre de Daido Moriyama
Photographie de Daido Moriyama

 

Are, Bure, Boke, une esthétique nouvelle

 Les photographes du mouvement Provoke se sont associés pour leur esthétique commune, plus tard appelée Are, Bure, Boke ("Granuleux, Brutal, Flou"). 

L’expérimentation, la fragmentation, le hasard, le conceptualisme, le mouvement, le contraste… tous ces aspects caractérisent le processus photographique de Provoke. Le manque de précision, l'échec des tirages et l’absence de viseur tendent à dévoiler au mieux la réalité que chacun expérimente et à capturer la forme du monde qui échappe à l'Homme.

Art ou documentation? Le mouvement souhaitait justement brouiller les lignes entre la photographie, la documentation et l'art. Nakahira Takuma évoquait précisemment un “language to come”: un nouveau langage visuel pour “parler” le monde et décrire sa propre expérience, d’une manière que l’écriture ne pouvait même pas envisager. 

La mission de Provoke n’était donc ni l’objectivité, ni le scientifique mais l’expression du vécu et l’émotionnel. Qu’est-ce que voir?

Les photographes du mouvement se sont accordés sur l’importance de la marge d’erreur dans la photographie de rue et du rôle de l’individu plutôt que de la perception du collectif. Cependant, certaines différences s'observent entre les artistes et chaque photographe offre aussi des styles très divers.

Oeuvre de Yutaka Takanashi
Photographie de Yutaka Takanashi

 

Provoquer le monde  

Le nouveau code visuel envisagé par Provoke s’opposait à la propagande faite par les japonais sur l’importance de la précision et au photojournalisme eurocentrique. Avec eux, la photographie n’était plus une simple image à l’élégance formelle, à la technique pure et au style documentaire populaire. 

Dans un premier temps, ce goût pour l’absence de réflexion apparente et de réalisme a été perçu comme très violent au Japon. La complexité proposée par le groupe était aussi difficilement comprise par les photographes étrangers. D’autant plus qu’elle ne constituait pas un progrès technique en soi…

Cependant, des expositions de photographies japonaises organisées en dehors du Japon ont intrigué des photographes du monde entier. Une fascination particulière s’est développée pour ce point de vue alternatif sur la période de l’après-guerre alors que celle-ci avait toujours été américaine et européenne. Par ailleurs, l’édition proposée par Provoke à travers la publication des photographies dans ses magazines est apparue comme inédite. 

En réalité, les limites de la photographie semblaient davantage repoussées au Japon que dans les autres pays.

Mais n’oublions pas que les influences étaient réciproques. Si la photographie japonaise s'est émancipée, c’est aussi le résultat d’influences occidentales. William Klein était un photographe américain basé en France très apprécié des japonais. De leurs côtés, les artistes et littéraires français Albert Camus, Roland Barthes ou encore Jean-Luc Godard ont aussi été des sources d’inspiration importantes pour le collectif d’un point de vue intellectuel.

Oeuvre de Takuma Nakahira
Photographie de Takuma Nakahira


Vous souhaitez connaître mieux le mouvement Provoke ? Certaines œuvres de Nakahira Takuma sont exposées au National Museum of Modern Art Tokyo jusqu’au 7 Avril 2024 !


 


 

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