Il y a un sourire, là, immobile dans le temps, destiné à ne jamais disparaitre. Un sourire magique qui illumine les cœurs de tous ceux qui l’ont aimé, apprécié, estimé. Dramaturge, acteur, metteur en scène, chanteur, directeur artistique, doubleur, poète dialectal et passionné de musique, Gigi Proietti est mort le 2 novembre 2020, jour de son 80e anniversaire.
Né le 2 novembre 1940, Gigi Proietti passe son enfance dans le quartier de Tufello. Tandis qu’il étudie à l’université, il fait son entrée dans le monde du théâtre expérimental. A me gli occhi please, Cavalli di Battaglia, Febbre da Cavallo, Il Maresciallo Rocca, et Una pallottola nel cuore ne son que quelques-uns des inoubliables succès qui ont parsemé la carrière Gigi Proietti. Artiste touche-à-tout, il se produit aussi bien au théâtre, qu’au cinéma et à la télévision. En 1970, il obtient un grand succès Alleluja brava gente.
Peu de temps après la sortie de son autobiographie intitulée Somme toute et de l’ouvrage Decamerino, Gigi Proietti se lance dans un nouveau projet de roman. Cependant, celui-ci demeura inachevé. Terminé et revisité par son épouse, Sagitta Alter et ses filles, Carlotta et Susanna, ‘Ndo cojo cojo est le dernier cadeau d’un maître qui bien que disparu, habitera éternellement dans le cœur des Italiens.
Dans ce livre publié chez Rizzoli, on trouve environ quatre-vingts sonnets en romanesco, rédigés entre 1997 et 2020. On y découvre aussi des récits amusants, comme les aventures d’Er Ciofeca, ainsi qu’une quinzaine de poèmes, des réflexions personnelles et de magnifiques dessins – passion que l’acteur partageait avec sa fille Susanna. Véritable écrin d’amour éternel, ‘Ndo cojo cojo renferme en lui une myriade d’émotions et de rires, c’est un hymne à la romanité et à la vie.
LPRome : Comment l’aventure ‘Ndo cojo cojo a-t-elle commencé ?
CP : Notre père avait commencé à écrire un roman, malheureusement il n’a pas pu l’achever. Nous avions cette perle entre les mains, tandis qu’autour de nous régnait une confusion générale… Alors, après réflexion, il nous a semblé juste de le publier mais aussi de compléter son travail avec ses sonnets. En recherchant ce qui avait déjà été publié, nous avons aussi découvert des écrits inédits et choisi ce qui nous semblait le plus juste et qui reflétait davantage sa pensée et son style. « Aventure » est le mot juste ! ‘Ndo cojo cojo nous a entraîné dans une véritable chasse au trésor au cours de laquelle nous avons pu découvrir certains de ses dessins ainsi que des caricatures que nous avons décidé d’ajouter dans le livre.
LPRome : Comment rendre hommage à « papà Gigi » ?
CP : Le meilleur moyen est d’essayer de ne pas oublier ce qui a toujours caractérisé la construction de ses spectacles, c’est-à-dire, sa capacité à opérer un grand mélange des genres, des styles. Mon père mêlait avec adresse la poésie toujours avec une attitude de « jeu », au sens le plus noble du terme je veux dire. « ‘Ndo cojo cojo » pour les non-romains, est une façon de dire : « où vous obtenez, vous prenez bien », presque comme dans un choix aléatoire…mais dans son cas, il y avait toujours travaillé de façon maniaque à assembler ses numéros pour composer un spectacle. Nous avons essayé de faire de même avec ce livre.
LPRome : Le livre est accompagné par les magnifiques dessins de Susanna. Pourquoi Gigi voulait-il donner un visage aux personnages de son livre ?
CP : Il avait exprimé ce désir probablement parce qu’il a toujours aimé les dessins de Susanna. Ma sœur a un style très marqué, un peu naïf, personnel et plein d’ironie. Il croyait qu’elle serait la personne idéale pour donner vie aux personnages de son roman.
LPRome : Quel sentiment prévaut dans ‘Ndo Cojo Cojo?
CP : Dans les livres, je crois que la figure de mon père prévaut, une personnalité si forte et unique qui s’explique par elle- même. Je souris en écrivant cette phrase et je peux dire que pour notre part, le sentiment dominant est une sorte de douce mélancolie, assaisonnée d’un sentiment de devoir en voulant préserver la mémoire d’un père un peu spécial, qui était un avec son travail d’acteur, metteur en scène, homme de théâtre à la grande créativité. Je considère comme une grande chance de pouvoir « dire » à travers ce livre, qu’il avait toujours une pensée pour son public.
LPRome : Quel message contient cet ouvrage ?
CP : Gigi n’a jamais eu la prétention de communiquer un message en particulier. Il préférait plutôt parler de « climat », c’est-à-dire la condition dans laquelle on réussit avec maestria à susciter des sensations très différentes les unes des autres, à faire rire, pleurer, réfléchir… Je pense que c’est ce que ‘Ndo Cojo Cojo provoque en celui qui le lit.
LPRome : Les personnages du roman sont nés de son imagination et rappellent « La Roma di un tempo ». Combien de « Gigi » y a-t-il dans les protagonistes de ses contes ?
CP : « La Rome d’autrefois … » voilà une époque qui me parait aujourd’hui bien loin. Je le dis sans regret, plutôt avec curiosité. J’ai toujours entendu parler de cette Rome habitée des mêmes vieux problèmes, mais où il existait une naïveté qui, je crois, nous fait aujourd’hui cruellement défaut. En ce sens je vois différentes facettes de ce « Gigi » dont j’ai entendu parler tant de fois dans les ses anecdotes de jeunesse, de son enfance, sur la Rome d’après-guerre… Des histoires de famille évoquant aussi bien son père Romano, que sa mère Jeanne et sa sœur Anna.
LPRome : Dans les sonnets romanesques, votre père aborde plusieurs thématiques. Il rend hommage à sa ville, à son théâtre ainsi qu’à son monde. Quelle leçon selon vous devrions-nous tirer de ces poèmes ?
CP : Comme je l’ai déjà dit auparavant, mon père n’a jamais eu la prétention de « faire passer un quelconque message ». D’après moi, ses écrits étaient investis d’une certaine « urgence » le désir immédiat d’exprimer un point de vue, au travers de la poésie, sous forme de sonnets en romanesco. La poésie était sans doute un moyen pour lui d’alléger sa pensée tout en restant dans la sphère de l’ironie, sans prétention, mais avec l’intention de faire réfléchir, peut- être avec le sourire.
LPRome : Qu’est-ce qu’était la Rome de Gigi Proietti ?
CP : Il a toujours aimé beaucoup sa ville. Il s’est toujours efforcé de faire tout ce qu’il pouvait pour ses citoyens, notamment en ouvrant des théâtres et en pensant à des initiatives toujours plus novatrices et originales. Quand je pense au Silvano Toti Globe Theatre et à la façon dont il s’est battu en tant que directeur artistique, pendant 17 ans, afin que le public puisse s’approprier ce lieu je me sens vraiment fière. En définitive, la Rome de Proietti est la Rome de tous ceux qui portent notre ville dans leur cœur.