Gérer une succession internationale lors d’une expatriation soulève de nombreuses questions quant aux démarches à suivre et à la loi applicable. Par ailleurs, certains pays disposent, dans leur droit interne, d’un privilège de religion. Dans ce cas, les successions internationales sont gérées selon des modalités très particulières. La notaire Marianne Sevindik nous éclaire sur le sujet.
Quand peut-on parler de succession internationale ?
Marianne Sevindik : Une succession est internationale lorsqu’elle présente un élément d’extranéité. Cet élément d’extranéité peut être notamment :
- soit le domicile ou la résidence habituelle du défunt dans un Etat autre que celui de sa nationalité
- soit des biens détenus par le défunt dans un Etat autre que celui de sa résidence
Exemples :
Monsieur DUPONT, de nationalité française, résident au Royaume-Uni décède au Royaume-Uni et possède de biens en France et au Royaume-Uni,
Monsieur DUPONT de nationalité française, résident en France, décède en France mais possédait des biens au Maroc
Dans quels cas la loi du pays d’expatriation va-t-elle s’appliquer ?
Marianne Sevindik : Lorsque le critère de rattachement de la loi successorale est la résidence ou le domicile du défunt ou l’existence d’un bien immobilier.
- La résidence habituelle du défunt au jour du décès est le critère de rattachement pour les États membres* de l’Union européenne à l’exception du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni (règlement du 4 juillet 2012)
*Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Lituanie, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède.
- La dernière résidence mais sous condition de durée est le critère de rattachement pour le Danemark, la Norvège, l’Islande, la Finlande et la Suède.
Ces pays ont signé un accord à Copenhague le 9 décembre 1975, portant modification de la convention nordique du 19 novembre 1934, relative à l’héritage et à la liquidation des successions.
- Le domicile habituel du défunt au jour de son décès est le critère de rattachement la Principauté de Monaco (loi n° 1.448 du 28 juin 2017)
- Un bien immobilier se situe dans le pays d’expatriation
Le pays d’expatriation a une règle de droit international qui applique la loi nationale du défunt pour les meubles mais sa loi pour les immeubles situés sur son territoire.
C’est le cas notamment de l’Albanie, de la République dominicaine et de Saint-Marin.
Quelle est la particularité de ce type de succession dans un État disposant dans son droit interne, d'un privilège de religion ?
Marianne Sevindik : Peu importe la nationalité du défunt, dès lors que le défunt est musulman, le droit musulman sera applicable. Ce privilège de religion signifie que l’islam est un lien plus fort que la nationalité, c’est la notion de frère de religion.
Prenons les trois pays du Maghreb avec lesquels nous avons le plus de questions :
*Au Maroc, l’article 332 de la Moudawana (code de la famille marocain), dispose « Il n’y a pas de successibilité entre un musulman et un non musulman…. ».
L'épouse chrétienne ou juive d'un Marocain musulman ne peut hériter de son mari, contrairement à ses enfants, considérés comme musulmans devant la loi. Les enfants issus du premier mariage d'un Français converti à l'islam pour se marier à une Marocaine ne peuvent hériter de leur père si les modalités de la succession sont celles de la Moudawana.
*En Algérie, d'après le Code de la famille (article 138), sont exclues de la vocation héréditaire, les personnes frappées d’anathèmes et les apostats.
L'époux musulman marié à une non-musulmane et ses enfants ne pourront hériter d'elle et inversement.
*La Tunisie ne fait pas mention de cette question dans son Code du statut personnel. La jurisprudence a toutefois considéré qu’il fallait ajouter au seul cas d’indignité successorale qui est l’homicide volontaire du défunt, les interdictions du droit musulman que sont l’apostasie et les différences de cultes.
Une jurisprudence néanmoins isolée affirme que "la différence de confession au sein d'un couple mixte ne doit pas être une cause d'indignité successorale". Laquelle décision a été infirmée.
Précisons par ailleurs que le droit musulman est inégalitaire selon les sexes.
Nous reprendrons les sourates 11 et 12 du Coran en ce qui concerne les inégalités successorales.
« Voici ce que Dieu vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles… »
Dans quel cas la juridiction française peut-elle ignorer les lois applicables dans le pays pour un Français non-résident ?
Marianne Sevindik : Lorsque la loi du pays contrarie notre ordre public international.
Les distinctions qui seraient opérées du fait de la race, de la couleur, du sexe, de la langue, de la religion, de l’opinion politique ou de toute autre opinion, de l’origine nationale ou sociale, de la fortune, de la naissance ou de toute autre situation sont contraires à la Déclaration universelle des droits de l’Homme mais aussi à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La loi de droit musulman qui interdit à un non-musulman par application du privilège de religion ou qui attribue moins aux héritiers de sexe féminin est contraire à notre ordre public international.
Dans quel cas la juridiction française sera-t-elle impuissante ?
Marianne Sevindik :Lorsque des biens immobiliers seront situés dans ces pays et qu’un national du pays ou un musulman sera concerné.
Avez-vous des conseils à donner aux expatriés qui doivent gérer une succession dans ces Etats ?
Marianne Sevindik :
Il est important de faire un testament car :
- Si la loi successorale applicable à sa succession donne des vocations qui ne nous contentent pas, on peut modifier les vocations.
- On peut désigner la loi applicable à sa succession (ce que l’on appelle professio juris), qui ne peut être que la loi de sa, ou de l’une de ses nationalités.