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La spiritualité en Equateur, entre fantasmes et réalités

Si le tourisme en Amérique latine ne cesse de gagner en croissance pour de nombreuses raisons, l’attrait spirituel que sous-tend ce continent pour les étrangers n’est pas en reste - avec les stéréotypes et la part de fantasme que contient en germe ce genre de représentations. En Equateur également, il existe de nombreuses croyances et traditions spirituelles héritées des temps précolombiens. Voici quelques-unes des traditions parmi les plus connues qui contribuent au développement d’un tourisme spirituel dans le pays.

© El Tribuno© El Tribuno
Écrit par Ida Gourlaouen
Publié le 27 avril 2024, mis à jour le 2 mai 2024

Pachamama et Sumak Kawsay 

Un héritage spirituel

Que vous alliez en Equateur ou dans un autre pays d’Amérique latine, vous entendrez sûrement dire qu’il est bon de se reconnecter à la Pachamama… Cette expression idiomatique issue des cosmogonies autochtones andines et signifiant “Terre-Mère” est, en effet, entrée dans le langage courant des Equatorien·ne·s, y compris de celles et ceux qui ne sont pas originaires de communautés. La Pachamama renvoie à une forme de divinité recouvrant l’univers comme ensemble harmonieux et holistique, et généralement associée à la figure de la nature. 

 

La Constitution équatorienne de 2008

Le concept de Pachamama a été inscrit comme sujet de droit en 2008 dans la nouvelle Constitution de l’Equateur. Celle-ci est la première au monde à reconnaître des droits juridiques à la nature - sans que ces droits soient toujours bien respectés, étant donné la dépendance économique du pays à l’extractivisme de ressources naturelles.

De même, le concept holistique de sumak kawsay, traduit en espagnol par buen vivir (bien vivre) et issu des cultures autochtones, a été placé au cœur de la Constitution équatorienne par l’ancien président Rafael Correa ; ce concept en lien étroit avec celui de Pachamama renvoie à l’idée d’un respect mutuel et harmonieux entre les humains et la terre nourricière.  De ce fait, ces innovations constitutionnelles visaient à entériner le passage d’un Etat-nation à un Etat plurinational et pluriculturel (que l’on peine à voir émerger aujourd’hui dans un contexte d’augmentation de la criminalité en lien avec le narcotrafic et le renforcement des pouvoirs régaliens de l’Etat). 

 

Rafael Correa, ex-président de l'Equateur
Rafael Correa, président de l'Equateur (2007-2017) sous lequel a été approuvée la Constitution de 2008.

 

Militantismes et spiritualité 

Aujourd’hui, de nombreuses luttes sociales en Equateur - féministes, écologistes, autochtones… - s’appuient sur la Pachamama à la fois comme revendication et comme facteur de légitimité. Dans un vocabulaire davantage militant et dans une visée décoloniale, certain·e·s (en particulier parmi les communautés) qualifient par ailleurs l’Amérique latine d’Abya Yala, ce qui signifie “terre de pleine maturité”, “terre vive”.

A partir de la revisite contemporaine de concepts ancestraux tels que ceux de la pachamama et du sumak kawsay, certains discours parviennent ainsi à une critique prononcée de l’idéologie du progrès et de la modernité occidentale. 

 

Manifestations indigènes en Equateur, 2019
Manifestation autochtone en 2019, au moment du "Paro" © Indymedia Ecuador

 

Les cérémonies spirituelles en Equateur

Comme dans de nombreuses parties du monde, le tourisme spirituel n’a de cesse de gagner en popularité en Amérique latine comme une alternative au tourisme de masse. Néanmoins, les cérémonies spirituelles auxquelles peuvent participer les touristes moyennant des sommes parfois élevées relèvent également d’une réalité bien concrète et parfois prégnante au quotidien pour certain·e·s Equatorien·ne·s, en lien avec certaines cosmovisions souvent fantasmées, telles que celles de la Pachamama. 

 

Le Temazcal

Le Temazcal est une tradition amérindienne originaire du Mexique que l’on retrouve dans de nombreux autres pays d’Amérique latine, dont l’Equateur. Si elle a une forte prégnance traditionnelle auprès de certaines communautés ou d’Equatorien·ne·s intéressés par la spiritualité, de plus en plus de touristes et d’étrangers sont prêts à payer plusieurs dizaines de dollars pour en faire l’expérience auprès d’un chaman.

En langue nahuatl - la langue amérindienne la plus parlée au Mexique - temazcal signifie “maison de pierres chaudes”. De fait, la cérémonie a lieu dans une espèce de hutte de sudation, généralement en forme d’igloo, au sein de laquelle de l’eau est jetée sur des pierres chaudes et des herbes médicinales, générant un phénomène de vapeur. Des chants accompagnent souvent la cérémonie.

 

Temazcal au Mexique
Temazcal au Mexique © Steven Zwerink

 

D’une forte teneur spirituelle, ce processus vise à purifier le corps comme l’esprit par un phénomène de sudation - non sans rappeler les saunas, les hammams, ou dans une lignée plus équatorienne les thermes de Papallacta… En plus de sa dimension spirituelle, le temazcal peut également avoir une visée curative. Parmi ses bienfaits, le temazcal aide à la circulation du sang et élimine les toxines.

De par sa forme circulaire, le temazcal symboliserait le ventre de la terre-mère (Pachamama) ou le centre de la terre, la cérémonie invitant donc les participant·e·s à se reconnecter à leur propre centre. Les pierres volcaniques font d’ailleurs leur entrée dans le temazcal en quatre tours qualifiés de “portes”, chacune d’elles rendant honneur à l’un des quatre éléments (l’air, l’eau, le feu et la terre). 

 

L’Ayahuasca

L’ayahusca fait partie de ces rituels de “limpieza” (littéralement, “nettoyage”) à visée purificatrice que l’on trouve en Equateur et dans d’autres pays d’Amérique latine. Il s’agit d’une drogue prise sous la forme d’une boisson, concoctée par des chamans autochtones à partir de la liane amazonienne du même nom et d’une plante appelée chacruna, aux effets psychotropes.

De nombreux voyageurs en font aujourd’hui l’expérience au cours de leur itinéraire en Amérique latine, prenant part à un tourisme à la fois communautaire et chamanique, mais cette pratique relève à l’origine d’un rituel spirituel et curatif autochtone visant à guérir les maux physiques comme psychologiques. Une diète est demandée à celles et ceux qui prennent l’ayahuasca, d’une durée variable selon les communautés au sein desquelles est pris le breuvage.

 

Ayahuasca
Ayahuasca © Wikipedia

Celles et ceux qui en font l’expérience sont d’abord purifiés par le chaman avec de l’encens ou de la fumée, avant d’avaler l’ayahuasca et de réaliser une expérience introspective - qui s’accompagne bien souvent de nausées et de vomissements. Il est généralement conseillé de ne pas simplement prendre l’ayahuasca de façon récréative mais dans le but de réaliser un travail personnel sur soi, afin de surmonter des peurs, des addictions ou encore des émotions négatives. Parmi les effets psychédéliques de l’ayahusca, on peut notamment citer les hallucinations et les modifications de la perception. Au réveil, le lendemain, le chaman fouette les participant·e·s à la cérémonie à l’aide de feuilles d’orties, pour achever le processus (alors douloureux) de purification, tant physique que mental. 

La consommation d’ayahuasca par des voyageurs de passage intéressés par la dimension mystique du rituel crée certaines dérives, avec des arnaques venues de charlatans et le dévoiement d’un rite traditionnel. Mais certains arguent aussi que ce tourisme chamanique occidental a permis de redonner vie à une pratique ancestrale qui était en passe de disparaître.

Entre représentations fantasmées et réalités, il y a donc parfois bien des écarts, les premières faisant néanmoins parfois évoluer les secondes (notamment par le biais de l'essor du tourisme spirituel et chamanique qui transforme les rites traditionnels autochtones).

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