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Entretenir la mémoire de la Shoah en Italie, le défi de la Culture

"La vita davanti a sé" de Edoardo Ponti"La vita davanti a sé" de Edoardo Ponti
La vita davanti a sé/La Vie devant soi d'Edoardo Ponti (2020)
Écrit par Anaïs Lucien-Belliard
Publié le 26 novembre 2021, mis à jour le 28 novembre 2021

La vie devant soi d’Edoardo Ponti, mettant en scène Sofia Lauren dans le rôle de Madame Rosa, une ancienne prostituée juive, survivante des camps Nazis, est sans doute le plus récent exemple d’une mémoire de la Shoah résistant péniblement au passage du temps, et à l’ignorance des nouvelles générations en Italie. L’instrumentalisation décomplexée de l’Holocauste lors de manifestations anti pass-sanitaire, les « constantes comparaisons avec des thèmes liés à l’actualité – comme le racisme, l’immigration » ou « l’homosexualité », révèlent les lacunes historiques criblant la compréhension de ce pan de plus en plus négligé de l’Histoire. Pour y remédier, la littérature, le cinéma et l’art italien, travaillent à renouveler un imaginaire de la Shoah envahi par l’oubli.

 

 

Les persécutions fascistes, puis Nazis entre 1938 et 1945 ont conduit à la déportation de 6 800 juifs, dont 5 970 sont morts en captivité. En 1945, le nombre d’Italiens de confession juive ne s’élevaient plus qu’à 27 000, alors qu’ils étaient au nombre de 46 500 à l’aube de la guerre.

 

L’influence de la Shoah sur la production culturelle italienne

Depuis plus d’une vingtaine d’années, les politiques mémorielles sur la Shoah ont pris un nouveau tournant grâce à la mise en place de journées ou semaines commémoratives, mais aussi à l’introduction d’initiatives culturelles et artistiques protéiformes. Investissant la « sphère publique et ses différents espaces » selon les mots d’Andrea Minuz, dans son ouvrage Le cinéma italien et la Shoah, l’entretien de cette mémoire influence de plus en plus la production culturelle italienne. N’ayant plus le monopole de la culture visuelle, le cinéma a cédé le pas à divers médiums d’expression et permis le renouvellement de « l’imaginaire de la Shoah ».

 

L’Holocauste, un outil de contextualisation dans la télévision et le cinéma italien

Puisant largement dans l’imaginaire médiatique plutôt que dans l’historiographie, peu sont les films italiens évoquant l’Holocauste de manière aussi frontal que La vie est belle de Roberto Benigni. Outil de contextualisation historique à l’image du Freaks out de Gabriele Mainetti,  ou « figure rhétorico-politique », ces productions sont encore trop souvent uniquement des écrans sur lesquels se déploie le récit Résistant.

 

La vie est belle, le film
La vie est belle de Roberto Benigni (1997)

 

La vie est belle, le film

 

D’un autre côté, de plus en plus de réalisateurs tentent de prendre leurs distances avec le discours traditionnel de l’imaginaire de l’Holocauste, véhiculé par les médias, en ramenant « le discours public sur la Shoah vers la dimension fictionnelle et mélodramatique ». On peut penser par exemple, à la minisérie d’Alberto Negrin, Perlasca - Un eroe italiano, mais aussi à la magnifique adaptation de Vittorio de Sica du roman de Giorgio Bassani, Le Jardin des Finzi-Contini ; deux œuvres qui prennent toutes deux à bras le corps l’histoire de la déportation juive.

 

Perlasca - Un eroe italiano,

 

Plus récemment, La Vie devant soi d'Edoardo Ponti est venu s'ajouter à la liste d'œuvres cinématographiques italiennes remettant au premier plan une mémoire de l'Holocauste, encore bien vive dans de nombreuses familles italiennes. Inspiré du roman de Romain Gary, le long-métrage d’Edoardo Ponti narre l’histoire Momo (Ibrahima Gueye), un jeune orphelin d’origine sénégalaise qui n’a d’autres choix que d’aller apprendre la discipline, pendant quelque temps, auprès de Madame Rosa, une ancienne prostituée juive. Il s’agit de la troisième adaptation de l’ouvrage de Gary, la première ayant été réalisée par Moshe Mizrahi, avec Simone Signoret dans le rôle de Madame Rosa. 

 

La Vie devant soi d'Edoardo Ponti

 

La Vie devant soi d'Edoardo Ponti

 

La Vie devant soi d'Edoardo Ponti

 

Littérature de la douleur : témoignages et récits salvateurs

Les récits de la déportation des Juifs en Italie et ailleurs, prirent dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, « deux formes bien définies », à savoir celle de la fiction narrative d’une part, et du témoignage de l’autre. Le témoignage, invention littéraire du vingtième siècle, a par ailleurs longtemps bénéficié d’une certaine supériorité « à la fois sur le plan chronologique et sur le plan éthique, par rapport à la seconde forme textuelle et narrative ». À la fois « pôles opposés » et « points nodaux », d’après Robert S. C. Gordon, les deux genres se sont construits l’un en face de l’autre, tout en remettant en cause la capacité de l’un et de l’autre à aborder la question de l’Holocauste avec fidélité et authenticité. 

 

Si c’est un homme la puissance du témoignage

Évoquer le sort des Juifs italiens sous l’occupation nazie, sans mentionner l’œuvre dure, troublante et magistrale du chimiste et écrivain Primo Levi, Se questo è un uomo, serait une offense. Fenêtre ouverte sur l’horreur et l’inhumanité de la « solution finale » imaginée par Adolf Hitler, il s’agit sans doute de l’un des plus grands ouvrages du vingtième siècle et l’un des témoignages autobiographiques les plus poignants de la réalité des camps nazis, vu par un Juif italien.

 

Si c’est un homme
Photo : La Solution finale - train de l'Holocauste / Biagio Carrubba

 

 « Ils sont encore parmi nous » Primo Levi, NON à l’oubli

Publié chez Actes Sud junior, l’ouvrage de Daniele Aristarco et de Stéphanie Vailati, Primo Levi, NON à l’oubli, est un court roman historique écrit avec finesse et s’adressant à une jeunesse occidentale, pour qui la dernière guerre n’est qu’un vague et distant souvenir. Aventure troublante au cœur du silence et du désir de comprendre le passé, ce récit touchant permet aux plus jeunes de se familiariser avec l’histoire de la Shoah.

 

Primo Levi, NON à l’oubli

 

 

Faire vivre la Shoah dans la mémoire visuelle urbaine. Les pierres d’achoppements

Impossible de les manquer, on les trouve partout dans le centre historique de la Ville Éternelle : les « Stolpersteine ». Réalisées par l’artiste allemand Gunter Demnig, afin de perpétuer la mémoire des victimes de l’Holocauste et du massacre des Fosses Ardéatines, à Rome, les pierres d’achoppement luttent au quotidien contre l’oubli et le négationnisme dans les rues italiennes, et plus largement, dans toute l’Europe depuis 1995.

 

Stolpersteine
Photo : Gunter Demnig posant des | Stolpersteine « Une personne est oubliée seulement lorsque son nom a été oublié »

 

Faites-en laiton, un alliage inoxydable, ces plaques recouvrent les cubes des pavés romains depuis 2012. Il en existe plus 336 disséminées dans Rome, et comme leur nom l’indique, elles sont, pour le passant romain ou de passage ; une occasion de chute. Non pas pour tomber, mais pour s’arrêter, se poser, penser, se recueillir devant un nom, une date, un hommage.

 

50.000ème pierre d’achoppement
Photo : 50.000ème pierre d’achoppement, posée en janvier 2015 à Turin

 

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