Anticiper la transmission de son patrimoine est une étape essentielle à tout projet d’expatriation. En tant que non-résident, il est donc important de veiller à prendre les dispositions testamentaires les plus adaptées à sa situation. Me Frédéric Varin, notaire, nous éclaire sur le sujet.
Lepetitjournal.com : Pourquoi est-il important d’établir un testament dans le cadre d’une succession internationale ?
Mr Frédéric Varin : Il faut savoir que la mobilité accrue des personnes crée des situations patrimoniales de plus en plus complexes. La nationalité, la résidence habituelle, le lieu de situation et la nature des biens que possède un non-résident sont autant d'éléments qui, en présence d'une situation internationale, suscitent d'innombrables questions. Toutes ces questions se révèlent cruciales. En effet, nous constatons souvent que de nombreuses situations internationales n'ont pas été anticipées, et aboutissent à des résultats non souhaités et inattendus, tant sur le plan civil que sur le plan fiscal. L'actualité récente avec le décès et la succession de Johnny Hallyday est un exemple parmi tant d'autres. Rédiger un testament peut alors être un bon moyen d'anticiper une succession internationale.
Lepetitjournal.com : En tant qu’expatrié français, comment et où rédiger son testament ?
Afin de définir le choix du pays où rédiger son testament, il faut tout d’abord savoir que l’on distingue trois groupes de pays différents.
Dans le premier groupe se trouvent les pays ayant ratifié la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires. C’est notamment le cas de l'Afrique du Sud, de l'Albanie, de l'Allemagne, de l'Australie, de la Chine, du Danemark, de l'Angleterre, du Royaume-Uni, et de l'Ukraine, pour n’en citer que quelques-uns. Les États signataires de cette Convention acceptent toutes les formes de testament réalisées dans un pays tiers, quel qu’il soit, à partir du moment où le testament a été rédigé conformément au droit interne de ce pays tiers.
La France, qui a ratifié la Convention de La Haye, reconnaît ainsi la validité en la forme de tous les testaments rédigés dans un autre pays, quel qu’il soit.
En tant qu’expatrié français, la première étape est donc de déterminer si le pays d’expatriation a ratifié la Convention de La Haye. Si c’est le cas, il sera alors conseillé de faire rédiger son testament selon la forme française, car on aura ainsi la certitude que le pays d’accueil validera ce testament réalisé en France.
D’autre part, si le pays de résidence de l’expatrié n’a pas ratifié la Convention de La Haye, il faudra alors vérifier s’il a ratifié la Convention de Washington du 26 octobre 1973. Cette dernière porte la Loi uniforme sur la forme d’un testament international. Cette forme testamentaire permet de garantir la reconnaissance du testament à l’étranger, quels que soient le lieu où il a été fait, la situation des biens, la nationalité, le domicile ou la résidence de l’expatrié.
Parmi les États signataires de cette Convention figurent l’Australie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Équateur, la Russie, l’Iran, la Libye, le Chili...
Par conséquent, si le pays de résidence de l’expatrié n’a pas ratifié la Convention de La Haye mais qu’il est signataire de la Convention de Washington, l’expatrié pourra alors choisir de rédiger un testament international.
Il existe enfin un troisième groupe de pays : ceux n’ayant signé ni la Convention de La Haye, ni la Convention de Washington. Si tel est le cas, il sera alors préférable pour l’expatrié de réaliser son testament selon la forme de son pays de résidence. En effet, nous avons la certitude que la France validera le testament rédigé à l’étranger. Or, le pays de résidence de l’expatrié pourrait ne pas valider le testament ayant été rédigé en France.
Par conséquent, après avoir déterminé, avec son notaire, à quel groupe appartient le pays d'expatriation, et après avoir fait le choix de la forme testamentaire la plus appropriée (olographe, authentique...), l’expatrié pourra réaliser les démarches nécessaires, en France ou à l’étranger, pour faire rédiger son testament auprès d’un notaire.
De quelle liberté testamentaire dispose un non-résident français ? Existe-t-il une réserve héréditaire ?
Cela va dépendre du pays concerné, et de la règle de conflit de loi appliquée dans ce pays.
Par exemple, la France et les 27 pays de l’Union européenne (à l’exception du Danemark et de l’Irlande), possèdent une règle unifiée. Au sein de ces différents pays, c’est donc la loi de l’État de la résidence habituelle du défunt qui s’appliquera à tous ses biens, où qu’ils se trouvent dans le monde et quelle que soit leur nature (meuble ou immeuble).
Lorsqu’une loi étrangère vient s’appliquer à la succession, et que cette loi ne prévoit pas de réserve héréditaire, alors tous les biens du défunt, qu’ils soient en France ou à l’étranger, échapperont, en principe, à la réserve héréditaire.
Une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est en effet pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels. Un héritier français ou habitant en France peut donc, en application d’une loi étrangère, être privé de la réserve française, sauf donc à démontrer que cela conduit « conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».
En revanche, si la loi qui est désignée comporte une réserve héréditaire, alors la réserve héréditaire s’appliquera, quel que soit le lieu de situation des biens. Il faudra, dans ce cas, suivre des règles strictes concernant les dispositions successorales.
Dans un premier temps, il est donc important de régler le conflit de loi pour pouvoir déterminer si la réserve héréditaire va ou non s’appliquer.
Puis-je choisir la loi applicable à ma succession au moment de la rédaction de mon testament ?
Tout à fait. Il faut savoir que la France a adopté le règlement européen sur les successions, en application depuis le 17 août 2015. Par conséquent, lorsque l’on rédige un testament en France, il est possible de choisir la loi applicable à la succession.
Ce choix de loi peut être réalisé dans une disposition testamentaire ou bien lors d’un pacte successoral. Il peut être explicite ou implicite, et doit porter uniquement sur la nationalité. Dans le cas où l’expatrié possèderait une double nationalité, il pourra alors appliquer, au choix, la loi d’une de ses deux nationalités.
Quels conseils pourriez-vous donner aux expatriés concernant leurs dispositions testamentaires ?
Il faut absolument prendre conseil auprès de son notaire, idéalement avant son expatriation, afin de mettre au clair sa situation et de manière à prendre les décisions les plus appropriées en fonction de son projet. Il s’agit d’une étape indispensable pour déterminer quel type de testament rédiger, à quel moment, et dans quel pays.
Par ailleurs, si des dispositions sont prises à l’étranger durant l’expatriation, il sera très important de vérifier auprès de son notaire français que ces dernières ne vont pas entrer en contradiction, ou venir annuler des dispositions prises au préalable en France.
Ajoutons qu’à partir du moment où nous sommes dans un contexte international, il n’existe pas véritablement de généralités juridiques car chaque cas de figure est très différent. Le plus important est donc de réaliser une consultation spécialisée et adaptée à sa situation, auprès de son notaire.